Luz, une pièce de théâtre bouleversante sur la dictature argentine et la quête d’identité  

«  Luz  » est une adaptation au théâtre par Paula Giusti du célèbre roman Luz ou le temps sauvage écrit par Elsa Osorio. Il sera possible d’en profiter du 7 au 26 novembre 2023, au Théâtre du Soleil à Paris. 

Photo : La Cartoucherie

Luz est née en 1976 pendant les années sombres de la dictature argentine. À l’âge de 20 ans, doutant de ses origines, elle va partir dans une longue quête de sa véritable identité. À travers six personnages, six marionnettes et un musicien, l’histoire va prendre corps devant les yeux des spectateurs. Ainsi ressurgit tout le drame de centaines d’enfants enlevés à leurs parents emprisonnés puis disparus pendant la dictature et adoptés illégalement pas des familles proches des militaires.   

Au début de la pièce, Paula Giusti se présente à nous. Elle est née en 1975 en Argentine, à Tucumán, où sévissait l’un des militaires les plus redoutables. Elle a grandi avec le mot » disparu ». Sa meilleure amie a ses deux parents qui ont disparu pendant la dictature. Plus tard, en 2000, elle décide de partir vivre en France. Elle va mettre en scène plusieurs spectacles, des adaptations de romans mais jamais à partir d’un roman argentin, sauf en 2023 : Ma vocation pour l’oubli commençait à disparaître. Tous les acteurs vont alors entrer en scène et dialoguer avec l’auteure, expliquent qui ils sont. En faisant appel au «  théâtre dans le théâtre », la metteuse en scène va commenter, poser des questions. Au début, une certaine confusion pour le spectateur « Je voulais montrer la confusion dans laquelle se trouve Luz, une jeune fille, dans sa longue recherche de son identité , comme la reconstitution d’un puzzle,  une situation qui va s’éclaircir petit à petit dans la pièce. « Et donc par où commencer cette histoire ? Un homme tape sur une machine à écrire ». La dénommée metteur en scène a perdu complètement le contrôle de la situation !  « la situation n’est plus sous le contrôle de l’autorité officielle ».

Dans la mise en scène, peu de décors, mais par exemple des projections d’images comme lorsque Luz arrive à Paris pour rencontrer Carlos : photos de Paris, bruits de la ville. Tous deux seront présents sur scène tout au long de la pièce accompagnant le récit que fait Luz à Carlos sur ce qu’elle a découvert de sa vie. 

Des vidéos montrent à partir de 1976 les manifestations des «  abuelas de la plaza de Mayo » à Buenos Aires. Ou un des personnages « la Bête » (le sergent Pitiotti) qui  apparait d’abord en ombre chinoise. Luz se déplace tout au long du spectacle  avec son sac à dos : à l’intérieur… les marionnettes de ses grands-parents adoptifs, Amalia et le lieutenant-colonel Alfonso Dufau  qui symbolisent le  fardeau, le poids du mensonge que Luz portera durant toute sa jeunesse. « Alfonso, tu ne m’as pas raconté que les enfants de subversives sont parfois donnés à des familles bien ? … Prends en un pour Mariana » En effet, leur fille a perdu son bébé à la clinique, elle est dans le coma, on ne lui dira rien de ce qui s’est passé. Au même moment, Liliana, une prisonnière politique accouche d’une petite fille.  Ainsi  Mariana  et Eduardo deviendront les parents de Luz même si Eduardo, désemparé, n’est pas d’accord. La marionnette menaçante de Dufau l’obligera à accepter comme celle du Dr Murray. Le personnage de Liliana est représentée par une tête qui va prendre vie à travers le corps de plusieurs comédiens. « Je voulais montrer des fragments de corps, pour symboliser les disparus.  La manipulation de ces corps par des marionnettistes accentue cette idée. Cela m’a permis de résoudre le problème de la représentation de Liliana, mère biologique de Luz et disparue ».  

En attendant le rétablissement de Mariana, l’enfant, et Liliana sa vraie mère, seront confiés à Miriam, une prostituée, la maîtresse de la Bête. Entre eux un rapport passionnel, violent. Le sergent Pitiotti est un de ces tortionnaires de la dictature. Miriam pose trop de questions. Il la menace. Elle va se prendre d’affection pour le bébé et pour Liliana. Miriam va être un de ces personnages qui va prendre conscience de la réalité, de l’horreur de la dictature comme Eduardo qui le paiera de sa vie, et comme Luz qui va connaître la vérité sur ses origines (« Luz » c’est la lumière mais cela symbolise aussi la vérité)et  aussi sur  les circonstances du meurtre de  Liliana. Miriam lui dira vingt ans plus tard : « Ton père s’appelait Carlos Squirru , ta mère était Liliana. On les a tués parce qu’ils voulaient une société plus juste ».  Mais c’est Luz qui poursuivra cette fois ci les recherches et qui découvrira que son père est bien vivant en exil à l’étranger.  

Ainsi Paula Giusti, avec sa troupe Toda Vía Teatro, acteurs, marionnettistes et musicien, ont su faire partager au spectateur avec talent cette quête de vérité, de justice de Luz, ce travail de mémoire qui est en fait celui de toute la société argentine. En juillet dernier, le 133e petit enfant volé par les militaires a été retrouvé. Il avait été enregistré en mars 1977 par un membre des forces de sécurité et une infirmière comme leur propre enfant. Pendant la dictature, les militaires avaient mis en place un plan systématique de vols de bébés d’opposants politiques en prison. En ce 40e anniversaire du retour à la démocratie en Argentine, « la recherche de la vérité continue afin que tous ces crimes aussi horribles ne se répètent jamais. »