Le film mexicain “Un monstre à mille têtes” de Rodrigo Plá dans les traces de “La Zona”

Le réalisateur mexicain Rodrigo Pla, né en Uruguay, nous avait surpris en 2008 avec son premier long métrage La Zona, qui a eu d’ailleurs une belle carrière en France. La zone en question n’était pas un quartier, un barrio, mais une zone où les riches s’enfermaient. Suivirent Desierto adentro présenté à Cannes en 2008 et La demora en 2012.

Dans une tentative désespérée d’obtenir le traitement qui pourrait sauver la vie de son mari, Sonia Bonet part en lutte contre sa compagnie d’assurance aussi négligente que corrompue. Elle et son fils se retrouvent alors pris dans une vertigineuse spirale de violence. Un animal blessé ne pleure pas, il mord !

Rodrigo Plá installe dans son dernier film serré (75 mn) un dispositif faits de retours en arrière, de commentaires off et de hors-champ qui multiplient les points de vue et installe l’ambivalence des témoignages. C’est cette multiplicité qui sert le point de vue du réalisateur. Un regard sur une société du désordre qui s’organise pour chasser l’intrus, ou fait abandonner ceux dont il serait impossible de s’occuper. Une société qui finit par étouffer celles et ceux qui sont à sa périphérie. Plá réussit à suggérer l’oppression sociale en multipliant les portraits. Il laisse au spectateur la possibilité d’entendre et de voir comment s’organise, dans une complexité de réactions et de situations, la mécanique arbitraire d’un destin que l’idéologie du marché a déjà largement bornée…

Tous ses films de Plá parlent de la société mexicaine. Mais il n’aime pas ce monde qu’il nous propose. Il déteste trop la plupart des personnages qui évoluent dans cette histoire. Si l’on suit le point de vue de Sonia, il ne l’exonère pas de ses choix. “La multiplicité des points de vue, déclarent les auteurs Rodrigo Plá (réalisateur) et Laura Santullo (scénariste), permettait de prendre de la distance par rapport aux vicissitudes et aux émotions de Sonia Bonet tout en offrant plus de latitude dans l’interprétation de ses faits et gestes. De plus, nous aimons à penser que ce que nous sommes, ce que chacun de nous est, dépend de la manière dont les autres nous voient. Ce sont les autres qui nous définissent comme sujets. C’est de là que nous est venue l’idée de jouer avec des miroirs, qui non seulement reflètent mais distordent notre regard forcément subjectif sur le personnage principal. Cela permet de laisser plus de place à l’empathie, mais aussi à la peur et au rejet en fonction du vécu de chaque personnage qui croise la route de cette femme. Jana Raluy, qui joue Sonia, est une comédienne de théâtre. Nous avions eu la chance de la voir sur scène il y a quelques années, et nous gardions encore en mémoire cette incroyable énergie qu’elle dégageait. Quand nous avons démarré nos recherches, nous l’avons contactée et cela ne faisait aucun doute qu’elle était la bonne personne pour incarner cette mère de famille. Elle a cette étrange capacité à jouer sur une très large palette d’émotions. Sebastián Aguirre m’a été recommandé par mon assistant réalisateur et ses essais n’ont laissé aucune place au doute non plus. Sebastián est d’un naturel confondant. Le reste du casting mêle des comédiens établis et d’autres moins connus qui font tous un travail extraordinaire dans le film”.

Ainsi nous suivons la quête de Sonia, portrait d’une femme ordinaire de la bourgeoisie, presqu’en temps réel, mais parfois des voix off (qui semblent être des témoignages de prétoire) rajoutent un poids dramatique à l’histoire. En emprisonnant les personnages dans des cadres (miroirs, pare-brises de voitures, porte fenêtre, moniteurs…) ils deviennent  les témoins de l’engrenage de la violence et de la déchéance de leur société. Ce film à l’allure de thriller est bien un film noir, très noir !

Alain LIATARD

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