« L’Absolu » de l’auteur argentin Daniel Guebel aux éditions Gallimard  

Daniel Guebel est né à Buenos Aires en 1956. Il est l’auteur d’une vingtaine de romans, de recueils de nouvelles, de pièces de théâtre et de scénarios pour la télévision.El absoluto(L’absolu) a reçu en Argentine le prix de l’Académie argentine et le prix national de Littérature. 

Photo : Gallimard

Qu’on se le dise ! La mondialisation, ou globalisation, ne règne pas que sur la finance, le commerce, l’industrie et la politique. Elle existe aussi en littérature. Les écrivains – latino-américains en particulier – voyagent à travers le monde, s’installent un temps ici ou là, ils écrivent sur tel ou tel pays européen, sur les États-Unis, parfois même sur leur propre pays ! Daniel Guebel est argentin ; dans L’absolu, son pays natal n’aura qu’une place réduite et à la fin de notre lecture on pourra parler non de roman universel mais carrément cosmique, peut-être même immortel. 

Si la (ou les) personne(s) qui se dit narrateur est fier de son héritage, Daniel Guebel est le parangon de l’auteur omniscient qui non seulement raconte les faits mais qui les crée, qui invente une réalité bien plus réelle que ce qu’on a pu lire – et croire – jusque-là. Il domine tout, l’histoire européenne, la biographie d’un compositeur célèbre et méconnu, la psychologie de personnages historiques, une pincée de science-fiction, tout vraiment ! Et il le fait dans un humour permanent qui évoluera vers la gravité et finira par s’effacer, un humour qui nous fait hausser les sourcils (étonnement et plaisir). 

Alexandre Scriabine est l’axe de cette vaste saga : cinq générations gravitent autour de lui, Moi, le narrateur final étant le dernier maillon de sa famille inventée, comme sont inventées les aventures délirantes des aïeux de Moi. Daniel Guebel, omniscient, omnipotent, rigoleur, ne se refuse rien, et il a bien raison. Qui d’autre mêlerait dans un même épisode Ignace de Loyola, Lénine et Napoléon Bonaparte ? La pseudo-folie dont il se pare est maîtrisée, elle l’autorise à aller très en profondeur dans l’analyse de questions qui lui tiennent à cœur, la création et ses diverses facettes. Quand on voit, dans le premier épisode, l’arrière-arrière-grand-père de Moi inventer une technique de création musicale née de gémissements variés de femmes avec lesquelles il copule dans l’enthousiasme, c’est de la recherche de tout inventeur qu’il parle. À chaque aïeul son style, leur point commun est leur nécessité d’avancer vers l’inconnu. À chaque chapitre son style, parodie de roman d’aventures ou conte philosophique entre autres. 

Résumons en quelques mots (quelle audace !) ce qui fut pour Moi le grand projet d’Alexandre Scriabine : sauver l’univers par sa musique. N’est-ce pas aussi le grand projet de Daniel Guebel ? Le compositeur a cherché pendant des années le groupement absolu, définitif, de notes qui formeraient l’aboutissement génial et rendrait le monde parfait. Cela commence avec l’accord mystique (Do-Fa # – Do / Mi – La – Ré), qui par ailleurs n’a pas provoqué autant d’effet que ce qu’il avait espéré. Question subsidiaire : la perfection absolue étant inatteignable, peut-on, au moyen de sons propagés dans l’espace, réaligner des planètes qui risquent de ne plus jouer leur rôle de planètes bien sages ? Cet exemple est à l’image de ce roman sérieux (thèmes scientifiques, histoire de l’Europe, paternité et filiation, place fondamentale de la musique et bien plus) et complètement fou, ouvrage gigantesque par ses focalisations successives, d’un humour étonnant et changeant. 

Christian ROINAT
Américanostra

L’absolu, traduit de l’espagnol (Argentine) par Gersende Camenen, éd. Gallimard, 493 p., 24 €. Daniel Guebel en espagnol : El absoluto, ed. Literatura Random House / El hijo judío / Las mujeres que amé , ed. De Conatus, Madrid / Un resplandor inicial, ed. Ampersand, Madrid. Daniel Guebel en français: L’homme traqué, éd. L’Arbre vengeur, Bordeaux.