Un homme, le narrateur, est hospitalisé. De quoi souffre-t-il ? Nous ne le saurons jamais. Est-il même malade ? Il nous raconte par le menu son séjour, ses rapports chaotiques avec le corps médical, avec ses rares visiteurs, avec les autres patients. Cela pourrait être émouvant ou dramatique, mais non, si l’on meurt dans ce livre, c’est de rire.
L’Argentine Ana María Shua a écrit ce roman en 1980, on peut y voir (mais on n’est pas obligé) une charge indirecte contre la dictature militaire qui faisait rage à l’époque. Avec le recul, rien n’a vieilli, ce récit reste un petit bijou d’humour noir et d’absurde dans lequel l’équilibre entre tragique et comique est constamment maintenu : un médecin qui ne s’exprime qu’avec des plaisanteries d’un goût douteux, une cousine visiteuse qui en profite pour faire des galipettes avec le médecin en question, un directeur de l’hôpital, toujours absent, qui apparemment est lui-même un des patients et un narrateur qui passe son temps à essayer de tout comprendre alors que tout lui échappe, voilà le tableau.
Notre narrateur subit, pendant un temps indéterminé, ce séjour qui lui est imposé (par qui ?), observe donc, évolue au long de ces jours, qui deviennent des semaines, commente la façon dont les autres et lui-même agissent et fait ainsi ressortir l’absurdité des relations courantes, l’absurdité de notre existence. Un Français peut bien sûr penser à Ionesco ou encore à Pierre Dac, l’ombre de Kafka plane aussi sur ce véritable jeu de massacre jouissif. Mais les références, si elles s’imposent, ne font pas oublier l’originalité réelle de ce texte qui ne ressemble qu’à lui-même. Cela n’empêche pas Ana María Shua de glisser une foule de questions sur la santé (physique et mentale), sur les établissements de soins, sur le fonctionnement de la société. Son grand talent ici c’est de multiplier les surprises, les rebondissements, tous plus sinistres et drôles les uns que les autres. Autant dire que le lecteur est comblé.
Christian ROINAT