Équateur : une crise locale nécessitant une coopération internationale

En réponse au déferlement de violences que connaît l’Équateur depuis plusieurs semaines, l’investissement de l’État dans ses forces armées, sa police et ses services de renseignement permet de démanteler progressivement les réseaux de mafia. L’espoir d’un retour au calme se fait sentir à l’annonce que la coopération internationale s’engage dans la lutte contre le narcotrafic.

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Depuis l’évasion carcérale du narcotrafiquant José Adolfo Macías, alias Fito, signalée le 7 janvier, les offensives des gangs de narcotrafiquants se multiplient dans les régions de Quito, La Manta, Milagro, et la renommée GuyaKill, enregistrant une hausse de 66% de morts violentes ce mois-ci. Alors que la faction des Choneros, dont Fito est le leader, se fait discrète, sa branche de Los Águilas, et leurs opposants Los Fatales et Los Lobos s’organisent pour défendre leurs réseaux et conserver leur suprématie. Suite à la déclaration de l’état d’urgence par le président Daniel Noboa, 20 000 militaires et policiers ont été déployés, tous les services de renseignement de la Inteligencia activés, et un couvre-feu mis en place dans l’ensemble du pays. La riposte de l’État s’organise afin de rétablir son contrôle du territoire.

Ce dimanche 21 janvier, 10 membres du gang Los Águilas ont tenté de prendre d’assaut l’hôpital José Cevallos Ruiz au sud-ouest du pays afin de récupérer leur meneur blessé, Rango. Il fut le seul à mourir ce jour-là. La police est parvenue à démanteler leur centre d’organisation situé à quelques rues de l’hôpital, à capturer 67 de leurs membres, y saisir des drogues, des armes et libérer les prostituées. 

Mercredi 24 janvier, 500 membres de forces de l’ordre ont investi la zone de Nueva Proserpina de Guayaquil dans une grande opération contre les gangs du narcotrafic. Cette descente a permis à la police de trouver les lieux de cachette de drogues, d’armes à feu, de désactiver des systèmes de vidéosurveillance mis en place par la mafia. El Pingüino, présumé leader des Fatales, fut arrêté au cours de cette offensive. Il est maintenu en détention depuis lors. 

Le bilan des saisies de drogues ne fait qu’augmenter au fur et à mesure que les QG et cachettes des gangs sont découvertes. Ce lundi 22 janvier, l’armée équatorienne annonçait la saisie de 22 tonnes de cocaïne à La Provincia de los Ríos. En 15 jours, les Fuerzas Armadas (FF.AA) ont confisqué plus de 36 tonnes de drogues sur le territoire. L’investissement de l’État dans ses services de surveillance conduit également à désorganiser le trafic d’armes à feu installé dans le pays. La police a ainsi perquisitionné 108 armes à feu à Cumbaya en ce début de semaine. Au fur et à mesure que la police démantèle les réseaux internet utilisés par les mafias et démantèle les centres d’organisation des gangs, sont mises à jour leurs stratégies de recrutement, d’organisation et d’influence sur la population locale. À la découverte d’un des QG de Los Águilas dans un hôtel de Nueva Prosperina ce mercredi 24 janvier, a également été démantelé un ensemble de plus de 5 000 maisons alentours coordonnées par des jeunes recrues, souvent mineures, payées pour garder le silence, vendre de la drogue et recruter à leur tour. 

Parmi les actions de cessation des activités criminelles en Équateur, l’armée fait usage des technologies des géoradars afin de localiser les tunnels de la prison de Turi utilisés par les criminels pour s’attaquer entre gangs et poursuivre leur commerce en prison. Les 36 autres prisons du pays seront explorées en février. Les mairies profitent de la présence de l’armée pour entamer le recouvrement à la peinture des noms et symboles de gangs sur les murs de leur ville. Faute d’arrestation physique, l’action porte au moins la symbolique d’une réappropriation progressive des rues pour les citoyens équatoriens. En ce sens, les couvre feux sont progressivement réduits pour les zones oranges et vertes du territoire et 630 000 étudiants ont été autorisés à suivre les cours en présentiel ce mercredi 24 janvier. Les maires entament déjà les négociations pour permettre à leur carnaval de parader malgré la situation d’urgence décrétée jusqu’en mars 2024. 

La police craint cependant une recrudescence progressive de la violence suite à la saisie progressive de drogues et des armes à feu, fonds de commerce des narcotrafiquants. Si les leaders des mafias tombent les uns après les autres, l’État équatorien n’est pas à l’abri d’une alliance entre les factions conduisant à un bouquet final de destruction. Si les Fuerzas Armadas connaissent un certain succès dans les missions anti-narcos qui lui sont confiées, la justice équatorienne prend son temps pour condamner les criminels. En décembre 2023, l’opération “Metástasis”, avait révélé les leviers de corruption et le réseau narcopolitique influent en Équateur. Plusieurs juges et hauts fonctionnaires s’étaient vus priver de leurs fonctions à la suite de l’opération. Mais ce jeudi 25 janvier, suite à une évaluation du niveau de corruption des systèmes d’État de l’Équateur par l’ONU, une nouvelle liste de mesures anti-corruptions était transmise à la Cour Internationale de Justice. La viabilité judiciaire du pays requiert une nouvelle destitution de juges, hauts fonctionnaires d’État, chefs de police et une enquête approfondie sur des transferts monétaires suspects. Un groupe de criminels ont utilisé les uniformes militaires d’État afin de voler en se faisant passer pour une opération de contrôle ce mercredi 24 janvier à Santo Domingo. Ce rapport de l’ONU conduit presque à ironiser quant à la présence déjà constante des criminels dans les institutions de sécurité et de justice de l’État, sans avoir besoin de voler d’uniformes…Si les mafias actuelles sont menacées et leur pouvoir fortement réduit, la coordination des systèmes de sécurité et de justice reste primordiale pour conduire le pays à l’ordre et la sécurité sur le long terme. 

Malgré les déploiements et investissements de l’Équateur dans son Inteligencia, ses Fuerzas Armadas, ainsi que dans la police, les narcotrafiquants ont une telle emprise sur le territoire, sa population et tant de stratégies élaborées pour permettre à leur commerce de se poursuivre que seule une coopération internationale permettra d’endiguer le soulèvement. Le narcotrafic repose essentiellement sur le déplacement de marchandises et de personnes entre pays et continents. Contrôler la fuite des criminels et la poursuite de l’acheminement de leurs marchandises devient une mission de premier ordre. 

Pour répondre au besoin de désengorger les prisons surpeuplées et par conséquent très mal gérées de l’Équateur, le Conseil de sécurité cherche à expulser les délinquants étrangers en les reconduisant dans leur pays d’origine. Ces pays confrontés aux mêmes menaces de soulèvement des narcotrafiquants n’accueillent pas ces mesures dans un grand enthousiasme. La Colombie, le Pérou et l’Argentine ont d’abord fermé leurs frontières avant de laisser entendre une certaine coopération en contrôlant cas par cas l’entrée des prisonniers sur leur territoire. Les États-Unis ont quant à eux permis, pour la première fois depuis 23 ans, l’extradition de deux délinquants ce lundi 22 janvier. 

Pérou et Colombie apportent néanmoins leur soutien en militarisant leur frontière et en durcissant les contrôles au passage de frontière. En état d’urgence sécuritaire, l’Équateur concède facilement des droits de libre circulation et de contrôle des militaires de ses voisins pour faciliter leur coopération. La Cour  Internationale de Justice a en ce sens facilité le passage de l’accord de coopération sécuritaire aérienne et maritime avec les États-Unis ce 23 janvier. Par la mise en place effective de privilèges, d’immunités et d’accès aux zones contrôlées sur le territoire, l’Équateur cible les trafics de drogues, de migrants et de marchandises illégales depuis ses ports jusqu’à ses ZEE. Fouilles et perquisitions de navires sont déjà en action au large des Îles Galapagos. 

Certains politiciens alertent cependant quant à la menace que pourraient représenter l’invasion de militaires colombiens, péruviens et états-uniens sur leur territoire en ce temps de crise. La déclaration de Daniel Noboa lors de sa visite en Espagne le 22 janvier – “vivimos una guerra no convencional” – (nous vivons une guerre non conventionnelle) pourrait être interprétée comme une opportunité pour les autres pays de profiter du manque de gestion du territoire national pour l’envahir. 

Premiers consommateurs des drogues exportées depuis l’Équateur, les membres de l’Union Européenne s’expriment progressivement en faveur des décisions radicales prises par Daniel Noboa pour reprendre le contrôle de son territoire. Pedro Sanchéz, le président de l’Espagne a offert son aide à Daniel Noboa favorisant les relations bilatérales. La commissaire aux affaires intérieures de l’Union Européenne, Yvla Johanson, a également annoncé la signature d’un accord avec l’Équateur pour coopérer dans la lutte contre le narcotrafic. L’UE a déjà un accord avec la Colombie et entend multiplier ces accords avec le Mexique, le Brésil et le Pérou. 

Dans une situation d’insécurité et d’instabilité grandissantes en Amérique Latine, l’Argentine, la Bolivie et le Brésil n’hésitent pas à manifester leur soutien à Daniel Noboa en ce début d’année. Lula lui-même ébranlé par une tentative de coup d’État il y a quinze jours, en a profité pour réaffirmer le pouvoir de son armée en proposant son aide à l’Équateur en hommes et services de renseignement. À l’orée de l’année 2024, pays et continents doivent assumer l’image d’entraide et de solidarité pour éviter un basculement chaotique des démocraties.