Le Mercosur, alliance économique de quatre pays d’Amérique du Sud, fête ses 30 ans

Le 26 mars 1991, les présidents d’Argentine, du Brésil, du Paraguay et d’Uruguay se réunissaient dans la capitale paraguayenne afin d’y officialiser la naissance du Mercosur, un projet d’intégration régionale visant à unir le destin de ces quatre pays latino-américains. Trente ans après le traité d’Asunción, le Mercosur est toujours debout, tant bien que mal, malgré les nombreuses critiques, aussi bien en interne que sur la scène internationale. Après trois décennies d’existence, l’heure du bilan a sonné pour ce colosse aux pieds d’argile.

Photo : Mercosur.com

Il y a trente ans naissait le Marché commun du Sud, l’alliance économique de quatre pays, sous la forme d’une zone de libre-échange couplée à une union douanière. Avec comme objectif un projet d’intégration similaire à celui entrepris en Europe, l’idée du Mercosur était un symbole fort pour la région, s’inscrivant dans un élan de coopération entre nations jusqu’alors rivales[1]. Jusqu’en 1997, le Mercosur semble tenir toutes ses promesses économiques : le commerce au sein du bloc est quintuplé ; il attire les investisseurs étrangers et des industries telles que l’automobile, attirés par l’opportunité de créer des chaînes de valeurs mercosuriennes au sein de la région. Le Mercosur permet aussi à ses citoyens de se mouvoir facilement et semble réussir le pari de neutraliser les potentiels conflits politiques entre les quatre pays.

Après une première décennie sur les chapeaux de roue, la fin de siècle et ses crises à répétition (crise asiatique, la mise en place du corralito argentin en 2001) viendront sérieusement gripper la machine. À la différence des pays européens, les nations du Mercosur n’avaient pas transféré une partie de leur souveraineté à l’institution supranationale et face aux difficultés, les pays se replièrent sur eux-mêmes, mettant en lumière les faiblesses structurelles du Mercosur.    

La fable de l’éléphant, la souris et les deux fourmis

Bien que le bloc continental ait la taille de la Russie et que son PIB atteigne en 2019 les 4.467 milliards de dollars (faisant du Mercosur la cinquième économie mondiale), il suffit d’ouvrir un atlas pour constater les disparités territoriales abyssales entre les pays membres. Le Brésil concentre en effet les trois quarts des ressources humaines et économiques du bloc. Le pays constitue l’unique locomotive du groupe, sans réel contre-pouvoir. L’image du Mercosur dépend donc directement de l’agenda diplomatique brésilien, durement détérioré par la montée au pouvoir de Jair Bolsonaro en 2019. Un négociateur uruguayen, à l’époque du traité d’Asunción, définissait le Mercosur comme un accord « entre un éléphant, une souris et deux fourmis« .  Bien qu’un fonds de cohésion ait été créé en 2004, ses 800 millions d’euros entre 2007 et 2015 restent insuffisants pour faire la différence (à titre de comparaison, le budget de l’Union européenne pour son dernier plan de cohésion atteint les 370 milliards).

Des économies différentes en taille mais similaires en offre

Paradoxalement, alors que leur disparité territoriale les entrave, la similarité de leurs économies est un autre obstacle dans l’intégration du Mercosur. En effet, les quatre pays forment une puissance agricole hors du commun, en exportant 63 % du soja mondial et comme premier exportateur de bœuf, de volaille, de maïs, de café et de fer. Mais à l’heure de constituer une alliance régionale, le destin des quatre pays et leur insertion dans l’économie mondiale s’avèrent manquer de complémentarité et d’interdépendance commerciale. La production de biens agricoles ne requiert pas spécialement la création d’économies régionales intégrées, qui auraient pu diversifier leur offre d’exportation. Quant aux échanges entre pays du Mercosur, malgré des débuts prometteurs, ils ne se sont pas pérennisés : alors qu’en 1998, ils représentaient le quart des échanges totaux du bloc, en 2020, ils n’atteignaient plus qu’un timide 10 %[2].   

Une relation compliquée avec le monde extérieur

Menés par l’ambition de former un groupe homogène sur la scène internationale, les pays membres du Mercosur décident en 2000 de coordonner leurs politiques de commerce international. Dorénavant les membres du Mercosur doivent négocier à quatre leurs accords commerciaux avec des pays tiers. Depuis plusieurs années, cette décision est remise régulièrement en question par plusieurs pays du Mercosur. Les minuscules économies paraguayennes et uruguayennes disposent en effet d’un marché intérieur limité et sont contraintes de se mettre en relation avec d’autres pays afin d’y vendre leur production alors que les économies brésiliennes et argentines, plus industrialisées, disposent d’un marché intérieur plus important, absorbant une partie de la production. La nécessité de s’ouvrir au monde extérieur diffère donc entre États membres.  En 2018, l’annonce d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne paraissait être le coup de boost nécessaire à la politique extérieure stagnante du Mercosur. Malheureusement, de nombreuses problématiques (d’ordre environnemental notamment) font vaciller les chances de réussite de l’accord avec les partenaires européens. 

Un fossé entre les discours et la réalité

Malgré un projet de base ambitieux, le Mercosur pêche par une absence de discipline et de cohérence. À l’heure actuelle, la moitié des règlements de l’organisation ne sont pas appliqués par les États membres. Selon le dernier bilan dressé par la Banque interaméricaine du développement, le Mercosur « présente une union douanière imparfaite et inefficace et des droits de douane élevés ; un mécanisme de prise de décision lent avec peu d’accords commerciaux ; une harmonisation réglementaire limitée et des politiques et règles sectorielles divergentes ». Ce constat, bien éloigné des bonnes intentions du traité d’Asunción, entraînera forcément une réforme du Mercosur dans les années à venir. Pour Ignacio Bartesaghi, directeur de l’Institut de commerce international de l’Université catholique d’Uruguay, « le Mercosur ne peut plus continuer à se décrire comme ce qu’il n’est pas. Il est temps de dire la vérité et peut-être de se diriger vers un modèle d’alliance plus légère ».

Ces réformes inévitables viennent se heurter aux divergences politiques actuelles au sein du Mercosur. Jamais, au cours de ces trente années, les orientations idéologiques de ses deux membres principaux n’auront été aussi éloigné que sous les présidences d’Alberto Fernández et de Jair Bolsonaro. Des crispations palpables lors de la cérémonie d’anniversaire du Mercosur, où étaient réunis exceptionnellement les présidents des quatre pays membres. Dans son discours, le président uruguayen Lacalle Pou souhaita que le Mercosur ne devienne pas un fardeau qui empêche son pays de se développer. À la suite de ces propos, le président argentin, Alberto Fernández, visiblement tendu, lui rétorqua que ceux qui s’estimaient lésés par le Mercosur pouvaient toujours quitter le navire.

Alors quel futur donner au Mercosur ? Son impact dans la construction régionale est indéniable et malgré les demandes de réformes, personne ne songe à son démantèlement. Après 30 ans de fonctionnement, et des débuts prometteurs, le bloc régional patine et recherche un nouveau souffle. Malheureusement, les crises économiques ont eu tendance à ralentir l’intégration du Mercosur et il est difficile de croire que celle liée au Covid-19, sans commune mesure pour le continent latino-américain, puisse faire figure d’exception. 

Romain DROOG


[1] À la signature du traité, les quatre pays sortaient tous depuis peu de périodes de dictature. Les quatre pays s’étaient aussi fait la guerre entre 1864 et 1870 lors de la guerre de « la triple alliance ». 

[2] À titre de comparaison, les exportations intra-U.E. constituent 50% des exportations européennes totales.