Le dictateur Jorge Videla est mort en prison le 17 mai dernier à l’âge de 87 ans

Jorge Videla est mort ce vendredi 17 mai dernier à l’âge de 87 ans à la prison Marcos Paz à Buenos Aires. L’ancien général argentin avait été condamné à la prison à vie pour crime contre l’humanité et à une peine de 50 ans de prison pour le vol de bébés d’opposants. Notre collaborateur Jac Forton, grand spécialiste de la période des dictatures en Amérique latine, nous propose des extraits  d’une interview hallucinante que la revue espagnole Cambio 16 publiait de Jorge Videla, reprise le 17 mai 2013 par le journal Página 12 de Buenos Aires. 

En prison depuis 2008, Jorge Videla a toujours refusé de reconnaître la légitimité de la justice civile. Il voulait être jugé « par ses pairs », c’est-à-dire par des militaires. Il a déjà été condamné à la perpétuité pour crimes contre l’humanité commis durant sa dictature (1976-1981) et pour le vol de bébés. Lorsque des femmes enceintes étaient arrêtées par les escadrons de la mort, les militaires les plaçaient dans des « maternités » cachées au fin fond des centres de torture jusqu’à ce qu’elles accouchent. La mère était alors remise à la Force aérienne et jetée à la mer avec des dizaines d’autres prisonniers politiques. Les enfants étaient donnés ou vendus à des militaires. En ce mois de mai 2013, Videla était aussi sur la sellette pour sa participation à l’Opération Condor, la coordination des polices secrètes des dictatures du Cone Sud durant les années 70-80. C’est sous Videla que s’est élaboré le plan de répression systématique d’enlèvement des opposants à la dictature, leur torture et leur disparition. C’est aussi lui qui a placé un ministre de l’Economie ultralibéral pour conduire les politiques économiques libérales de la dictature. Martín Fresneda, du Secrétariat des Droits Humains de la Nation d’Argentine a déclaré : « La justice a pu juger  le principal responsable du génocide avant sa mort. L’Etat ne doit célébrer la mort de personne mais bien que justice ait été rendue ».

Extraits sur la période avant la dictature

« À la mort du président Domingo Perón, María Estela de Perón devient présidente de l’Argentine. Rapidement, son gouvernement perd de sa force. Elle fut une bonne élève de Perón, oui, car du point de vue idéologique, elle se situait à l’extrême droite du péronisme et rejetait totalement le marxisme. Puis elle est influencée par López Riga qui crée la Triple A [Alliance Anticommuniste Argentine]… En 1975, je suis nommé commandant en chef de l’armée. La présidente étant malade, le pays est conduit par Italo Luber faisant fonction de président. Il convoque les commandants en chef et nous demande notre opinion. Je lui expose quelques idées pour faire face à la menace terroriste et régler le problème en 18 mois. Luder signe alors les décrets qui donnent tous les pouvoirs à l’armée pour agir efficacement contre les subversifs. À partir de ce moment, le pays entre en guerre. Nous étions, les militaires, préparés pour tuer ou mourir, face à un ennemi implacable bien qu’il n’y ait pas d’agression formelle. La revue Time [Etats-Unis], dans un article de l’époque, disait que si on comparait les terroristes argentins [l’opposition à la dictature], allemands et italiens, en terme de cruauté, les Européens étaient infiniment plus humains que ceux de notre pays. Ce sont ces terroristes que nous devions affronter… Il y avait un vide de pouvoir, une authentique paralysie institutionnelle. Le chef du Parti Radical, Ricardo Balbin, est venu nous voir et nous dit : « Etes-vous disposés à faire un coup d’Etat ?’ Pour un chef militaire, c’est une invitation à réaliser une action qui rompt l’ordre institutionel… »

 Extraits sur le coup d’État

« Ou nous prenions le pouvoir, ou la subversion prenait les institutions par les armes. Le 24 mars 1976, se produit le soulèvement militaire. Le nouvel ordre est dirigé par la Junte des commandants en chef des Forces armées. C’est le début du processus de Réorganisation Nationale. Nous allions faire ce que nous croyions qu’il fallait faire et qui était dans nos plans. C’était une situation d’exception qui exigeait des mesures exceptionnelles. La réaction internationale nous était totalement favorable. Plus tard, les pays européens voyaient une dictature en Argentine, une connexion avec le fascisme. En 1978, la situation avait notablement amélioré. Il n’y avait plus l’ombre d’une menace terroriste et encore moins de délinquence. Nous étions le pays le plus sûr du monde…C’est dans ce contexte qu’eut lieu le Mundial de football de 1978. Nous avons démontré au monde notre capacité d’organisation dans un pays en paix face aux médisances de certains secteurs intéressés.  On nous attaquait injustement, avec des calomnies et des informations aberrantes et tendancieuses pour dénigrer l’Argentine… »

 Extraits sur l’Eglise catholique

« Notre relation avec l’église catholique était excellente, très cordiale, sincère et ouverte. Avec le cardinal Raúl Primatesta, nous sommes même devenus amis. Les aumoniers militaires nous ont beaucoup aidés. L’Eglise a été prudente. Elle condamnait les quelques excès et nous demandait d’y mettre fin mais sans rompre les relations, bien au contraire. Elle ne s’est pas laissée entrainer par cette tendance gauchiste et tiers-mondistes, clairement politisée… »

 Sur les entreprises

« Les entreprises aussi ont bien collaboré avec nous par l’intermédiaire du ministre de l’Economie Martinez de la Hoz, bien connu de la communauté des entrepreneurs. Économiquement, nous recevions sans difficultés des prêts des banques internationales. Il y avait une grande paix sociale. »

Extraits sur les disparus

« On ne peut passer d’un extrême à l’autre. De 30 000 morts que disent certains à 7 000 que disent d’autres. Je crois que cette affaire a beaucoup à voir avec les compensations financières reçues par les victimes. Il y a une claire manipulation dans cette histoire de disparus. Les chiffres ont été altérés dans le but de recevoir frauduleusement une indemnisation de l’Etat argentin ».

Extraits Sur sa situation actuelle

« On nous a mené dans ce théâtre à diffusion mondiale. Le président Alfonsín a rempli son devoir à sa manière [en décrétant les lois d’impunité], Menem aussi par ses pardons et ses grâces. Le pire moment pour les militaires fut l’arrivée du couple Kirchner au gouvernement. Nous sommes des prisonniers politiques, nous payons notre service à la patrie. Il y a là un esprit d’absolue revanche, une vendetta sans raison pour une satisfaction personnelle. Ce sont des procès politiques. On invente des disparus qui n’ont jamais existé et on vide ainsi la justice de tout sens. Il n’y a plus d’entrepreneurs parce qu’ils sont vendus au pouvoir. Les institutions sont mortes, paralysées, pire qu’à l’époque de María Estela de Perón… La Justice, le Congrès et les autres institutions n’existent pas. La République a disparu… » 

  Jac FORTON

Le texte complet de cette interview peut être trouvé sur le site de Pagina 12.