Le 11 mars, un an de mandat accompli pour le jeune président chilien Gabriel Boric

La manière de gouverner du président Gabriel Boric a impliqué un changement au Chili.  Mais ce même pays qui l’a élu, le faisant devenir le président le plus jeune (36 ans) de son histoire, redoute de son expérience à gouverner. Paradoxalement, ces citoyens qui rejetaient la vieille classe politique traditionnelle, aujourd’hui n’accordent plus la confiance à un gouvernement composé en grande partie par une nouvelle génération.

Photo : La Tercera

Les ministres qui sont les mieux évalués sont ceux de plus de 50 ans appartenant aux anciens partis traditionnels considérés expérimentés au détriment de la jeune garde rapprochée du président ayant fait de la politique d’abord dans le mouvement étudiant et puis au parlement. Il y aurait eu une croyance dans la jeune classe politique que le Chili avait évolué vers un post-modernisme, s’interroge un sociologue chilien, et on a oublié que hormis des secteurs importants de certaines grandes villes, le pays continue à être conservateur et modéré.

En effet, Gabriel Boric, possédant une expérience de plus de dix ans au Parlement et de leader étudiant, s’est vu confronté à diriger un pays en crise et sans majorité au Congrès. Les critiques parlent d’un gouvernement incapable d’avancer sur son propre agenda. Les sondages montrent qu’une majorité des Chiliens pensent qu’il manque à Gabriel Boric de l’expérience et que cela explique leur désapprobation.

Durant la campagne électorale l’agenda social et politique était fondé sur la réussite d’un événement important : la nouvelle Constitution. Avec cette nouvelle charte, cette génération politique arrivée au pouvoir pensait pouvoir changer le modèle économique ultra libéral hérité de l’époque de la dictature pour un modèle social-démocrate d’État. La question de l’environnement, les droits des communautés indigènes, l’accès gratuit à l’eau, la réforme des pensions de retraite, la santé, l’éducation, les droits des femmes, etc., étaient les thèmes défendus.

Mais le rejet massif de la proposition constitutionnelle fut pour le président Gabriel Boric et son gouvernement un coup dur. Il a dû faire face à un chemin bien plus difficile et sans majorité au Congrès pour faire passer ses réformes. Comme ce fut le cas récemment pour la réforme tributaire, réforme clef de son agenda social, rejetée par le Congrès et qui devait récolter 3.6 % du PIB. Cette réalité obligea le président à devoir négocier pour parvenir à des accords avec les différents partis politiques, ce qui signifie donc diluer un peu ces aspirations réformatrices. Les négociations, tant critiquées par le passé par cette nouvelle gauche à l’égard de la Concertation démocratique et des partis qui la composaient qui ont gouverné le pays pendant plus de 30 ans, deviennent aujourd’hui une obligation.

La jeunesse du président Boric qui fut un avantage pour remporter l’élection à la présidence du pays devient alors un problème ? Du point de vue des sondages oui, mais au niveau international ses positions sont considérées plus libres : il ne craint pas par exemple de critiquer le gouvernement vénézuélien ou nicaraguayen pour les abus contre les droits humains, à la différence des ses pairs d’Argentine, du Brésil, de la Colombie et du Mexique.

Au plan national, il a un nouveau rapport avec le pouvoir proche des gens, il exprime ses émotions, il embrasse les gens. Mais il semblerait qu’au Chili on préfère les hommes qui démontrent leur capacité à tenir d’une main  forte les rênes du pays et qui savent prendre les bonnes décisions. On préfère un leader comme l’ancien président Ricardo Lagos, même s’il a été rejeté amplement pendant l’explosion sociale.

Le président Gabriel Boric a bouclé avec une année de pouvoir le 11 mars dernier. Quelles sont les erreurs et les avancées qu’il a effectuées ? Dans un pays où les médias, presse écrite et télévision, ont un penchant à droite, ces erreurs font la Une et chaque faille est montée en épingle afin de discréditer le jeune président.

Tout d’abord, une erreur d’évaluation : le gouvernement a cru pouvoir trouver une solution rapide, par le dialogue, du grave conflit dans la région de l’Araucanie où des grandes entreprises forestières et des bandes organisées s’affrontent depuis des années avec des secteurs radicaux du peuple Mapuche qui défendent leurs droits sur ces territoires.  La Première ministre de l’époque Iskia Siches s’est rendue rapidement dans cette région en conflit afin d’entamer des discussions mais elle fut reçue par des tirs de ces bandes, devant ainsi opérer un demi-tour. Puis, elle a été sacrifiée lors d’un remaniement ministériel. Après l’échec retentissant (62 % de voix contre) du projet de nouvelle constitution voté au mois de septembre dernier, Gabriel Boric s’est vu contraint de remplacer certains de ses ministres par des politiciens plus « expérimentés » du centre gauche traditionnel, dont la ministre de l’Intérieur Carolina Toha du Parti pour la démocratie PPD et ancienne maire de Santiago.

Un autre exemple, plus récent, est ce qui est arrivé avec le projet de réforme tributaire nécessaire pour financer l’agenda social. Le gouvernement l’a présenté au Congrès, confiant qu’il pouvait compter sur les votes nécessaires pour son approbation. Erreur de calcul, le rejet pour très peu de voix fut non seulement la cause de  la votation des partis de droite mais aussi l’absence de parlementaires de gauche et écologistes. Et à cela s’ajoute « el indulto », la grâce présidentielle pour douze détenus depuis l’explosion sociale d’octobre 2019 et celle pour le militant du Front patriotique, Jorge Mateluna, exilé en France et accusé d’avoir participé à l’assassinat de Jaime Guzmán, principal idéologue de la dictature.

La deuxième année du mandat sera importante

La deuxième année de Gabriel Boric va être très importante et décisive pour l’avenir du pays, si on ne veut pas rendre le pays à la droite, à une droite populiste très dure. Les défis sont énormes, en commençant par le problème de la sécurité. Depuis la vague massive des migrants, le pays connaît une violence inédite liée au narcotrafic et à l’apparition de bandes délinquantes armées qui n’hésitent pas à tuer. 2023 va être également dominée par le débat constitutionnel et la récupération économique. Faire face à la crise économique mondiale qui affecte de la même manière le Chili est un des grands défis pour satisfaire une population très endettée par le passé et qui subit les effets de l’inflation (13,5 %).

Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, à trois jours de sa première année de mandat, le gouvernement a subi un revers très dur. L’Assemblée nationale a rejeté son projet de réforme tributaire, un des plus emblématiques, sans même l’étudier. Elle devait financer son programme social : l’augmentation de la pension minimale universelle, la résolution des problèmes dans le domaine de la santé, l’augmentation des ressources pour la santé primaire, entre autres. « Il semblerait que l’objectif de certains est de frapper contre mon gouvernement et empêcher tout changement » a déclaré Gabriel Boric. Ce rejet montre en effet que l’opposition majoritaire n’accordera aucun répit au gouvernement. Face à cette opposition virulente qui profite des erreurs commises par certains ministres pour dénoncer une incapacité supposée du gouvernement à diriger le pays, Gabriel Boric s’est vu obligé de sacrifier certains de ses ministres de son cercle le plus rapproché et faire appel à des personnalités de centre-gauche traditionnel au cœur de son gouvernement. Ainsi, la ministre des Affaires étrangères Antonia Urrejola fut remplacée par Alberto van Klaveren, diplomate ayant exercé pendant les gouvernements de Ricardo Lagos et Michelle Bachelet.

L’approbation du président d’après certains sondages est passée en dessous de 30 %. Cependant, une enquête d’opinion de l’agence publicitaire Cadem publiée le 5 mars montre des signes d’une meilleure adhésion : 35 %. Mais malgré les difficultés de cette première année, Gabriel Boric est parvenu à certaines réussites en matière de gestion économique et a pu mener à bien quelques politiques sociales et environnementales. Sur ce dernier point, il a ordonné la fermeture définitive de la fonderie de cuivre Codelco (Corporación Nacional del Cobre de Chile) située dans la localité de Ventanas (Valparaíso), fortement polluante.

D’après BBC Mundo, l’année 2022 s’est terminée avec de bonnes nouvelles du point de vue de la macro-économie, le pays ayant obtenu un excédent fiscal inespéré qu’on n’avait pas connu depuis plusieurs années. Il y a eu des revenus importants provenant de la réactivation des marchés du cuivre et du lithium. Ainsi, l’investissement étranger a donné des signes positifs dépassant celui de 2015. Et l’indice des prix enregistre une baisse en février de 0,1 % alors que le marché s’attendait à une hausse de 0,4 %. « Ces données nous encouragent à poursuivre sur la voie que nous avons prise pour la stabilisation de l’économie grâce à une politique responsable des finances publiques et de réduction de l’incertitude » a déclaré le ministre des Finances chilien Mario Marcel, un des ministres les plus appréciés par la classe politique.

Javier Sajuria, docteur en sciences politiques et professeur de la Queen Mary University of London, déclare en BBC Mundo que « définitivement, le contrôle de l’économie, dans une période si troublée, est le principal succès de Boric. Boric a rencontré beaucoup de résistance et d’hostilité de la part du patronat chilien, cependant il est parvenu à une stabilité économique au milieu d’un scénario international très complexe ».

Le défi maintenant c’est 2023, année difficile pour les économies du monde et qui, d’après le FMI, peut frapper fort le Chili, qui devrait connaître une contraction de son économie. Au cœur de l’agenda social de Gabriel Boric se trouve l’ambition d’un meilleur accès aux droits élémentaires pour les Chiliens ; tels que la santé, l’éducation, le logement et des retraites plus dignes. Pour l’instant ces réformes ont rencontré l’obstacle du rejet de la réforme tributaire destinée à les financer. Cependant, il y a eu quelques avancées, comme la gratuité totale (ou presque en fonction des revenus des familles) des services de santé, incluant les services d’urgences et d’hospitalisation pour les personnes fréquentant les centres du service public, ce qui représente presque 80 % de la population. Ce système bénéficie en particulier aux personnes aux plus faibles revenus. « La santé doit être un droit qui ne devrait pas être déterminé par la taille des portefeuilles des familles », dit le président. Cet investissement représente 21 millions de dollars par an. Ainsi, le gouvernement est parvenu à un accord pour réduire les prix des médicaments.

Son administration a réussi le réajustement du salaire minimum grâce à un accord avec la principale centrale syndicale Centrale unique des travailleurs (CUT) et au soutien unanime de l’opposition, passant à 500 dollars depuis août 2022 et dont 800 000 travailleurs ont bénéficié. Il s’agit de l’augmentation salariale la plus importante depuis 29 ans. G. Boric, lorsqu’il a annoncé cette mesure, a déclaré : « Lorsque nous discutons et  dialoguons et parvenons à des accords, la qualité de vie des Chiliens et Chiliennes s’améliore. »

Les défis à venir

Le programme du gouvernement, comme dit précédemment, dépendait principalement de l’approbation de la réforme tributaire rejetée. On doit attendre encore un an pour présenter une nouvelle proposition. Dans les priorités de l’agenda social se trouve la réforme prévisionnelle en discussion au Parlement ainsi que la création d’un système national de santé qui devrait être présenté à la fin de l’année ainsi que la réduction de la journée de travail à 40 heures de manière progressive sur 5 ans, au lieu de 45 heures actuellement.

Le moment le plus dur pour le gouvernement fut le rejet par 62 % des citoyens de la proposition constitutionnelle en septembre dernier. Ce texte devait changer fondamentalement les institutions du pays. Actuellement, le pays se prépare pour une deuxième tentative de réformer la Constitution de 1980 héritée de la dictature. C’est un comité paritaire femmes/hommes qui travaille sur ce projet et qui devra être présenté à une assemblée préalablement élue par suffrage universel le 7 mai prochain. Ce processus doit se terminer le 17 décembre 2023 lorsque les citoyens seront à nouveau appelés aux urnes pour son approbation ou rejet. « L’objectif de Boric est de terminer ce processus et qu’il ne soit pas une Constitution “gatopardistica” “guepardistique” où le changement signifie continuer pareil », dit Rodrigo Mardones de l’Institut de Sciences politiques de l’université Catholique du Chili. Il ajoute, que « le problème est de réenchanter les gens qui sont devenus apathiques et qu’elles s’engagent dans ce Nouveau processus et aillent voter ».

La sécurité est l’une des inquiétudes principales, 32 % de la population déclarant avoir été victime d’agression ou vol ; la perception de la peur est très grande, plus forte que les chiffres officiels de ces délits. Sur ce point les experts coïncident sur le fait que la crise migratoire qui a poussé Boric à militariser les frontières du pays ainsi que la violence rurale dans ce qu’on dénomme la macro zone au sud du pays (l’Araucanie) sont des points clés que l’on devrait affronter avec la coordination de tous les secteurs politiques. Le Chili a démarré un déploiement militaire dans des points critiques de sa frontière nord avec le Pérou et la Bolivie afin de contrôler l’entrée irrégulière de migrants.

« Le Chili n’a pas fait le nécessaire depuis longtemps pour contrôler les frontières », a déclaré la ministre de l’Intérieur Carolina Tohá depuis Colchane, épicentre de la crise migratoire. Crise migratoire qui a fait que dans les principales villes du pays se reconstituent des centaines de bidonvilles, jadis pratiquement disparus. Les migrants vivent entassés dans des conditions inhumaines. Lors de sa visite dans le Nord du pays devant le mémorial de Pisagua, Gabriel Boric a annoncé sa volonté de faire au niveau national tout son possible pour faire rejaillir la vérité et la justice.

Selon le cabinet de conseils Gémines, le récent rejet de la proposition d’augmentation des impôts du gouvernement du président Gabriel Boric, « jette une note de doute sur les perspectives de convergence des comptes fiscaux ». Cependant, selon Gémines, « il y a suffisamment de temps pour parvenir à des accords permettant d’atteindre plusieurs des objectifs du gouvernement ». On peut également supposer que le précédent créé par le rejet parlementaire est une sorte de signal d’alarme pour ce que sera le traitement de la réforme des retraites. Le cabinet de conseil affirme que « le gouvernement sera contraint de rechercher des accords généraux s’il souhaite progresser dans le traitement de cette réforme, ce qui signifie une réelle ouverture pour apporter des changements pertinents sur les questions pour lesquelles il n’a pas le soutien de l’opposition ».

Comme Gémines l’a exprimé dans des rapports précédents, le gouvernement actuel, loin d’être en mesure de progresser dans son programme de refondation, s’est progressivement transformé en un gouvernement d' »administration », c’est-à-dire un gouvernement qui a été pris en otage par les urgences. Ainsi, selon eux, « l’accent est mis sur des questions telles que la criminalité, la crise migratoire, la violence dans la macro-zone sud et, évidemment, sur les projets les plus importants : la réforme des impôts et des pensions ». Ils avertissent que même l’éventuelle réforme de la santé serait reportée dans une certaine mesure.

En ce qui concerne les perspectives à moyen terme, Gémines continue d’anticiper un scénario assez complexe du point de vue de la convergence des comptes fiscaux vers l’équilibre, et ce indépendamment du rejet de l’idée de légiférer sur la réforme fiscale du gouvernement, qui a rencontré de nombreux obstacles et qui sera complètement redéfinie selon les propositions du ministre des Finances. En tout état de cause, cette façon de traiter les problèmes du Chili est devenue une sorte de modèle défendu par les groupes qui se disent de « centre gauche » et qui ont été rejetés lors du plébiscite du 4 septembre.

Le Chili se trouve dans une période de redéfinition de sa démocratie, avec des transformations structurelles en cours et une opposition engagée dans un maelström contre le gouvernement. Si nous sommes optimistes, peut-être que ce nouveau cycle culminera dans la consolidation d’un projet social-démocrate-écologique-libéral, basé sur un État de droit social et démocratique, où la lutte politique se concentrera sur le « combien d’État ». Après avoir passé la première année du gouvernement du président Gabriel Boric, il est nécessaire de réfléchir à la situation dans laquelle se trouvent les forces politiques progressistes et à leur avenir.

Il est vrai que le résultat du vote du 4 septembre 2022 a modifié le cours du gouvernement actuel, marquant une étape importante dans la corrélation des forces en son sein, mais il a également ajouté de nouveaux éléments à l’analyse avec laquelle certains secteurs ont eu tendance à évaluer la transition démocratique chilienne et les gouvernements de la Concertation et de la Nueva Mayoría (Nouvelle majorité). Ce que montrent pratiquement tous les sondages d’opinion, c’est que, le plus important est le fait que les partis politiques ne sont pas les seuls à être divisés ou polarisés : la société l’est tout autant. L’avenir le dira.

Olga BARRY