Le malheur d’être une femme en Amérique latine

Dans le continent le plus violent du monde, selon la BID (Banque Inter-américaine de Développement), où se commettent un tiers des homicides mais où vivent seulement 9 % de la population de la planète, ce sont les femmes qui vivent le pire.

Une étude récente d’Amnesty International révèle que la violence de genre en Amérique latine a acquis le statut de “violence institutionnelle” envers les femmes, et que les différents gouvernements ont échoué à la prévenir et à l’éradiquer. Le document, intitulé “L’État, catalyseur de la violence contre les femmes”, indique que la violence contre les femmes ne disparaîtra pas de l’Amérique latine et des Caraïbes “si les lois, les politiques et les pratiques publiques discriminatoires dans le domaine de la santé sexuelle et de la reproduction ne changent pas”.

Le mot féminicide est devenu d’usage quotidien, et se lit tous les jours dans la presse latino-américaine, et s’il ne fait pas encore partie du dictionnaire il fait en revanche partie des codes pénaux dans 16 pays du continent. Selon l’Observatoire Citoyen National du Féminicide (OCNF) du Mexique, il s’agit de l’assassinat de femmes par des hommes, au seul prétexte qu’elles sont des femmes et que, par misogynie et sexisme, ils se sentent supérieurs et maîtres de leur vie. Cette inquiétante spirale d’assassinats a mobilisé des organisations et provoqué une des plus grandes manifestations contre le féminicide, avec le slogan “pas une de moins (Ni una menos)”, après une série de meurtres de femmes dans le pays et en Équateur.

L’assassinat de deux jeunes femmes routardes, Marina Menegazzo et María José Coni, originaires de la région de Mendoza en Argentine et qui avaient disparu à La Montañita, en Equateur, le 22 février 2015 est le dernier épisode de la violence de genre. Leurs corps montraient des traces de violences au niveau de la tête et du corps, faites par des individus auxquels elles auraient demandé de leur rendre l’argent qu’ils avaient volé. Les crimes ont été commis dans la maison de l’un d’entre eux, selon les données de l’enquête. Les réseaux sociaux se sont indignés à propos de ces meurtres et d’autres violences faites aux femmes, et ont lancé le mouvement “Pas une de moins”.

Au moment de commémorer la journée internationale de la femme et un peu plus de 9 mois après la mobilisation de “Pas une de moins”, qui a réuni le 3 juin 2015 plus de 350 000 personnes place du Congrès à Buenos Aires et de nombreuses autres dans plus de 120 villes d’Argentine, les organisateurs ont remis un texte à 24 HORAS pour exprimer que la lutte contre le féminicide en Amérique latine “requiert une réponse multiple, de tous les pouvoirs de l’Etat et de toutes les instances nationales, provinciales et municipales”. Réponse toujours en attente.

En référence à l’Argentine, mais cela pourrait s’appliquer à tout le continent, les dirigeants du mouvement signalent que les lois ne sont pas suffisamment réformées pour lutter contre la violence machiste, et que les associations spécialisées et les hot lines destinées à aider les victimes “ne suffisent pas si elles ne sont pas accompagnées de politiques intégrales”.

Ils ont également formulé de dures critiques envers la presse sur leur manière de traiter le sujet des féminicides et de la violence faite aux femmes. Ils estiment que les médias se préoccupe surtout de juger la victime : comment elle était habillée, quels étaient ses amis, ses divertissements, et si elle voyageait seule, et vont jusqu’à parler de “victimes prédisposées”. C’est le “il n’y a pas de fumée sans feu” appliqué aux victimes de féminicide… Phrase qui peut s’appliquer à la majeure partie du continent, où l’on continue de tuer des femmes parce que ce sont des femmes.

Catalina Martínez, directrice pour l’Amérique latine et les Caraïbes de l’ONG Centre pour les droits reproductifs, exprime, lors d’un entretien avec 24 HORAS, que pour prévenir, sanctionner et éradiquer la violence envers les femmes, “il est essentiel que tous les États reconnaissent que les droits reproductifs sont des droits humains fondamentaux qui doivent être promus, protégés et garanti”.  Elle explique que “beaucoup d’actes de violence de genre –comme la violence physique et la violence sexuelle- mènent à d’autres violences des droits reproductifs”. De même, elle estime qu’avoir le contrôle de son propre corps “est essentiel pour arrêter le cycle de violence”, et que les lois, les politiques et les pratiques qui réduisent l’application des droits reproductifs sont “une violence contre les femmes en soi”.

De plus, il faut noter que, souvent, les programmes gouvernementaux destinés à la prévention et à l’éradication de la violence envers les femmes n’incluent pas l’accès à des services de santé sexuelle et reproductive. “La criminalisation de ces services de santé essentiels constitue une violation systématique des droits humains, à l’origine de conséquences physiques et psychologiques qui sont un autre exemple de la violence de genre. La plupart des pays du continent ont des lois qui criminalisent les services de santé sexuelle et reproductive, en se basant sur des stéréotypes de contrôle et d’infériorité”, dit-elle.

La violence contre les femmes est une chose si naturelle qu’elle n’attire l’attention de personne, sauf des victimes, ou alors seulement lorsqu’il s’agit de faits graves, alors que ce devrait être un thème quotidien, à combattre dans tous les foyers, selon les spécialistes. Par dessus tout, il devrait y avoir une tolérance zéro pour les meurtres violents de femmes. Actuellement, selon la CEPAL (Commission Économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes), 20 pays ont des lois sur la violence à l’égard des femmes, mais seulement 8 allouent des budgets suffisants pour leur application, soit 40% d’entre eux. D’autre part, 14 pays reconnaissent le délit de féminicide (Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Équateur, Salvador, Guatemala, Honduras, Mexique, Nicaragua, Panama, Pérou et République Dominicaine), alors que l’Argentine et le Venezuela parlent d’homicide aggravé pour des raisons de genre dans leur législation.

Estefanía SALINAS
Traduit par Catherine TRAULLÉ

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