Les prières du Colombien Santiago Gamboa

Prières nocturnes de Santiago Gamboa raconte les parcours de Manuel et de Juana, frère et sœur, deux jeunes colombiens qui, dans les années 2000, vivent avec des parents bornés et soumis. Ils décident qu’un jour, ils fuiront ensemble hors de leur pays natal marqué par l’injustice et la violence. Liés par un amour à toute épreuve, bien déterminés à tenir fermement les rênes de leur destinée, ils seront malgré tout aspirés, l’un et l’autre, dans une spirale infernale.

 Le premier chapitre s’achève sur l’image d’un diplomate colombien contemplant un paysage urbain crépusculaire et immobile. L’homme se souvient, il est revenu pour cela à Bangkok. Bangkok, ville monstrueuse, excessive et inquiétante qui fut, quelques années auparavant, le théâtre de douloureux événements dont, aujourd’hui, il se propose de faire le récit.

Manuel Manrique, vingt-sept ans, étudiant en philosophie, attend son procès dans la prison de Bangkwang : un sac de comprimés opiacés a été trouvé dans ses bagages et, selon la législation thaïlandaise, il risque, au mieux, trente ans de réclusion ou, s’il plaide non coupable, la peine de mort. Le consul colombien de New Delhi (le narrateur, personnage sympathique, grand amateur de littérature et de gin), est dépêché sur place pour organiser d’urgence une assistance juridique. Il rencontre Manuel dans sa prison. Le jeune homme à l’allure désespérée, d’une maigreur alarmante, semble sortir tout droit d’un tableau du Greco. Le seul but de son voyage était de retrouver sa sœur Juana disparue depuis quatre ans et il paraît peu disposé à lutter pour sa propre survie. Touché par son histoire et convaincu de son innocence, le consul va se lancer à la recherche de la jeune femme.

 Santiago Gamboa nous entraîne peu à peu dans un univers trouble de trafics en tous genres dans lequel s’entremêlent jet-set, révolutionnaires, politiques de tous bords, victimes et criminels, un monde mafieux où FARC, paramilitaires et flics corrompus se livrent un combat sans merci dans la Colombie du président Álvaro Uribe. Dans ce roman à trois voix (quatre si on inclut les interventions mystérieuses d’Inter-Nette, sorte de contrepoint au récit à la manière du chœur dans le théâtre antique), l’auteur nous donne à voir les destins tragiques de deux enfants issus d’une famille modeste de Bogotá qui veulent s’arracher à l’hypocrisie, à la médiocrité d’un monde minable, incapable de leur préparer un avenir digne de leurs attentes. « …ça ne va pas être un roman noir. […] Ce sera plutôt un roman d’amour. » dit Manuel au consul lors de leur première rencontre. Prières nocturnes est bien un roman noir mais le moteur de l’action reste cet amour vital et absolu, qui unit un frère et une sœur.

 M. Jean-Paul BOSTBARGE

 Prières nocturnes, de Santiago Gamboa, traduit de l’espagnol (Colombie) par François Gaudry, éd. Métaillé (Paris), 311 p., 20€.