Colombie : la fin de 52 ans de guerre civile signée entre le gouvernement et les FARC

Le gouvernement colombien et la guérilla des FARC viennent de signer à La Havane un cessez-le-feu qui met fin à 52 années de guerre civile. C’est le cinquième de six accords négociés pour ramener la paix dans le pays. Accord définitif le 20 juillet ? La fin de la guerre n’est pas la fin de la violence…

Photo : IEJH.org

C’est une date historique. Ce 23 juin 2016, le président Juan Manuel Santos pour le gouvernement colombien, et Rodrigo Timoleón Londoño (alias Timochenko) pour la guérilla des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), ont signé un « Accord de cessez-le-feu bilatéral et définitif ». Les mots bilatéral et définitif ne sont pas anodins : jusqu’à présent, seules les FARC avaient décrété une trêve qui dure déjà depuis un an, le gouvernement colombien continuant la guerre. Cette fois, ce sont les deux parties qui signent, non une trêve, mais un cessez-le-feu définitif (Voir SITE). Il reste à signer l’accord sur le referendum souhaité par le gouvernement, par lequel la population accepterait/rejetterait les accords négociés. Les FARC préfèreraient un amendement à la Constitution pour s’assurer que ce qui est décidé aujourd’hui reste inamovible et éviter qu’un futur président puisse annuler les Accords par simple décret. Les deux Parties ont convenu d’accepter la décision de la Cour constitutionnelle saisie du dossier.

Une cérémonie simple mais émouvante

Vu son importance, « ce dernier jour de la guerre » comme disent les FARC, était coordonné par le président cubain Raúl Castro, grand artisan du succès des négociations. Le texte de l’accord est lu à voix haute devant tout le monde puis signé par les négociateurs, l’ancien vice-président Humberto de la Calle pour le gouvernement, et Luciano Martín alias Iván Márquez pour la guérilla. Une fois le document signé, le président Castro remet un exemplaire de l’accord à Juan Manuel Santos et Timochenko. Les Parties se serrent la main. Photos… La guerre est terminée. Juan Manuel Santos déclare : Les balles ont écrit notre passé, l’éducation écrira notre futur ». Et de remettre à Timochenko un stylo fait d’une balle de mitrailleuse.

Une audience prestigieuse

La cérémonie s’est réalisée en présence de tous les acteurs de ces accords. En plus des deux Parties, étaient venus les deux « pays garants », la Norvège représentée par son ministre des Affaires étrangères Borge Brende, et Cuba, où se sont déroulés les pourparlers, représentée par Rodolfo Benitez, Étaient également présents, les deux « pays accompagnateurs », le Venezuela représenté par son président Nicolas Maduro, et le Chili, représenté par sa présidente Michelle Bachelet. Les grands invités étaient le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, ainsi que les présidents Peña Nieto du Mexique, Salvador Sánchez Cerén du Salvador et Danilo Medina de la République Dominicaine, des représentants de États-Unis et de l’Union européenne.

Dépôt des armes

Les deux Parties ont convenu que d’ici six mois, les FARC auront remis toutes leurs armes à une commission des Nations unies, composée essentiellement de membres issus de la CELAC (Communauté des pays d’Amérique latine et des Caraïbes). Ces armes seront fondues et transformées en trois monuments. Les maintenant anciens guérilleros seront installés d’abord dans 23 zones de réinsertion.

Des négociations en cours depuis 2012 (1)

L’Accord de cessez-le-feu bilatéral et définitif est le cinquième des six accords en cours de négociation depuis le 19 novembre 2012 à La Havane. Son nom officiel est : Accord général pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable (2).

Premier accord : « La Politique du développement agraire » : signé le 26 mai 2013, il concerne la réforme agraire, une des revendications historiques et fondamentales des FARC. Le communiqué commun gouvernement-FARC de l’époque signale que « C’est le début d’une transformation radicale de la réalité agraire de la Colombie, centrée sur le peuple, les petits producteurs, la distribution de la terre, la lutte contre la pauvreté. Il est créé un Fonds des terres pour la Paix pour rendre leurs terres aux personnes qui en ont été dépossédées ou qui ont été forcées à les quitter ».

Deuxième accord :  « La Participation politique » :  signé le 6 novembre 2013, il cherche à garantir la participation à la vie politique de nouvelles formations issues des FARC ou de mouvements de gauche. Ils se souviennent que, dans les années 90, suite à des accords de fin de guerre, les FARC avaient, avec la guérilla du M-19, formé une entité politique, l’Union patriotique (UP), devant leur permettre de rentrer dans le jeu politique démocratique. L’UP avait gagné de nombreux sièges au Parlement. Mais les paramilitaires et des escadrons de la mort issus de la police et de l’armée avaient assassiné plus de 3 000 militants dont deux candidats présidentiels ! Pour une réintégration sociale et politique, les FARC et ses partisans pourraient créer un Front ample.

Troisième accord : « Solution au problème des drogues illicites » : dans cet accord signé le 16 mai 2014, les Parties conviennent d’une nouvelle politique d’éradication des cultures illicites, la mise en marche d’une stratégie anti-blanchiment d’argent sale et de localisation des narcotrafiquants.  Les FARC ont exigé que des programmes de substitution des cultures à usage illicite (coca, amapola, cannabis) soient mis sur pied avec la  participation des communautés. Il s’agit de remplacer les cultures illicites par des projets productifs au moyen de Plans de développement. Pour des milliers de petits paysans pauvres, la culture de la feuille de coca représentait la seule source de revenus possible.

Quatrième accord : « Justice transitionnelle et droit des victimes » : signé le 15 décembre 2015, il concerne l’élaboration de mécanismes judiciaires et extrajudiciaires destinés à garantir les droits des victimes du conflit à la vérité, à la justice et à des réparations. C’est un point délicat. En 2014, le président Santos avait déclaré, « Il n’y aura pas d’impunité. » Il avait cependant ajouté : « Le point central est : combien de justice ? Où tracer la ligne entre justice et paix ? » En clair, au nom de la paix, si condamnations de militaires et de guérilleros pour crimes de guerre il y aura, elles ne seront peut-être pas très sévères… L’accord prévoit un Tribunal spécial pour la paix (Juzgados Especiales para la Paz, JEP) pour juger les atteintes aux droits humains commis par les deux camps. En accord avec le droit international, il est possible qu’une loi d’amnistie soit proposée.

La Constitution devra être amendée

Lorsque tous les accords seront signés et acceptés par le referendum, il faudra veiller à ce que les lois issues des négociations soient intégrées à la Constitution, un énorme travail législatif. Ce n’est pas gagné d’avance car le principal parti d’opposition, mené par l’ancien président Álvaro Uribe, s’est d’ores et déjà déclaré opposé aux accords. Et de nombreux groupes paramilitaires (de droite) continuent de sévir. Mais un premier pas a eu lieu le 15 juin dernier : par 52 voix pour et 16 contre, le Congrès a approuvé le texte de l’Acte législatif pour la paix, qui ouvrira la voie à une réforme de la Constitution. Le document doit encore être approuvé par la Cour constitutionnelle.

Ce n’est pas la fin de la violence

Dans une entrevue accordée à la BBC Mundo, la sénatrice et analyste politique Claudia López déclare : « En Colombie, le conflit armé ne représente pas plus de 20 % des victimes… » Les autres sont le fait de la petite et la grande délinquance et du narcotrafic. « Il y a 15 ans, la Colombie comptait 90 homicides pour 100 000 habitants. Aujourd’hui, nous sommes descendus à 23. C’est un grand progrès. La fin du conflit ne signifie pas la fin de la violence. Ce qui ne dépend pas de nous, c’est que les gens en Europe et aux États-Unis consomment de la drogue et que les gouvernements de ces pays  ne veulent pas combattre la drogue comme  un problème de santé publique… » (SITE). Le président Santos espère que le dernier point des Accords (un referendum) pourra être signé avant le 20 juillet, fête nationale de la Colombie Ce serait un grand jour pour le pays. Le conflit a laissé 260 000 morts, 35 000 disparus et 7 millions d’exilés ou de déplacés internes.

Jac FORTON

(1) Voir nos articles des 1er mars, 28 mai et 18 juin 2014.    (2) Texte complet des Accords à négocier dans  le PDF ci-joint.