Sommet des Amériques à Los Angeles : Cuba, Venezuela et Nicaragua dans le collimateur des États-Unis

« Les Anges » seront-ils auréolés par la présence des trente-cinq pays américains lors du IXe Sommet des Amériques en juillet prochain ? L’ombre d’un boycott plane sur la ville californienne après les déclarations de Washington. Les représentants des gouvernements antidémocratiques ne seraient pas les bienvenus, malgré l’annonce de l’assouplissement du blocus cubain et l’ouverture d’un dialogue avec le Venezuela concernant l’exportation du pétrole.

Photo : La Jornada

Tous les trois ans environ, la « promotion de la démocratie », la « défense des droits de la personne », la « garantie d’une approche multidimensionnelle de la sécurité », la « promotion du développement intégré et de la prospérité », l’« appui à la coopération juridique interaméricaine », figurent parmi les thèmes essentiels de ce processus d’intégration continental inauguré en décembre 1994. Ce premier sommet, sous le gouvernement de Bill Clinton et l’égide de l’Organisation des États américains (OEA), avait été organisé à Miami par son influence hispanique, de même que le siège de la prochaine réunion fait figure d’emblème de la réalité démographique du continent américain. 

Deuxième plus grande ville des États-Unis, Los Angeles rassemble la plus grande communauté hispano-parlante du pays. Par son poids démographique (39 % de la population californienne est d’origine hispanique et latino-américaine) la « Cité des Anges » offre donc le cadre idéal pour ce neuvième sommet organisé cette fois par l’administration de Joe Biden. C’est un enjeu majeur dans ce vaste continent, où les trois quarts des richesses appartiennent aux États-Unis, 15 % au Brésil, au Canada et au Mexique et les 10 % restants sont répartis entre les 31 autres pays de ce qu’on appelle l’arrière-cour historique du grand gendarme du Nord : l’Amérique du Sud et les Caraïbes.

Pour mieux comprendre le climat dans lequel le prochain Sommet des Amériques va se dérouler, il faut rappeler qu’au rendez-vous de Miami est née ce qu’allait devenir le motif de discorde. La Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA, en espagnol ALCA) avait comme objectif de créer un marché unique bénéficiant à près d’un milliard de consommateurs de l’Alaska à la Terre de Feu. Une idée novatrice à l’époque, mais vite décriée par son plus ferme opposant, Hugo Chávez, notamment lors du IVe sommet tenu en Argentine (2005) avec ce propos qui restera au cours des siècles dans les annales de la haute diplomatie sud-américaine : « Alca, Alca, al carajo ! » (1).

Car pour le défunt leader vénézuélien, ainsi que pour les dirigeants de gauche qui gouvernèrent la grande majorité des pays du Cône Sud à cette époque (le Brésil, l’Uruguay, l’Argentine, l’Équateur, le Nicaragua, la Bolivie…), les effets de la vision néolibérale prônée par les États-Unis et le Fond Monétaire International (FMI) étaient à l’origine des crises économiques persistantes qui frappaient durement les classes laborieuses sur tout le sous-continent. Sur ce point, le souvenir d’une explosion sociale en particulier reste encore dans la conscience collective sud-américaine, avec ce cri d’indignation des manifestants argentins contre les responsables politiques pendant la crise de 2001, « Que se vayan todos ! » (Qu’ils s’en aillent tous !).

En ce sens, depuis la première réunion à Miami, les projets sociaux, économiques et politiques prônés par le Nord tout-puissant ont été la principale difficulté pour trouver un consensus global avec le Sud toujours en voie de développement. Cette éternelle rivalité panaméricanisme étasunien vs. latino- américanisme est donc à l’origine d’un marché alternatif au ZLEA : la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC). Créée lors du quatrième sommet en Argentine (2005), depuis son entrée en vigueur, le 23 février 2010, la CELAC réunit 33 pays américains à l’exception des États-Unis et le Canada. Elle remplace le Groupe de Rio créé en 1986 afin d’améliorer l’intégration et le développement des pays concernés avec l’objectif de trouver une certaine indépendance à l’égard de Washington. 

À présent, le rapport des forces n’est pas le même que lors des Sommets précédents. En effet, la CELAC est en mesure de présenter un front uni face aux intentions de l’Oncle Sam doublées de son image inextricablement liée à la finance impérialiste. Une tendance qui pourrait s’accentuer dans les prochains mois avec une nouvelle vague gauchiste sur le Cône Sud, notamment en Colombie et surtout au Brésil avec le retour en politique de l’ex-président Lula da Silva. C’est dans ce contexte que la position des États-Unis pour refuser la participation au sommet aux pays où « démocratie » reste toujours un vilain mot (Cuba, Venezuela et Nicaragua) a suscité des vives réactions. Ainsi, lors d’une conférence de presse dans la capitale nicaraguayenne, Managua, le 18 mai, Daniel Ortega a déclaré que « le spectacle que les dirigeants yankees donnent » avec ce « fameux sommet » est « une honte ». Le président nicaraguayen a aussi rappelé à ses homologues que « nous, Latino-Américains, devons-nous défendre pour qu’ils nous respectent. » (2)

Le même jour, Bruno Rodríguez, le ministre cubain des Affaires étrangères, a fustigé l’intention d’exclure du sommet son pays et ses alliés. Pour le gouvernement castriste, c’est une mesure discriminatoire qui « constitue un pas en arrière dans les relations hémisphériques ». Une semaine auparavant, les présidents de la Bolivie, Luis Arce, et du Mexique, Andrés Manuel López Obrador (qui s’est rendu récemment à Cuba), ont prévenu qu’ils ne se rendraient pas à Los Angeles si le pays hôte n’invitait pas la totalité des pays américains. Par ailleurs, le président mexicain, pour qui « l’Amérique c’est tous les Américains », est allé plus loin en proposant que la CELAC remplace l’OEA, organisation dont l’efficacité est en déclin aux yeux des dirigeants latino-américains.

De son côté, Ronald Sanders a déclaré que « le Sommet n’est pas une réunion [étasunienne], donc les États-Unis ne peuvent pas s’arroger le droit de décider qui est invité et qui ne l’est pas ». Dans le même communiqué, l’ambassadeur d’Antigua et Barbuda aux États-Unis a souligné que la Caricom (les pays de la Communauté des Caraïbes) envisageait de ne pas participer du sommet si Cuba, le Venezuela et le Nicaragua ne recevaient pas d’invitation. 

Un autre gouvernement s’est rangé du côté des protestataires. Celui de la récemment élue et candidate de gauche Xiomara Castro, première femme présidente du Honduras. Ce pays illustre bien le changement qui est en train de se produire en Amérique latine vis-à-vis du grand gendarme du Nord, après plus d’une décennie de loyales, voire serviables, relations diplomatiques. Enfin, en tant que président pro tempore de la CELAC, le président argentin Alberto Fernández a exhorté les organisateurs du sommet « à éviter les exceptions qui empêchent toutes les voix de l’hémisphère de dialoguer et d’être entendues ». Et pourtant, les États-Unis semblent rester indifférents aux protestations : « les pays dont les actions ne respectent pas la démocratie ne recevront pas d’invitations », a martelé le sous-secrétaire d’État pour l’hémisphère occidental, Brian Nichols. Cependant, l’exclusion de Ariel Henry, premier ministre illégitime du régime autocrate haïtien, n’est pas à l’ordre du jour (mis en place par les États-Unis).

Dans un communiqué annonçant l’organisation du sommet, diffusé en mars 2022, Washington a souligné le fait que « les intérêts nationaux vitaux des États-Unis sont inextricablement liés à la réussite de nos plus proches voisins des Amériques. Ainsi, la capacité de nos démocraties à combler le fossé entre ce que nous promettons et ce que nous accomplissons dépend en grande partie de ce que nous faisons, ensemble, pour la renforcer ».

Au programme, voici les thèmes qui seront abordés pendant la réunion pour renforcer les relations Nord-Sud : l’avenir vert et les énergies propres ; la participation des jeunes à la politique ; la prospérité économique ; la gouvernance démocratique ; le redressement des pays post Covid-19 et la résilience aux pandémies ; la migration ; la transformation des infrastructures numériques de l’hémisphère occidental. « Les États-Unis attendent avec intérêt la réunion des dirigeants et des parties prenantes de tout l’hémisphère pour faire progresser notre engagement commun en faveur de la prospérité économique, de la sécurité, des droits humains et de la dignité », a déclaré la Maison Blanche. Ce sont de beaux et louables mots qui, de la Terre de Feu au sud du Rio Bravo, résonnent comme un écho stérile depuis des décennies. 

Eduardo UGOLINI

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1. Traduction académique : « ALCA, au diable ! », mais elle ne reflète pas la vulgarité du propos en espagnol, surtout dans la bouche d’un chef d’État dans le contexte d’un sommet international. « ALCA, va te faire foutre ! » est plus proche de la réalité du discours et de la rhétorique médiocre qui caractérise une certaine classe politique sud-américaine.

2. C’est justement la méthode que son régime totalitaire et népotique a employé contre ses adversaires politiques, réprimés ou arrêtés, pour s’offrir impunément un quatrième mandat consécutif.