Entre rétrospective et projection : quels sont les points stratégiques qu’il faudra surveiller en Amérique latine en 2024 ?

L’année 2023 a été marquée par des événements majeurs captivant l’attention mondiale. En janvier, une insurrection à Brasilia a vu les partisans de l’ancien président Jair Bolsonaro prendre d’assaut le Congrès, la Cour Suprême et le palais présidentiel. Alors que l’année touchait à sa fin, l’Argentine a connu des grèves nationales initiées par les syndicats influents, tandis que le Venezuela a déployé des troupes au lendemain d’un référendum contesté sur les revendications territoriales dans la région d’Esquivo, en Guyane. Malgré cela, explique l’analyste Oliver Stuenkel dans une récente publication dans le média Americas Quarterly, 2023 n’a pas été une mauvaise année pour l’Amérique latine.

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Selon le politologue Oliver Stuenkel, on peut s’attendre à ce que la croissance économique de 2023 atteigne un taux de 2,2 % plutôt que de 1,7 % comme cela était prévu initialement.  De surcroît, l’auteur propose ici une rétrospective des divers évènements marquants de 2023 et cible une série de points qui reflètent les possibles tendances qui doivent retenir notre attention en 2024 sur le continent latino-américain.  Ce premier point stratégique qui concerne l’actualité électorale et politique fait référence au fait qu’aucun changement significatif d’un point de vue strictement politique n’est attendu en Amérique latine d’ici 2024. Par exemple, l’auteur mentionne qu’en République dominicaine, Luis Abinader, avec un taux d’approbation de 70 %, devrait être réélu en mai. Claudia Sheinbaum, désignée pour prendre la succession par le président mexicain López Obrador, devrait l’emporter en juin, ce qui garantira une politique pragmatique et le maintien des avantages liés à la proximité des États-Unis. Malgré les inquiétudes suscitées par les tendances autoritaires, la continuité est attendue au Salvador avec la réélection confortable du président Bukele. Au sujet des pays contigus, tels que le Brésil et l’Uruguay, les élections locales et présidentielles ne sont pas considérées comme des événements politiques majeurs.

Pour ce qui est du deuxième point, l’auteur explique que la condition de spectateur géopolitique qui est propre à l’Amérique latine a retenu l’attention de certains investisseurs dans un monde toujours plus affecté par des tensions globales. Il démontre que la région latino-américaine pourra en réalité tirer profit de sa distance par rapport à l’éclosion de conflits inter-États d’envergure planétaire.  À cet égard, il affirme qu’en 2022, l’Institut de recherche de la Paix d’Oslo a répertorié 55 conflits étatiques dans 38 pays, le chiffre le plus élevé depuis des décennies. La possibilité d’une surenchère dans les guerres en Ukraine et au Moyen Orient, ou l’apparition d’un conflit en lien avec Taïwan, pourrait encourager davantage d’investisseurs à considérer l’Amérique latine comme une solution pour réduire leur exposition à des conflits d’ordre géopolitique. Cependant, cela ne garantit en aucun cas que la région demeure indemne des tensions mondiales, en dépit de son éloignement géographique par rapport aux principales zones de conflit. 

En définitive, l’auteur insiste sur le fait que malgré ce qu’il se passe actuellement entre le Venezuela et la Guyana, la probabilité d’une véritable guerre entre Caracas et Georgetown reste faible, en sachant que la tension résulte principalement d’une tentative du gouvernement vénézuélien de consolider ses appuis à la veille d’élections dénoncées comme injustes. 

Selon ce qu’affirme Oliver Stuenkel, en 2023 l’ancien président brésilien Lula a recherché activement l’attention géopolitique, s’exprimant de manière controversée sur des sujets comme l’invasion russe en Ukraine et le conflit entre Israël et Gaza. Cette année, cependant, il ne serait pas surprenant que Lula maintienne la même position qui avait provoqué des frictions entre le Brésil et l’Occident. Le journaliste met en parallèle son explication avec la présidence du Brésil au G20 cette année. Ce rôle conférera au président une opportunité supplémentaire pour se faire une place sur l’échiquier mondial. À cela s’ajoute la déclaration du Ministre des Affaires Étrangères du Brésil, Mauro Vieira, selon laquelle le Brésil serait “enchanté” de recevoir le président russe Vladimir Poutine à l’occasion du sommet du G20 en novembre, malgré le mandat d’arrêt de la Cour Pénal Internationale à son encontre. Cela reflète le défi du Brésil d’articuler une politique extérieure dans un contexte de hausse des tensions entre l’Occident, la Chine et Moscou. 

Avec un changement retentissant dans la politique intérieure de l’Argentine, l’auteur explique que la situation politique actuelle du pays reflète le dilemme d’un président élu sur la promesse de changements radicaux, mais sans la majorité au Congrès pour les mettre en œuvre. Dans des circonstances différentes, des dirigeants latinos tels que Gustavo Petro en Colombie et Gabriel Boric au Chili ont été confrontés à des défis similaires. Le président Javier Milei, en présentant de nombreux décrets et un vaste ensemble de mesures législatives au début de son mandat, indique son intention d’aller de l’avant en dépit d’obstacles importants au sein du pouvoir législatif et judiciaire et d’éventuelles protestations de l’opposition. Il ajoute également que Milei devra probablement faire des concessions substantielles en suivant l’exemple de ses pairs.

D’autre part, on s’attend à un risque important de troubles politiques en Argentine, compte tenu des enjeux élevés et de l’inexpérience de Javier Milei en matière de gestion. Les conséquences sur la politique étrangère seront inévitables, car la nouveauté de cette gouvernance limitera sa marge de manœuvre et évitera de contrarier Lula. Cependant, cela pourrait changer en 2025 si Donald Trump revient à la Maison Blanche, permettant à Milei de suivre le courant américain et de radicaliser sa position en matière de politique étrangère, à l’instar de la stratégie de Bolsonaro durant les deux premières années de sa présidence avec Trump au pouvoir.

Enfin, le phénomène climatique connu sous le nom d’ « El Niño » pourrait avoir divers impacts sur les économies de l’Amérique latine, selon les observations de l’auteur en 2023. Ce phénomène, qui perturbe les normes climatiques en raison de l’augmentation des températures de l’eau dans le Pacifique, peut provoquer des sécheresses dans certaines zones (comme en Amérique centrale, en Colombie et en Amazonie) et des pluies intensifiées dans d’autres (nord du Mexique, Paraguay, Uruguay et certaines parties de l’Argentine), créant ainsi de l’incertitude pour les pays dépendant de la production agricole. Le Panama pourrait être le pays le plus affecté du continent car l’Isthme de Panama pourrait faire face à des restrictions dans le passage des navires, comme cela s’est produit en 2023. En guise de conclusion, l’analyste Oliver Stuenkel rappelle que ces tendances nous invitent à envisager un contexte mondial légèrement plus stable en Amérique que dans le reste du monde. À ce titre, l’attention devrait se porter davantage sur la situation du Moyen Orient, l’invasion russe de l’Ukraine, les élections présidentielles aux États-Unis et les tensions géopolitiques toujours en hausse en Asie.