Nous vous proposons deux livres pour mieux comprendre l’exposition « Mexica » au musée du Quai Branly à Paris : Le Cinquième soleil de Camilla Townsend et Quand les Indiens parlaient latin de Serge Gruzinski.
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Camilla Townsend, diplômée de Bryn Mawr College et de Rutgers University où elle enseigne aujourd’hui l’histoire, est spécialiste de l’Amérique précolombienne et du nahuatl. Le Cinquième Soleil a été récompensé en 2020 par le prestigieux Cundhill History Prize.
L’Histoire, on le sait, est toujours écrite par les vainqueurs. C’est le cas notamment de la conquête de l’empire aztèque, entreprise en 1519 par Hernán Cortés, et racontée à de multiples reprises mais toujours du point de vue des Espagnols. Or les autochtones, initiés à l’alphabet romain par les missionnaires, ont eux aussi consigné leur histoire dans leur propre langue, le nahuatl.
C’est en s’appuyant sur ces sources, jusqu’alors peu exploitées, que Camilla Townsend met un terme à la légende dorée des conquistadors et au stéréotype des sauvages assoiffés de sang. À partir de leurs écrits, elle retrace l’incroyable histoire des Aztèques du XIIIe au XVIIe siècle. Cette civilisation fascinante a été à l’origine d’une cité fabuleuse et sans équivalent à l’époque, Tenochtitlan, qui deviendra plus tard Mexico. Contrairement à ce que l’on a longtemps considéré, elle a su s’adapter et développer des technologies nouvelles pour survivre à l’invasion espagnole.
Serge Gruzinski, né le 5 novembre 1949 à Tourcoing est historien français et spécialiste de l’Amérique latine. Il est membre de l’École française de Rome (1973-1975) et de la Casa de Velázquez à Madrid. Il est également membre du comité de rédaction de la revue Gradhiva. Il enseigne l’histoire de la mondialisation ibérique des deux côtés de l’Atlantique.
Décisive, la révolution alphabétique fut l’une des conséquences les plus irréversibles de la conquête espagnole et portugaise en Amérique, modifiant les formes de communication des sociétés indigènes. Une enquête autour des questions brûlantes de l’intégration et du métissage au XVIe siècle. Le papier, l’écriture alphabétique et les livres ont débarqué en Amérique dans le sillage des conquistadors. Autant d’armes aux mains des Espagnols pour soumettre et christianiser les vaincus. L’écriture européenne s’abat sur le Nouveau Monde comme une déferlante, bouleversant les sociétés amérindiennes dont les langues ne s’écrivaient pas.
Sous toutes ses formes, l’écrit des vainqueurs est l’auxiliaire de la colonisation : les ordres de la métropole sont écrits, les richesses locales sont enregistrées et des livres véhiculent les savoirs venus de l’Europe. Les enfants des élites indigènes, formés aux valeurs de l’humanisme, connaîtront bientôt mieux le latin et la Bible que les croyances de leurs ancêtres. Ils sauront pourtant résister à la colonisation alphabétique grâce à leur extraordinaire créativité.
Serge Gruzinski a retrouvé la trace d’Indiens et d’Européens qui ont vécu cette période où, de l’autre côté de l’Atlantique, s’amorce l’occidentalisation du monde. Passionnante plongée dans le Mexique du XVIe siècle, son nouveau regard sur la Renaissance et les Amérindiens nous invite à observer comment les idées se métissent lorsque deux sociétés s’entrechoquent. Et à prendre la mesure des multiples rôles de l’écrit à l’heure de la révolution numérique.
D’après les éditeurs
Le Cinquième soleil – Une autre histoire des Aztèques par Camilla Townsend, traduit de l’anglais par Sylvie Taussig aux éd. Albin Michel, 403 p., 26 euros. Quand les Indiens parlaient latin – Colonisation alphabétique et métissage dans l’Amérique du XVIe par Serge Gruzinski aux éd. Fayard – Histoire, 318 p., 23 euros.