Qu’en est-il de la culture face au coronavirus ? Le cinéma français face à l’épidémie

Le ministre de la Culture a attendu jusqu’au 5 mai dernier, veille de la déclaration du président de la République, pour s’exprimer sur le sujet. Rappelons que la culture en France représente 2,3 % du produit intérieur brut et emploie environ 630 000 personnes. « Sept milliards d’euros pour relancer l’industrie aéronautique, rien encore pour le cinéma et la télévision, qui pourtant nous accompagnent quotidiennement dans notre vie confinée, seules fenêtres ouvertes sur un monde devenu inaccessible » avait déclaré la productrice Carole Scotta dans une tribune du journal Le Monde

Photo : Bull de cultures

Les petits musées, les médiathèques et les bibliothèques rouvriront leurs portes. En ce qui concerne les cinémas, les théâtres, les salles de concert et les grands musées, il faudra attendre fin mai, en d’autres termes, la seconde étape du déconfinement, pour en savoir (peut-être) plus sur leur sort. Les salles des fêtes et les salles polyvalentes resteront également fermées, au moins jusqu’au 2 juin. Suite à l’intervention du président, Télérama titrait : « Aide-toi, aide notre jeunesse, et l’État t’aidera ». « Remettre en cause le fait que la culture est un produit de première nécessité a fait beaucoup de mal au secteur culturel, mais cela ne sert à rien de geindre, déclare le directeur du Centre Pompidou. Le défi qui nous attend maintenant est d’obtenir la rigueur sanitaire la plus stricte tout en retrouvant la joie de la culture. » 

La crise sanitaire et le confinement ont un lourd impact sur l’activité du cinéma et des salles obscures, fermées depuis le 14 mars. Quand ces dernières rouvriront enfin leurs portes, nos habitudes de spectateurs auront-elles changé ? C’est la première fois que les presque 6 000 écrans de plus de 2 000 lieux de cinéma restent noirs. Cela n’était même pas arrivé durant la Seconde Guerre mondiale. Les articles dans la presse et sur les réseaux sociaux se multiplient depuis que le Premier ministre a annoncé que les cinémas resteraient fermés au moins jusqu’en juillet. Comme en plus les exploitants auront besoin de quelques semaines pour remettre la machine en marche, l’été est très incertain. Il est déjà évident que les spectateurs devront porter des masques dans les parties communes et que les salles ne pourront accueillir que la moitié de leur capacité (un rang sur deux) ou même le quart de la capacité s’il faut n’utiliser qu’un fauteuil sur deux ! Dans ces conditions, les spectateurs auront-ils envie de revenir ? Ou préféreront ils aller respirer dehors ? « Je ne veux pas tomber dans la psychose ou dans le triomphalisme, déclare un responsable d’un grand circuit. On a monté une cellule de crise afin de passer en revue tous les enjeux de la réouverture : achat des masques, nettoyage des salles après chaque séance, réduction des jauges avec peut-être un fauteuil sur trois et une rangée sur deux, jusqu’à la question de la ventilation qui pourrait contribuer à faire circuler le virus. »

En France, c’était quatorze films qui sortaient chaque semaine. C’est donc plus d’une centaine qui attend. Certains, avec une dérogation, ont été directement mis en ligne sur les plateformes. Par exemple, le film Pinocchio de Matteo Garrone qui devait sortir durant les vacances de Pâques sera directement disponible sur Amazon Prime Vidéo à partir du 4 mai. « Cette vente était nécessaire pour tenir économiquement », indique Jean Labadie, le président de la société Le Pacte. « Nous avons déjà investi 700 000 euros en frais d’édition et avec le flou entourant la réouverture des salles cet été, nous ne pouvions pas attendre le dernier trimestre et devoir investir à nouveau le même montant dans une période de grande concurrence. » La possibilité de piratage du film, sorti fin décembre en Italie, a également été prise en compte : « Nous détruisons chaque jour des liens pirates. Nous souffrons sur tous nos films d’un piratage extrême alors que le marché VOD (Vidéo à la Demande), malgré une reprise, reste insuffisant pour être significatif ». Les pertes des salles pourraient atteindre 300 millions d’euros d’ici à juillet. En attendant, les plateformes sortent le grand jeu. Par exemple, Netflix propose maintenant douze films de François Truffaut.

Les près de 15 000 salariés de l’exploitation bénéficient aujourd’hui du chômage partiel et les pertes des salles pourraient atteindre 300 millions d’euros d’ici à juillet. Mais la question la plus épineuse, pour les salles de cinéma, reste celle du loyer. Les municipalités, si elles sont propriétaires des murs, y renonceront le temps du confinement mais de nombreuses salles indépendantes n’auront pas cette chance. Et pourtant, nombreuses sont celles qui proposent des expériences très intéressantes. Par exemple, le cinéma La clef, à Paris, projette des films sur un mur d’immeuble, que les voisins peuvent voir de leur fenêtre. Par ailleurs, sont tentées des expériences de Drive-in où il s’agit de rester dans sa voiture pour voir un film sur un parking. Le site La toile propose aux spectateurs de voir des films et, ainsi, de rémunérer leur salle habituelle.

Cependant, les exploitants ne sont pas les seuls touchés. Depuis la mi-mars, l’ensemble du secteur est frappé de plein fouet par la cessation d’activité. « Toutes les entreprises en lien avec le cinéma sont touchées : pas seulement les producteurs, les distributeurs et les exploitants, mais aussi les services techniques, les loueurs de matériel, la post-production, la presse spécialisée », explique Laurent Cotillon, le directeur de l’hebdomadaire des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel Film français. Du jour au lendemain, de nombreux tournages ont en effet été interrompus, du côté du cinéma comme des séries. À Montmartre, on peut encore apercevoir les décors abandonnés d’Adieu Monsieur Haffmann, le nouveau film de Fred Cavayé avec Daniel Auteuil et Gilles Lellouche. De son côté, Thomas Lilti, ancien médecin et réalisateur d’Hippocrate a dû arrêter la deuxième saison de sa série et est retourné travailler à l’hôpital. Même l’emblématique série Plus belle la vie vient de s’arrêter car elle n’avait plus de nouvel épisode à diffuser. 

Le cinéma, comme beaucoup d’autres secteurs de la culture, emploie des intermittents. Un intermittent du spectacle, qu’il soit artiste ou technicien, a droit à une indemnisation chômage dès lors qu’il a travaillé 507 heures sur une période de référence de douze mois. La période de confinement ne sera pas intégrée dans les douze mois qui ouvrent droit à l’indemnisation. Nombreux sont ceux qui devaient travailler en particulier durant les festivals. Par exemple, le nombre d’intermittents au festival d’Avignon est énorme (en On comme en Off). Les intermittents ne sont donc pas rassurés : beaucoup ont peur de ne pas pouvoir reprendre le travail à la rentrée car beaucoup de spectacles ne seront pas créés. L’annulation des festivals aura donc de lourdes retombées financières sur les intermittents, mais aussi sur les villes organisatrices.

Un seul secteur semble se réjouir du confinement : les plateformes de vidéo à la demande par abonnement. Netflix a maintenant plus de 183 millions d’abonnés dans le monde tandis que Disney+, qui vient d’arriver avec succès en France, en compte 50 millions. Cependant, sur Disney+, les films sont retouchés. Dans un de ses articles, Télérama évoque les choix de censure de la plateforme : les fesses de la Petite Sirène dans Splash n’apparaissent pas à l’écran, les mots grossiers sont supprimés  et « des messages, indiquant que certaines scènes comportent de la ‘‘consommation de tabac’’» accompagnent notamment le début des Aventures de Bernard et Bianca (1977) ou des 101 Dalmatiens (1961). Par ailleurs, puisque les corbeaux de Dumbo (1941) et les chats siamois de La Belle et le Clochard (1955) jouent sur des caricatures racistes, ces deux films présentent désormais un avertissement dans leur résumé précisant qu’ils « peuvent contenir des représentations culturelles obsolètes ».

Personnellement, je vous recommande la plateforme Univers Ciné qui propose de nombreux films pour un abonnement à 0,99 euros. Par exemple, le site propose plus d’une centaine de titres argentins ou encore le très bon film Une mère incroyable de Lolli, sorti en février. La Cinetek, le site des réalisateurs et la plateforme Tenk, pour le documentaire, ont aussi des offres très intéressantes. Enfin, pour ceux d’entre vous qui n’auraient pas besoin de sous-titres français, certains sites latinos proposent parfois des films gratuitement. Évidemment, il y a très peu de films ibériques ou latinos à voir en VOD. Citons cependant Ya no estoy aquí de Fernando Frías de la Parra qui a reçu une mention spéciale du Jury coup de cœur pour la compétition long métrage organisée en ligne par le festival Cinélatino et qui sera disponible sur Netflix le 27 mai.

Aura-t-on envie de retourner dans les salles de cinéma lorsque ce sera à nouveau possible ? Ne préférera-t-on pas plutôt aller au restaurant avec des amis ou se promener dans la campagne ? Le milieu culturel cherche des solutions, mais personne ne se fait d’illusion ; tant que le Covid-19 ne sera pas vaincu, la vie culturelle ne pourra pas réellement reprendre.

Alain LIATARD