La Caméra d’or pour le film colombien « La tierra y la sombra »

Le cinéma italien, grand favori de la compétition cannoise est reparti injustement bredouille. La France remporte la Palme d’Or grâce à Jacques Audiard et à son film en tamoul, Dheepan, l’homme qui n’aimait plus la guerre. Elle reçoit aussi les Prix d’Interprétation : Emmanuelle Bercot (ex-æquo) pour son rôle dans  Mon Roi de Maiwenn et Vincent Lindon dans La loi du marché de Stéphane Brizé. Le réalisateur mexicain Michel Franco a obtenu le Prix du Scénario pour Chronic, seul film latino de la sélection officielle.

Mais c’est mérité que La tierra y la sombra, du Colombien César Augusto Acevedo ait obtenu la Caméra d’Or, qui récompense un premier film, toutes sélections confondues. Il prend ainsi la suite de Las Acacias de Pablo Giorgelli, qui avait obtenu cette récompense en 2011. Ce n’est pas tout car les films latinos des sections parallèles ont été largement récompensés. C’est ainsi que jeudi soir, la Semaine de la Critique a remis ses prix. Le jury présidé par Ronit Elkabeth, comédienne et réalisatrice, entourée par Katell Quillévéré, Andréa Picard et Boyd Van Hoetj a remis le Grand Prix Nespresso au film argentin Paulina (la patota) de Santiago Mitre, dont nous avons dit le plus grand bien la semaine dernière. Il a reçu aussi le Prix de la FIPRECI, la presse cinématographique internationale. Le prix Révélation France 4 a été décerné à La tierra y la sombra. Le film a obtenu également le prix des auteurs SACD. Soit trois prix pour ce film dont on pourra lire l’entretien avec le réalisateur dans le prochain numéro d’Espaces Latinos.

Ce très beau film, La tierra y la sombra, raconte l’histoire d’Alfonso, un vieux paysan qui revient au pays, 17 ans après avoir abandonné les siens, pour se porter au chevet de son fils malade. Il retrouve son ancienne maison, où vivent encore celle qui fut sa femme, sa belle-fille et son petit-fils. Il découvre un paysage apocalyptique. La demeure est cernée par d’immenses plantations de cannes à sucre dont l’exploitation provoque une pluie de cendres. Le film est très sensible. S’il ne montre pas la violence, celle-ci est toujours présente dans cette région de canne à sucre où les ouvriers sont très mal payés et souvent avec retard et où l’air est irrespirable lorsque l’on brûle les champs.

Le réalisateur s’est penché sur cette histoire de famille où défendre sa terre coûte que coûte, même si elle leur appartient, ne peut conduire qu’à la mort. La pollution qui en résulte cloue au lit le fils, avec peu d’espoirs de guérison. Cette famille est désarmée face aux industriels qui les exploitent, c’est pourquoi les personnages doivent constamment se battre contre le désespoir. Même les oiseaux ont déserté le lieu. Seule une révolte commune permet de faire venir un médecin. En recevant la Caméra d’or, il a dédié ce prix «  à tous les paysans de Colombie. Ce sont eux les héros de ce pays. Je veux leur dire qu’ils ne sont pas seuls. » Ce film qui sortira en septembre montre aussi la bonne santé du cinéma colombien qui présentait trois films pour une production annuelle de 40 films.

Alias María, est aussi un film colombien réalisé par José Luis Rugeles. María, 14 ans, mais qui en paraît 20, soldat de la guérilla, est chargée d’une mission en compagnie d’autres enfants soldats : emmener le bébé du commandant et le mettre en sécurité. Il n’y a que la jungle, l’arbitraire, les ordres aboyés et la brutalité. Mais María a un secret qui la forcera à s’enfuir. Elle est enceinte, et ne veut pas avorter car lui reste la force et l’espoir. María est silencieuse mais perçoit les dégâts provoqués par la guerre. Pour le réalisateur « Plus qu’un film d’action et de guerre, j’ai voulu montrer non seulement la violence mais aussi ses traces, du point de vue d’une toute jeune fille, d’une future mère, en lutte pour son avenir.» La caméra se déplace dans la jungle au plus près des personnages.

Las eligidas (les élues) est un film mexicain de David Pablos. Tourné en 2014 à Tijuana avec une équipe d’acteurs locaux entièrement amateurs, Las Elegidas évoque la problématique de la traite des femmes. Le film met à l’écran les doutes d’un jeune garçon issu d’une famille de trafiquants qui racole pour la première fois une très jeune fille pour que sa famille en fasse une prostituée. Il aime bien cette jeune fille, mais pour la faire sortir, il devra en fournir une autre. Le trafic des femmes à Tijuana est malheureusement connu. Le film montre assez bien comment les choses se passent, même si je trouve que les jeunes filles paraissent un peu trop naïves. Malheureusement la réalisation est quelconque. Et l’on sent trop que le réalisateur vient de la publicité. Je n’ai pas pu voir Chronic, le film tourné en anglais par le cinéaste mexicain Michel Franco, auteur de deux beaux films : Daniel y Anna en 2009 et Después de Lucía primé à Cannes en 2012. Le thème est intéressant : un aide-soignant, David interprété par Tim Roth, travaille auprès de personnes en phase terminale. Efficace et passionné par son métier, il noue des relations qui vont au-delà du cadre médical et instaure une véritable intimité avec ses patients. Par contre, il n’en est pas de même dans sa vie privée. Le film a gagné le Prix du Scénario.

Le Jury de la Cinéfondation et des courts métrages présidé par Abderrahmane Sissako a primé trois films parmi 18 films d’étudiants en cinéma sélectionnés parmi 1 593 candidats en provenance de 381 écoles dans le monde. Le deuxième prix fut attribué à Locas Perdidas réalisé par Ignacio Juricic Merillán de l’école Carrera de Cine y TV Universidad de Chile (Chili). En 1996, Rodrigo (18 ans) est arrêté dans la boîte de nuit où il travaille comme transformiste, lors d’une perquisition filmée par la télévision. Samedi, a été décerné le prix du meilleur documentaire, L’œil d’or. Initié par la présidente de la Scam, Julie Bertuccelli, avec le soutien du délégué général du Festival Thierry Frémaux. Ce prix doté de 5000 euros, a été remis à Allende, mi abuelo Allende de Marcia Tambutti Allende. Comme je l’ai expliqué la semaine dernière, la petite-fille d’Allende va interroger les membres de sa famille renouant aussi bien avec le passé que le présent. Peu à peu sous nos yeux, elle reconstitue un album vivant, parfois douloureux, mais où les femmes ont aussi leur place.

Enfin, le Art Cinema Award (attribué par la CICAE) a distingué le très curieux film en noir et blanc El abrazo de la serpiente du Colombien Ciro Guerra dont nous avons parlé la semaine dernière sur les Indiens disparus de l’Amazonie. Après Berlin et ses quatre prix, Cannes a aussi montré le meilleur du Cinéma latino. Les nouvelles voix ont parlé haut et clair et nous les retrouverons dans les festivals. Ce qui est réconfortant également c’est que ces films ont trouvé un distributeur en France. Nous en reparlerons donc lors de leur sortie. Si les paillettes sont maintenant rangées dans la naphtaline, l’actualité du cinéma latino continue. Ce mercredi 27 sort sur les écrans Los Hongos dont vous trouverez la présentation ci-après.

Les graffeurs de Cali

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Los Hongos est un film colombien d’Oscar Ruiz Navia dont j’avais apprécié le premier film La Barra (El Vuelco del Congrejo), sorti en 2009.

Dans la journée, Ras est ouvrier dans le bâtiment. Tous les soirs après le travail, il tague des graffitis sur les murs du quartier dans l’est de la ville. Quand il vole plusieurs pots de peinture pour finir une immense fresque murale dédiée aux révoltés des printemps arabes, il est renvoyé. Sans le sou, il arpente la ville à la recherche de Calvin, son ami graffeur qui fait des études d’art et veille avec amour sur sa grand-mère.

“Ce qui m’intéresse, explique le réalisateur, c’est le réel. Mais, à partir du réel, j’ai construit quelque chose qui n’est pas forcément réaliste. Il y a comme une analogie, une similitude avec les graffeurs qui eux aussi se basent sur le réel, mais peignent par la suite quelque chose qui décolle du réalisme et qui se mêle avec l’imagination et le désir. En amont du film j’ai mené une véritable enquête, mais ce n’était qu’un premier pas pour passer à autre chose.

Le film doit faire penser à quelque chose qui existe, mais le résultat n’est pas réaliste. En ce sens, je ne sais pas si on peut parler de documentaire. Il s’agit d’un film qui, tout en étant une fiction et donc en n’étant pas réaliste à tout moment, parle de notre temps. J’espère que dans dix ou quinze ans, les gens pourront voir le film et se dire : “Cali, c’était comme ça avant. Les gens étaient comme ça.” Parce que le film contient des éléments très réels. Le personnage du “ Sudaca” est comme ça dans la vie. Il joue mais tout en étant lui-même. (…)

J’ai réalisé récemment que tout ce que j’ai essayé de faire jusqu’à présent et que je souhaite poursuivre réside dans ce mélange, dans cette ambiguïté entre vérité et fiction sans qu’on ne puisse établir la frontière qui les sépare. Et bien qu’il y ait manipulation, le résultat final doit générer une sensation qui fait penser à la vie.

Ce qui me paraît plus intéressant que de choisir un acteur et de créer un personnage, c’est de travailler avec une personne réelle, de recevoir ses idées et de les réécrire pour les lui faire dire. Créer un mélange entre ce que l’on contrôle et ce qu’on ne peut pas contrôler. J’aime beaucoup ce travail avec les gens et ce jeu entre la vérité et le mensonge. Pour moi, le travail de casting est fondamental. Ce travail de recherche, d’exploration, c’est ce qui donne l’authenticité au film. J’ai mis un an et demi pour trouver les acteurs qui ne sont pas professionnels. (…)

Pour moi, Los Hongos (les champignons), sont ces êtres vivants qui surgissent dans un milieu de pourriture, de décomposition. Mais Calvin et Ras continuent d’aller de l’avant, ils ne se laissent pas freiner par leurs problèmes financiers, sentimentaux ou familiaux. Ils veulent seulement peindre et s’exprimer. C’est le concept du film. Mais il n’y a pas que Calvin et RAS qui sont des champignons, tous les personnages le sont (la grand-mère, le père, María). Tous sont des champignons. Ils luttent pour leur vie, pour ce qu’ils veulent faire, bien qu’il y ait autour d’eux une certaine pourriture.” Les personnages comme la grand-mère ou le père sont pittoresques, mais à un moment le film arrête son scénario pour devenir un documentaire sur les graffiti géants de Cali et les problèmes de leurs auteurs avec la police, ce qui est un peu dommage.

Alain LIATARD
Envoyé spécial à Cannes

Los Hongos, de Oscar Ruiz Navia, 1 h 43, sortie le 27 mai