Un début d’année tendu pour Gabriel Boric, président du Chili

Après avoir géré une importante grève des transporteurs routiers et approuvé un nouveau processus constitutionnel, Gabriel Boric se retrouve face à une crise de gouvernement. Ce samedi, le président chilien annonce avoir accepté la démission de la ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Marcela Ríos, dans le cadre d’un scandale de grâces présidentielles.

Photo : Infobae

C’était l’une des promesses de campagne du candidat Gabriel Boric : accorder la grâce présidentielle à ceux qui avaient été condamnés injustement lors des révoltes de 2019. Ces violents affrontements sociaux qui ont duré plusieurs mois ont donné lieu à de nombreuses arrestations arbitraires. Une fois élu, le président avait alors prévu de gracier onze condamnés. Or, le 30 décembre dernier, sa ministre de la Justice, Marcela Rios, lui présente une liste de treize.

Dans cette nouvelle liste, un repris de justice, déjà condamné pour de multiples vols et cambriolages, et Jorge Mateluna, un membre du Front patriotique Manuel Rodríguez (FPMR), une branche armée du Parti communiste chilien qui lutta contre la dictature de Pinochet. L’opposition à l’affût, un scandale éclate. Marcela Ríos, par anticipation, présente sa démission à Boric, qui l’accepte. « En raison d’irrégularités dans l’exécution de ma décision d’accorder des grâces et compte tenu également de la nécessité de renforcer la gestion politique du ministère de la Justice et des Droits de l’homme, j’ai décidé d’accepter la démission de Marcela Ríos Tobar de ce portefeuille », a-t-il déclaré ce samedi. C’est l’avocat Luis Cordero Vega, spécialiste notamment du droit de l’environnement, qui la remplacera.

Cette polémique fait également perdre à Boric son chef de cabinet, Matías Meza-Lopehandia, connu pour son engagement pour la cause indigène. Marcela Ríos et lui étaient tous deux membres du parti Convergencia Social, un groupe politique « féministe, socialiste et libertaire » qui fait partie du Frente Amplio, la coalition de partis de gauche qui soutient le président.

En plus d’alimenter un désaccord entre la droite, qui taxe les jeunes libérés de délinquants, et le gouvernement qui affirme le contraire, cette situation ouvre un débat sur la séparation des pouvoirs. En ce qui concerne Jorge Mateluna, alors que Boric affirmait avoir l’intime conviction que son procès avait été biaisé et qu’il était innocent, la Cour suprême du Chili déclare que « ni le président ni le Congrès ne peuvent exercer de fonctions judiciaires, se saisir d’affaires en cours, revoir les motifs ou le contenu de leurs décisions ou relancer des procédures classées. »  Isidro Solís, ancien ministre de la Justice sous Michelle Bachelet voit comme inédit le conflit entre les deux pouvoirs, du moins depuis le retour de la démocratie. À noter toutefois que dans le pouvoir judiciaire résident encore des « enclaves autoritaires »[1], c’est-à-dire des héritages de la dictature, laissés par les militaires à leur départ du pouvoir. Le projet de nouvelle Constitution, pour lequel Boric a été élu, vise à les dissoudre.

Quoi qu’il en soit, cette controverse arrive à un moment périlleux pour Gabriel Boric. Deuxième grande crise de son gouvernement, après le rejet du projet de Constitution par 62 % des électeurs, le président chilien se trouve dans une position délicate.  En effet, ces démissions arrivent juste après que Boric et son gouvernement ont dû appliquer la loi de « Sécurité de l’État » pour résoudre la grève des transporteurs routiers, et trouver un accord avec les partis d’opposition pour entamer la rédaction d’un nouveau projet de Constitution. D’après les chiffres du Centro de Estudios Públicos (CEP), le soutien au gouvernement a chuté de 8 % depuis avril et la désapprobation, quant à elle, atteint désormais 61 %. Un début d’année qui ne s’annonce pas de tout repos.

Marie BESSENAY


[1] Expression du sociologue chilien Manuel Antonio Garretón