« Les Dieux du tango » de l’Uruguayenne Carolina de Robertis

Carolina de Robertis, née en 1975, a des origines uruguayennes, mais sa vie l’a menée dans diverses parties du monde avant qu’elle s’installe aux États-Unis. Elle écrit en anglais. En 2010 son premier roman, La montagne invisible (éd. Belfond), avait surpris par sa maîtrise et sa profondeur. Elle confirme cette impression avec Les Dieux du tango, une des meilleures idées de lecture pour cet été aux éditions du Cherche midi.

Ce qui frappe immédiatement quand on commence la lecture de les Dieux du tango, c’est l’immense talent de l’auteure pour raconter une histoire. On avait eu le même sentiment en découvrant les premières œuvres d’Isabel Allende. Qu’elle décrive une famille italienne vers 1900 ou la vie de tous les jours dans un conventillo de Buenos Aires, elle plonge son lecteur dans tous les petits détails qui disent tout des misères et des joies des petites gens.

Leda, fille de paysans de la région de Naples, part rejoindre Dante, son « mari » (la noce s’est faite par procuration, en Italie, sans le fiancé,) parti gagner sa vie en Argentine. Son arrivée est pure désillusion, elle devra continuer malgré tout, seule dans la grande ville. Autour de Leda, c’est tout un cortège de personnages que Carolina de Robertis anime devant nous, l’anarchiste ouvrier qui croit en sa lutte, la fillette folle enfermée dans une cabane isolée en pleine garrigue, la mamma italienne installée à Buenos Aires qui protège les dizaines de jeunes hommes à qui elle loue des chambres à partager à cinq ou six. Peut-on comparer la misère italienne et la misère argentine ? Leda, avec sa nostalgie naissante pour son hameau le fait, mais elle sait aussi qu’elle doit se lancer dans la lutte pour sa survie. Tout misérabilisme est exclu, l’auteure constate et, si elle émet des reproches sur l’injustice des organisations sociales, si elle le dit clairement, elle est plus intéressée par le sort des personnes.

Une des bonnes idées du roman tient dans sa construction : il s’agit bien de l’histoire de Leda, mais dans chaque chapitre une rupture dans le récit explore celle d’un personnage secondaire, qui fait des Dieux du tango à la fois un roman d’initiation et un roman choral. Par petites touches, à côté du cheminement de Leda, la romancière tisse aussi l’histoire du tango dans les années 10 du XXème siècle, son évolution, l’apparition ‒ et la disparition parfois ‒ de certains instruments, le tango orchestral ou le tango chanté (par des femmes aussi ? est-ce possible ?), le succès grandissant, la conquête progressive des classes sociales rétives au début qui se laissent séduire. Au cœur d’un récit de forme plutôt classique, Carolina de Robertis réussit à introduire des sujets annexes mais historiquement importants, l’anarchisme sur le port de Buenos Aires par exemple, et surtout un autre thème que préfère ici ne pas révéler pour en laisser la découverte au lecteur, un thème qu’elle traite de façon vraiment très originale et particulièrement subtile. Disons seulement que la place de la femme dans les diverses sociétés évoquées est au centre des réflexions de Carolina de Robertis.

Ne nous y trompons pas, sous des allures de jeune auteure destinée aux best sellers, malgré le titre qui semble calibré pour faire un succès de librairie, Carolina de Robertis est une des meilleures romancières populaires de sa génération, et Les Dieux du tango un roman à lire pour passer un bon moment, pour être ému et pour apprendre.

Christian ROINAT

Les Dieux du tango de Carolina de Robertis, traduit de l’anglais (États-Unis) par Eva Monteilhet, éd. du Cherche midi, 543 p., 22 €