La présidente jouit de 80 % de popularité alors qu’elle célèbre cette semaine son premier anniversaire à la tête du Mexique. Une notoriété qu’elle obtient grâce à la politique sociale de son mentor Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO) mais aussi grâce à sa posture scientifique et stratège face à Donald Trump.
Cette année, la Fête nationale prend une tournure historique puisque c’est une femme qui lance pour la première fois le fameux « cri » de l’indépendance. A 23 h, Claudia Sheinbaum s’avance alors au balcon du palais vêtue d’une robe violette, couleur de la lutte des droits des femmes, devant une foule toute ouïe. Puis elle s’écrie en énumérant les noms des héros de l’indépendance, mais elle y ajoute une touche personnelle : « Vive les héroïnes anonymes ! » lance-t-elle, avant d’égrener le nom de plusieurs héroïnes longtemps ignorées. Au moment de nommer la célèbre Josefa Ortiz, elle omet volontairement son nom marital au profit de son nom de jeune fille : « Vive Josefa Ortiz Tellez-Giron ! » Face à elle, la foule répond par des « Viva ! Viva !», avant que l’hymne mexicain résonne.
La foule se disperse. Lors de cette Fête nationale, Claudia Sheinbaum a pu toucher de plus près sa popularité : alors que le 1er octobre marque son premier anniversaire à la tête du Mexique, son action est plébiscitée par 80 % de la population, selon un sondage du journal El País. « A l’international, le Mexique est connu pour être un pays machiste, témoigne Isabel Vélez, sage-femme de 53 ans, après le « cri ». Mais c’est le temps des femmes maintenant. Claudia montre aujourd’hui que nous pouvons occuper des postes à responsabilité !» Le fait d’être une femme à gouverner un pays de 130 millions d’habitants encore violent pour les femmes joue forcément en sa faveur. Mais il ne suffit pas à expliquer l’amour que portent les Mexicains pour leur presidenta.
En rassemblement à Puebla, quatrième ville du pays, à deux heures de Mexico, elle s’est retrouvée face à plus de 20 000 militants, mi-septembre, lors d’une tournée à travers tout le pays. Avant son entrée de rock star, un seul cri : « Claudia, Claudia, Claudia !» ; dans la foule, des pancartes avec parfois des cœurs dessinés autour du profil de Sheinbaum et sa célèbre queue de cheval. « La présidente nous prend en compte, nous les indigènes et les plus pauvres alors que les gouvernements antérieurs nous avaient abandonnés, se réjouit Dolores Aquino, indigène Totonaque de 40 ans. Mes parents touchent la pension pour personnes âgées. Parfois, nous ne pouvons plus être là pour les aider, alors ce programme social nous fait un bien fou !»
Sociale, scientifique et pragmatique
Car telle est la raison initiale de la popularité de Claudia Sheinbaum : Andrés Manuel López Obrador arrivé en 2018 avec l’espoir de toute une classe populaire déclassée par des années de néolibéralisme, a été précurseur en matière de programmes sociaux. Avec 70 % de popularité à son départ, il a laissé un boulevard à sa protégée. Et le Mouvement de régénération nationale (Morena, signifiant également « basanée », le parti jouant sur ce terme pour attirer la classe populaire), véritable machine politique, l’a propulsé comme la femme providentielle pour poursuivre la « transformation sociale » du Mexique. C’est cette politique de programmes sociaux pour les indigènes, les paysans, les jeunes et les retraités, ainsi que l’augmentation par trois du salaire minimum, qui ont permis de faire sortir 13,4 millions de Mexicains de la pauvreté depuis 2018, selon un Conseil d’évaluation de politiques sociales. Amlo et sa protégée sont donc adorés par la majorité.
Mais la doctora, ancienne membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat à l’ONU, fait davantage d’adeptes que son mentor en dehors de la gauche. « Elle a su adopter un ton plus sérieux, loue sans détour Patricia Mercado, députée progressiste du Mouvement citoyen (centre). Elle a su exploiter son leadership dans une période où les Mexicains donnent davantage leur confiance à des politiciennes, assure cette féministe. Sa phrase : « Je n’arrive pas seule, nous arrivons toutes », ce n’est pas que du marketing, on sent qu’elle veut faire avancer les choses. » Début septembre, le gouverneur de droite du Durango, Ernesto Villegas, lui a déclaré sa flamme : « Ici, vous avez des amis, sentez-vous comme chez vous en famille. Même si nous ne sommes pas du même parti, je m’identifie à vous, je suis «Claudiste», ne l’oubliez pas !»
Pourtant, il reste des domaines dans lesquels Morena laisse à désirer : le conflit qui dure entre cartels depuis 2006 et qui fait 30 000 morts par an reste la principale préoccupation des Mexicains en plus de la corruption et l’hôpital public toujours en manque de moyens. « Tout cela et les récents scandales de corruption au sein de Morena auraient pu la déstabiliser, estime la politologue Cecilia Liotti. Mais elle ne semble pas touchée, comme si ces scandales n’éclaboussaient que les personnes concernées. Elle, elle semble au-dessus de tout cela ».
Solide face à Donald Trump
Lors de la fête d’indépendance, un autre message a ponctué le « cri » de la présidente :
« Vive nos sœurs et nos frères migrants ! Vive le Mexique libre, indépendant et souverain ». Un « cri » qui a résonné jusqu’aux Etats-Unis en direction des millions de Mexicains partis chercher une vie meilleure, aujourd’hui persécutés par la police migratoire américaine. D’ailleurs, les négociations imposées par Donald Trump, qui a menacé le Mexique de tarifs douaniers, ont joué en faveur de l’ancienne maire de Mexico. Cecilia Liotti note « des négociations fermes, sans soumission. Sa résistance à l’ingérence américaine qui souhaite intervenir sur le sol mexicain pour lutter contre le narcotrafic a créé une union de la société derrière sa présidente. »
Lors de cette période décisive avec le président américain, sa capacité à négocier a même été reconnue par le patronat : « Nous sommes en train de faire un front commun avec la présidente, a déclaré en mars Fernando Cervantes, directeur du Conseil coordinateur patronal. Nous la soutenons pour qu’avance cette négociation. » Malgré la corruption et la violence des cartels qui touchent certaines régions du pays, la grande majorité des citoyens font bloc derrière leur presidenta, qui apporte un souffle nouveau dans un pays où les hommes ont longtemps mené le destin du Mexique.
D’après La Jornada
& Les Temps (Genève)