Le film a remporté deux distinctions majeures au dernier festival de Cannes : le Prix de la mise en scène et le Prix d’interprétation masculine décerné à Wagner Moura, devenant ainsi le premier acteur brésilien à recevoir cette récompense prestigieuse.
Des membres de notre équipe de rédaction dont Alain Liatard accrédité à Cannes nous avons visionné le film de Kleber Mendoça Filho ce dimanche en avant-première au cinéma Pathé Bellecour. En 1977 dans un Brésil tourmenté par la dictature militaire, Marcelo, un homme d’une quarantaine d’années fuyant un passé trouble, arrive dans la ville de Recife où il espère construire une nouvelle vie et renouer avec sa famille. C’est sans compter sur les menaces de mort qui rodent et planent au-dessus de sa tête.
Fernando travaille dans une banque du sang, à Recife. Il reçoit la visite de Flavia, documentaliste qui s’est retrouvée par hasard détentrice d’archives sur son père, jadis brûlantes et peut être en passe de le redevenir – elles datent de l’époque de la dictature militaire. Au moment de se quitter, Fernando et Flavia évoquent le Pernambouc, dont ils sont tous les deux originaires, et les coïncidences qui rendent la vie romanesque. Il lui raconte qu’avant d’être une clinique, le bâtiment devant lequel ils se trouvent était un cinéma. L’Agent secret, film-roman débordant d’à peu près tout, ne raconte pas la vie de Fernando, mais l’histoire de son père, scientifique et universitaire harcelé par le régime. Il n’en possède aucun souvenir dont il puisse affirmer avec certitude qu’il n’ait été modelé sous l’influence de ce qu’on lui en a raconté.
L’Agent secret se déroule en 1977, alors que Marcelo revient à Recife en espérant récupérer son fils et des papiers pour quitter le pays. Les choses, et le film, ne se dérouleront pas comme prévu ni comme annoncés par le titre, le fantasme qu’il suscite et l’incroyable scène d’ouverture – avec sa station-service, son cadavre en décomposition, son contrôle de police et son fabuleux suspense. C’est certes un thriller politique innervé de tension dont Marcelo est le héros et la proie au même titre que les autres dissidents recueillis par la vieille militante Dona Sebastiana. Mais son ton, explicité par les incursions de Flavia l’archiviste dans le Brésil contemporain, est presque aussi doux et mélancolique que son précédent film Aquariussortie en 2016 l’héroïne se tenait comme un totem entre le Brésil idéalisé du passé et celui déliquescent et barbare du présent.
Extraordinaire projet que l’entreprise ouvertement nostalgique de cet Agent secret, Kleber Mendonça Filho évoquant pour justifier le choix de l’année qu’il fait ressurgir à l’écran sa découverte du cinéma tout en nous contant le pire de ce qui pouvait survenir à un citoyen brésilien sous la junte, la dépossession de tout, l’assassinat des proches, le danger de mort permanent. Et le film, infiniment dur et joyeux à l’image de ce carnaval qui lui sert de décor ne se contente pas de tout contenir, mais lie et imbrique les éléments des plus sordides aux plus enchanteurs, le cinéma et la mort, l’amitié et la déshumanisation, une déflagration de violence accompagnée par un air de proto-samba. Manière de nous dire que tout était plus compliqué au Brésil en 1977 qu’on ne se le figure avec le recul tout est toujours plus compliqué qu’il n’y paraît dans le film.
L’Agent secret assume bien sûr sa part de fiction et son ambition de grande fresque historique mais il apparaît ostensiblement, au moment de faire basculer le récit vers la tragédie – qui survient hors-champ non seulement de l’image, mais à cinquante ans de distance – que Mendonça Filho entendait parler avec son film de la mémoire et du sujet urgemment politique de ce que l’on choisit d’en faire. Se souvenir, c’est toujours un peu entrer en dissidence contre ceux qui veulent nous imposer leurs récits ou détourner les faits de l’histoire, semble nous dire le Brésilien, qui a ébauché le scénario de l’Agent secret en France. Le film est une fiction mais aussi un film-souvenir en hommage à ceux qui ont contribué à faire que la mémoire d’un jeune garçon né en 1968 à Recife, futur cinéaste, ne soit pas seulement peuplée cinq décennies plus tard de visions de cadavres pourrissant sur le sol et de cauchemars.
D’après Presse Cannes
L’Agent secret (O Agente Secreto) est un film brésilien écrit et réalisé par Kleber Mendonça Filho avec Wagner Moura, Gabriel Leone, Maria Fernanda Cândido… 2 h 38. Sortie en salle : fin 2025