« Pinochet déclassifié » par Peter Kornbluh vient de paraître au Chili

Début septembre est sorti aux éditions Catalonia au Chili le livre « Pinochet déclassifié » à partir de l’analyse étasunien Peter Kornbluh, sur le véritable rôle des États-Unis dans le coup d’État de 1973. L’auteur est au Chili pour lancer le livre cette semaine au musée de la Mémoire à Santiago.

Photo : Catalonia

Les États-Unis viennent de déclassifier deux rapports préparés par la CIA pour le président Richard Nixon, l’un quelques jours avant le coup d’État et l’autre le matin même du coup d’État. Lus isolément, ils donnent l’impression que les États-Unis n’avaient qu’une idée vague et lointaine de ce qui se passait au Chili. Mais il existe de nombreux autres documents, désormais déclassifiés, qui fournissent un tableau historique plus complet. Cet extrait du livre Pinochet déclassifié de l’historien Peter Kornbluh, se concentre sur ce que les États-Unis savaient, et sur ce qu’ils ont fait et n’ont pas fait à l’approche du 11 septembre.Le lendemain de la prise du pouvoir par l’armée par la violence, des membres du Département d’État se sont réunis pour discuter des lignes directrices que Henry Kissinger devrait suivre lorsqu’il répondrait à la presse sur le « degré de connaissance préalable que nous avions du coup d’État ». Jack Kubisch, secrétaire adjoint aux Affaires de l’hémisphère occidental, a souligné qu’un certain soldat chilien, qui s’est avéré n’être autre que Pinochet lui-même, avait informé l’ambassade que les conspirateurs avaient caché à ceux qui les soutenaient aux États-Unis la date exacte. Sur lequel ils agiraient contre Allende. Kubisch a néanmoins déclaré qu’il n’était pas sûr « Si le Dr Kissinger devait utiliser cette information, étant donné qu’elle mettrait en évidence l’étroitesse de nos contacts avec les putschistes ».

Au cours des mois précédant le coup d’État, la CIA et le Pentagone ont entretenu des relations étroites avec les conspirateurs chiliens grâce à l’action de plusieurs agents et informateurs, de telle sorte qu’ils connaissaient la date exacte à laquelle les militaires prendraient le pouvoir. …au moins trois jours à l’avance. Les communications provenaient d’opérations secrètes de recherche de candidats à l’armée auxquelles ils avaient eu recours à nouveau après les élections au Congrès chilien de mars 1973. Les mauvais résultats des élections ont amené de nombreux membres de la CIA à se convaincre que les actions politiques et de propagande n’avaient pas donné les résultats escomptés et que la solution définitive au problème de l’unité populaire était, comme le suggéraient les documents de l’Agence, entre les mains de l’establishment militaire chilien.Jusqu’aux deux premiers mois de 1973, les opérations politiques et la propagande générées par El Mercurio et d’autres médias financés par la CIA se sont concentrées sur une campagne d’opposition active visant à remporter incontestablement les élections parlementaires du 4 mars, à savoir tous les représentants chiliens et la moitié des députés.

Les sénateurs s’étaient présentés à la réélection. L’objectif de la CIA était, tout au plus, d’obtenir une majorité des deux tiers pour l’opposition afin de soumettre Allende à une procédure de destitution et, au moins, d’empêcher l’Unité populaire d’obtenir une majorité claire des voix. Sur les trois millions six cent mille votes dépouillés, 56 % correspondaient à l’opposition, tandis que les candidats de l’Unité populaire ont obtenu 43 %, ce qui signifie qu’ils ont obtenu deux sièges au Sénat et six au Congrès. « Les actions entreprises par la CIA à l’égard des élections de 1973 ont contribué à ralentir la progression du Chili vers le socialisme », déclare un document intitulé : « Rapport sur les élections chiliennes » rédigé au siège de Langley.

La réalité, cependant, était très différente, comme l’avaient compris le quartier général de la CIA et son poste opérationnel à Santiago. En fait, lors du premier test national auquel la popularité du parti d’Allende a été confronté depuis son arrivée au pouvoir, son administration n’a fait qu’accroître son pouvoir électoral, malgré l’activité politique de la CIA, l’ambitieuse campagne de propagande secrète menée contre lui et les difficultés socio-économiques. Plan de déstabilisation dirigé par les États-Unis. « Le programme UP continue d’attirer une grande partie de l’électorat chilien », a déploré le journal de Santiago dans un télégramme. L’Agence a donc été contrainte de reconsidérer toute sa stratégie clandestine au Chili. « Les options futures », a télégraphié le bureau central le 6 mars, « sont examinées à la lumière des résultats électoraux décevants, qui permettront à Allende et à l’UP de poursuivre leurs programmes avec plus de vigueur et d’enthousiasme ». Le centre d’opérations de Santiago, alors dirigé par un nouveau directeur, Ray Warren, a pris une position ferme sur laquelle de ces « options futures » serait nécessaire. Dans un bilan rétrospectif des élections législatives du 14 mars 1973, le poste de Santiago a présenté une série de plans visant à se concentrer encore davantage sur le programme militaire. Nous pensons que, dans un avenir proche, la base de Santiago devrait mettre l’accent sur les activités [clandestines] visant à élargir les contacts, les informations et les capacités dont nous disposons afin de créer l’une des situations suivantes : A) Un consensus parmi les dirigeants des Forces armées (qu’ils restent ou non au gouvernement) sur la nécessité de se révolter contre le régime. La base de Santiago estime que nous devrions essayer d’inciter le plus grand nombre possible de soldats, sinon la totalité, à prendre le pouvoir et à renverser le gouvernement de Salvador Allende (…)  B) Une relation sûre et étroite entre le poste d’opérations de Santiago et un groupe sérieux de putschistes militaires. Dans le cas où notre nouvelle évaluation des groupes existants dans les Forces armées indique que ceux qui nourrissent des projets de complot ont des intentions sérieuses et la capacité nécessaire pour les réaliser, le poste souhaiterait établir un canal unique et sécurisé avec ses membres qui permettrait dialoguer et, une fois que les données de base sur leur capacité collective ont été recueillies, demander l’autorisation du siège pour assumer un rôle plus large [expurgé]. Dans le même temps, la base de Santiago de la CIA a également réaffirmé la nécessité de se concentrer une fois de plus sur la création d’un climat propice à un coup d’État, objectif éternel du gouvernement américain… 

D’après les éd. Catalonia.