« Piedras Blancas » ou les tortionnaires du dictateur 

Pièce de théâtre co-écrite par Maria Isabel Mordojovich et Mario Paul Ahues Blanchait  chercheur en mathématiques à l’Université Jean-Monnet à Saint-Etienne. Désormais retraité, il se consacre au théâtre amateur comme metteur en scène de la troupe « Les Amis Z’EN scène ». Il a publié une trentaine de pièces de théâtre en français depuis 1998. María Isabel Mordojovich est Ingénieure-Mathématicienne au Chili et Docteure en Mathématiques appliqués à Grenoble.

Photo : Université Jean Monnet

Le livre de María Isabel Mordojovich paru en 2018 et que j’avais chroniqué pour Espaces latinos m’avait bouleversée, j’en avais gardé un souvenir poignant. Quand j’ai appris qu’il avait été adapté pour le théâtre, j’avoue m’être rendue à sa représentation à Saint-Étienne, avec un mélange de curiosité et de perplexité. En effet, comment rendre sur scène à la fois la violence des interrogatoires, transformés systématiquement en scènes de torture sauvage, la souffrance des détenu(e)s et l’indifférence des militaires sans tomber dans le sensationnel et le voyeurisme ? 

Or l’obstacle a été franchi, avec ce qu’il faut de réalisme pour reconstituer des scènes de torture très fortes, faisant trembler d’effroi le spectateur. De la même façon, le témoignage de la jeune Blanca, seule en scène qui décrit tous les viols subis suffit à parler à notre imaginaire et nous fait frémir. Autres thèmes développés, les dégâts collatéraux sur les victimes survivantes et leur famille, l’habileté d’un juge à faire craquer trente ans plus tard un des bourreaux les plus durs, la mise en place du système répressif très organisé, ou encore le cynisme de l’homme d’affaires profiteur de cette dictature, qui sert de prologue et d’épilogue, sinistre parenthèse : ils étaient plus faciles à représenter me direz-vous, encore fallait-il les mettre en scène en évitant l’excès, ce qui a été fait  ! 

L’originalité aussi, c’est de montrer (ce qu’on évoque rarement) les bourreaux, l’art de leurs chefs pour les former, les endoctriner et les tenir par la peur des représailles. On nous présente ceux qui refusent de torturer et le paient de leur vie, ceux qui obéissent mais finissent détruits psychologiquement et ceux qui restent imperméables au remords, tandis que leurs chefs se montrent d’un cynisme et d’une cruauté relevant des pires criminels psychopathes. Tout cela monté en dix tableaux très efficaces qui reconstituent l’horreur de ces années. 

Pour finir saluons la belle performance des acteurs interprétant des scènes où leur sensibilité est mise à rude épreuve ; saluons aussi l’habileté de la mise en scène et la fidélité au texte initial et à la sombre histoire de la dictature. Cette pièce, bel exercice de mémoire et d’humanisme mériterait une longue tournée pour que personne n’oublie la tragédie chilienne et hélas, son éternelle reproduction à travers le monde.

Louise LAURENT

Prochaines représentations : dimanche 28 janvier 2024 à 15 h (Salle Jacques Brel, 42000 Saint Étienne), samedi 3 février 2024 à 20 h (Salle Léo Lagrange, 38320 Poisat) et vendredi 27 septembre 2024 à 20 h 30 (Médiathèque Le Kiosque, 42160 Andrézieux-Bouthéon). Contact : mario.ahues@gmail.com