Brésil, Rio de Janeiro, novembre 2024 : le G20 en durabilité contestée

Les responsables de ces pays et institutions étaient tous à Rio. Seule la Russie était représentée par son ministre des Affaires étrangères, le président Vladimir Poutine, poursuivi par la Cour pénale internationale,(CPI), risquant une arrestation, le Brésil étant signataire du traité de Rome instituant la CPI. Le Brésil avait par ailleurs invité d’autres États, Angola, Bolivie, Chili, Colombie, Égypte, Émirats arabes unis, Espagne, Nigeria, Norvège, Paraguay, Portugal, Singapour et Uruguay. Tout s’est passé pour le plus grand bien du multilatéralisme sorti conforté, en dépit de quelques dérapages plus ou moins bien contrôlés. Pour le pays hôte, le Brésil, le bon déroulement de l’exercice a constitué un plus diplomatique incontestable.  Mais le verre, pourrait dire un Candide contemporain à un professeur Pangloss d’aujourd’hui, n’est-il pas, aussi, à moitié vide ? Ce G20 ne marque-t-il pas la fin d’une époque ? Pour l’ordre du monde, comme pour le Brésil ?

En effet, tout a confirmé le meilleur des mondes possibles. Rio s’était mis dans ses plus beaux atours, d’autant plus lisibles, sur place, par les délégations présentes, comme ailleurs via les télévisions, que sa façade maritime, de Leblon, Copacabana au Musée du futur (Museu do Amanha), en passant par les plages de Botafogo, Flamengo, Catete et Gloria avait été fermée à la circulation automobile. La sécurité de tous les congressistes a été assurée par le déploiement exceptionnel de policiers – municipaux, régionaux, fédéraux, mais également par 7 500 militaires. Compte tenu du passif mémoriel laissé par les militaires, mais aussi des interdits démocratiques touchant à la sécurité intérieure du seul ressort de la police, un décret spécifique a été adopté et publié, dit de Garantie de la loi et de l’ordre (GLO). La société civile, locale et internationale, avait été conviée à débattre dans des lieux prestigieux et symboliques, « le Musée du futur » et les anciens hangars du port recyclés et repeints à neuf.

Le Brésil et son président Luiz Inácio Lula da Silva ont fait la une des journaux et des télévisions. Globo noticias/news, la chaîne la plus regardée par la population, a mobilisé ses moyens pour retransmettre en direct l’arrivée des vingt responsables du G20, accueillis par leur hôte. La presse écrite, O Globo, à Rio, la Folha de São Paulo, et bien d’autres ont accompagné le mouvement. Rio, selon le mot d’ordre placardé un peu partout par les autorités, a bien été au vu et au lu de tous, « la capitale du G20 ». Voire pour beaucoup, comme le revendiquait une peinture urbaine en frise sur un pont piétonnier surplombant une autoroute filant vers l’ouest, « Rio, capitale du monde ». Ce succès organisationnel et d’estime a été accompagné d’avancées sur divers sujets : la solidarité envers ceux qui souffrent de la faim, la protection de l’environnement, la taxation des très hauts revenus, la réforme du multilatéralisme, l’adhésion spectaculaire des États-Unis aux propositions brésiliennes. Le Brésil a recueilli le fruit d’une présidence du G20, gérée de façon dynamique. Il a tenu de bout en bout à donner l’exemple. La Banque de développement, BNDES, d’avril à octobre 2024, a doté le fonds climat, créé en 2009, mais sans moyens effectifs, de plusieurs milliards de reals (1 real = 0,16 euro) destinés à des projets permettant de lutter contre le changement climatique. Le Sénat brésilien a approuvé le 13 novembre 2024 un projet de loi régulant le marché du carbone, l’Agence brésilienne de promotion des exportations et des investissements a créé une ligne financière encourageant les projets d’énergie renouvelable, une loi sur les combustibles du futur allant dans la même direction a été votée.

Cet élan a eu un effet d’entraînement, lisible au fil des réunions préparatoires des 15 groupes de travail. L’Alliance globale contre la faim, l’un des projets phares du Brésil, avait dès avant le premier jour du G20, reçu l’aval d’une quarantaine de gouvernements, le soutien officiel de treize institutions intergouvernementales, dont  la Banque mondiale et la FAO. La taxation à hauteur de 2 % des grosses fortunes dépassant un milliard de dollars a obtenu une large adhésion. Une inclusion dans les principes de fonctionnement de l’OMC, d’un lien entre commerce et développement durable, a été actée dès avant Rio. D’autres questions mises sur la table par le Brésil n’ont pas pu faire l’objet de consensus similaires : la réduction des inégalités salariales, en particulier entre hommes et femmes, la lutte contre les discriminations raciales. La réforme de l’ONU et de son Conseil de sécurité, afin de démocratiser la gestion du monde, évoquée dans bien des enceintes, a été réactivée sans trouver l’écho recherché. Cela dit, la signature d’un accord sur les énergies renouvelables entre Brésil et États-Unis, le déplacement du président Joe Biden en Amazonie, ont compensé les incertitudes. D’autant plus que l’actuel résident de la Maison Blanche a annoncé le versement de 50 millions de dollars au Fonds Amazonie. 

Résultat des courses, Fernando Haddad, ministre de l’Économie a été sacré meilleur défenseur de l’environnement par une revue des États-Unis. Responsable de la COP 30, et du groupe BRICS en 2025, Lula a été très sollicité. Un grand nombre de rencontres bilatérales ont été inscrites à son ordre du jour des 18 et 19 novembre en sus de l’agenda du G20 : avec ses homologues africain du Sud,  angolais, égyptien, états-unien, français, et les premiers ministres britannique, indien, italien, japonais, malaisien, le prince héritier des Émirats, le Secrétaire général de l’ONU, la présidente de la Commission européenne. Un autre son de cloche se fait pourtant entendre avec insistance depuis quelques mois. Il y a bien sûr la guerre en Ukraine, montée d’un cran avec l’intervention d’un corps expéditionnaire de Corée du Nord. Difficile dans ce contexte d’imaginer des convergences unanimistes. La Russie, présente à Rio, veille au grain. Elle peut compter sur un certain nombre d’alliés, la Chine, voire sous des formes diverses ses associés du groupe BRIC. On peut faire les mêmes remarques sur la guerre de Gaza et du Liban menée par Israël. Mais les pierres dans le soulier du multilatéralisme vont très au-delà.

On note depuis plusieurs mois la montée en puissance d’un espace hostile au droit international venu d’un autre bord, celui des États-Unis et de son président élu le 5 novembre dernier, Donald Trump, qui n’a pas caché son hostilité à tout engagement international s’imposant à la souveraineté nationale nord-américaine. La protection de l’environnement  n’échappe pas à cette règle diplomatique qu’il entend suivre dès le mois de janvier prochain. Les collaborateurs qu’il a nommés, en particulier le futur responsable de l’EPA,  l’agence environnementale, Lee Zeldin, connu pour ses prises de position hostiles à toute remise en cause du statu quo automobile, sonnent une nouvelle ère. Parallèlement au G20 et à la COP 29, Donald Trump a organisé en Floride dans sa résidence Mar-a-Lago, une rencontre mondiale des extrêmes droites, suivie d’une conférence du CPAC (Conservative Political Action Conference), cercle radical du parti républicain. Ses participants doivent se retrouver à Buenos Aires le 4 décembre, après donc le G20, invités par le chef d’État argentin, Javier Milei, qui partage la phobie anti-environnementale et anti-multilatérale de Donald Trump et a retiré la délégation argentine de la COP29. Il n’a pas assisté au dernier sommet du MERCOSUR, ce qui n’a pas échappé au président français qui lui a apporté une caution diplomatique pleine de sens diplomatique à la veille d’un G20 largement centré sur la protection du milieu ambiant, en lui rendant visite, pressé par les mobilisations rejetant la perspective de ratification du traité Union européenne-Marché commun du Sud, signé en 2019. Giorgia Meloni, présidente du Conseil d’Italie, proche idéologiquement de Javier Milei, est également allée le voir, confortant cette marche vers un nouvel ordre mondial. 

Le Brésil de Lula dans un tel contexte paraît de plus en plus isolé. Il a, comme d’ailleurs le président colombien, Gustavo Petro, pris au mot les chefs d’État des pays développés, montés au créneau ces dernières années contre le laxisme amazonien des pays riverains et plus particulièrement le Brésil. Le Brésil a pris ses responsabilités et annoncé des initiatives. Mais comme l’Équatorien Rafael Correa il y a un peu plus de dix ans, qui avait interpellé le « Nord » pour sauvegarder une portion de forêt amazonienne, il court le risque de se trouver bien seul au prochain G20, et à la COP 30 de Belem en 2025.