« Ce qui n’a pas de nom », de la Colombienne Piedad Bonnett : Le désespoir, la colère, le silence d’une mère devant le suicide de son fils

Il est des sujets particulièrement difficiles à traiter. Piedad Bonnett, universitaire colombienne, poétesse et romancière, apprend par un coup de téléphone que son fils Daniel vient de se jeter du haut de l’immeuble qu’il habitait à New York. Il avait 28 ans. Une personne ordinaire a mille façons possibles de réagir face à un tel drame : le désespoir, la colère, le silence… Un écrivain est peut-être un peu mieux loti. Dans son cas l’a-t-elle décidé ? Lui est-ce venu tout naturellement ? Elle écrit.

Photo : éditions Métailié

Il y a tout d’abord les contingences matérielles à assumer : organiser en famille la cérémonie et l’après-cérémonie, le tout en double, New York puis Bogotá. S’occuper des « affaires » du fils disparu et, d’une certaine manière, violer son intimité. Puis viennent les questions, sur Daniel, sur les rapports entre le fils et la mère, au moins tel qu’elle les a ressentis, sur la maladie que chacun a de bonnes raisons de ne pas nommer. Pendant ses quatre dernières années, Daniel était schizophrène et les questions s’accumulent : les racines du mal étaient-elles discernables ? La mère, proche de son fils, aurait-elle pu entrevoir les éléments, peut-être symboliques qu’elle voit trop tard ? Daniel dessinait et peignait depuis son plus jeune âge, une analyse de ses sujets ou de son style aurait-il pu lui permettre de surmonter son trouble ? Facile à penser dix ou vingt ans plus tard.

Vient aussi la culpabilité, injustifiée vue de l’extérieur, mais absolument inévitable, des proches : ils auraient certainement, et sa mère en premier, dû pressentir le chaos. Pourtant pressentir, elle l’a fait constamment, et c’est alors le sentiment d’impuissance qui s’installe. L’évolution de la maladie du fils est décrite pas à pas, avec ses périodes d’amélioration et de rechute, mais pour la mère qui sent, qui sait, l’issue est inéluctable, et elle ne peut que rester dans le doute.

Avec une immense pudeur mais aussi une superbe lucidité, s’aidant des témoignages de ses amis et d’écrits de Julian Barnes ou de Vladimir Nabokov, Pilar Bonnett parvient malgré tout à faire reculer sa douleur grâce à l’écriture. Elle écrit et là, c’est bien une décision, elle publie, elle présente au public (c’est le mot) ce qui est si intime. La démarche est osée. Mais on ne peut qu’admettre qu’elle a eu raison de l’entreprendre, tout comme Anne-Marie Métailié a eu raison de le publier. On ne peut que remercier Piedad Bonnett de confier sans fard ces semaines et ces mois de sentiments désordonnés, fluctuants. Surtout on ne peut que la remercier de ne jamais faire de nous des voyeurs, c’est-à-dire de faire en sorte que ni l’auteure ni le lecteur, à aucun moment, ne s’abaisse.

Christian ROINAT

Ce qui n’a pas de nom de Piedad Bonnet, traduit de l’espagnol (Colombie) par Amandine Py, éd. Métailié, 144 p., 17 €.