« Lazare Lonsonier lisait dans son bain quand la nouvelle de la Première Guerre mondiale arriva jusqu’au Chili ». C’est la première phrase du quatrième roman de Miguel Bonnefoy, roman qui va et vient entre la France, au temps de la Commune, et le Chili, au temps de la dictature et des tortures.
Deux guerres mondiales, une dictature : un siècle de bouleversements constitue la toile de fond des aventures ordinaires et extraordinaires de plusieurs générations de la famille Lonsonier. Le patriarche, père de Lazare, a pris racine au Chili à la fin du XIXe siècle, depuis Valparaiso, port où il est débarqué par accident en pleine guerre du Pacifique. Selon le récit familial, c’est par un quiproquo avec le douanier chilien que le nom de Lonsonier lui est attribué, lui qui venait de Lons-le-Saunier, délaissant son vignoble jurassien dévasté par le phylloxéra. Ainsi naquit-il une seconde fois en arrivant au Chili, se mariant plus tard avec Delphine Moriset, fille d’une famille bordelaise, marchand de parapluies ruiné par la sécheresse.
L ’humour, le tragique et le merveilleux colorent les évènements que connaissent Lazare, Thérèse, son épouse, Étienne Lamarthe, « le Maestro » mort une trompette à la main, Margot la fille de Lazare, pionnière de l’aviation, Hector Bracamonte le voleur dévoué, Llario Danovsky, dont les parents ont fui les pogroms d’Ukraine pour la terre promise en Argentine.
Parents, enfants et petits-enfants, tous sont entourés de fantômes et d’anges. Tel Aukan, un guérisseur mapuche, « las de courir les marchés de sorcellerie » qui confie enfin à Llario Da, fils de Margot, que le pays des merveilles est dans les livres. Il y a aussi le fantôme d’Helmut, soldat allemand, chilien lui aussi, « frère et ennemi », qui revient en fantôme un mois avant la mort de Lazare et qui peupla ses songes trente ans durant après qu’il l’eut abattu dans les tranchées de la Première guerre mondiale, enfin soulagé de connaître la date de sa propre mort.
On l’a compris, ce livre est une réussite : dans le récit des évènements déroulés avec une justesse éblouissante et sur plusieurs générations, il conte la boue et l’or, les cauchemars et les espoirs, les violences et les loyautés, les échecs et les forces créatrices. La langue est précise et les phrases ciselées, comme dans les précédents romans de l’écrivain.
Pour revenir au titre du roman, de quel héritage singulier est-il question ? Miguel Bonnefoy ne nous le dit pas et nul testament ne vient attester la réalité d’un bien transmis. On sait seulement que le patriarche arrivé au Chili, depuis les coteaux du Jura, avait un pied de vigne dans une poche et quelques francs dans l’autre. Cent ans plus tard, en 1973, quand les côtes françaises apparurent, Llario Da, Français par filiation, débarquait dans un pays inconnu qui accueillait alors les réfugiés politiques comme une terre promise. Lui aussi a trente francs dans une poche, un pied de vigne dans l’autre et, en plus, un petit cahier cousu par sa mère Margot pour écrire de merveilleuses histoires.
Maurice NAHORY
Héritage, de Miguel Bonnefoy (éd Rivages) dans la collection Littérature française, 2020, 207 pages, 19,50 €).