« Colombian psycho », le dernier roman noir de Santiago Gamboa aux éditions Métailié

Conteur hors pair au sens de l’humour aiguisé, Santiago Gamboa séduit par sa verve et son ironie. Une intrigue passionnante menée de main de maître et une écriture ironique et efficace font de ce roman noir un livre exceptionnel qui vient de paraître aux éditions Métailié.

Photo : Ed. Métailié

Santiago Gamboa est né en 1965 à Bogotá, en Colombie. À l’âge de 19 ans, il part pour Madrid et y étudie la philologie hispanique. En 1990, il s’installe à Paris. Après avoir étudié la littérature cubaine à la Sorbonne, il devient journaliste pour RFI, poste qu’il occupera jusqu’en 1997. Grand voyageur, reporter et diplomate, il ne revient s’installer en Colombie qu’en 2014. Essayiste, auteur de chroniques et d’articles d’opinion dans de nombreux médias colombiens et internationaux, il a publié plus d’une dizaine de romans, dont certains traduits dans plus de quinze langues. Ses romans les plus connus sont Perdre est une question de méthode (1999), Le Syndrome d’Ulysse (2007) et Retourner dans l’obscure vallée (2017). Singulier et authentique, Santiago Gamboa est aujourd’hui l’un des écrivains les plus importants de la littérature colombienne.

Des ossements humains sont retrouvés dans un terrain vague près de Bogotá. Il ne s’agit pas d’un cadavre : ce sont les membres inférieurs et supérieurs d’un homme vivant. Ils appartiennent en effet à un certain Marlon Jairo Mantilla, un ancien paramilitaire emprisonné depuis quelques années déjà à La Picota, pour le féminicide de son épouse. L’affaire est très vite confiée au procureur Edilson Jutsiñamuy et son équipe, qui décident de faire également appel à la journaliste Julieta Lezama, et à sa secrétaire et ex-guérillera, Johana Triviño. C’est ensemble qu’ils enquêtent sur une série de crimes atroces, des assassinats des plus odieux et des plus horribles, dans une Bogotá sinistre où règnent la violence, la corruption et le narcotrafic. Au fil des pages, l’actualité et le réel envahissent et investissent le texte. À tel point que les protagonistes du roman font la connaissance d’un écrivain, Santiago Gamboa, dédoublement fictionnel du romancier, aussi miroir de son œuvre et de ses personnages, dans un jeu fascinant où fiction et réalité alimentent une description sociale et « réaliste » de la société colombienne.

Héritier et émulation lointaine de l’American Psycho (1991) de Bret Easton Ellis, Colombian Psycho n’en est pas moins une dissection critique et brutale, la radiographie d’une Colombie funeste. À l’opposé des représentations du récent film Encanto de Disney ou des cartes postales idéalistes et ornées d’orchidées paradisiaques, de paysages tropicaux ou de crépuscules édéniques, Santiago Gamboa choisit sciemment les codes du roman noir, afin de mettre en lumière les sphères ténébreuses de son pays. Narration policière qui plonge dans le côté obscur d’une république violente et souvent désemparée, Colombian psycho déterre les affres cachées d’une Colombie officieuse et souterraine, que la Colombie officielle, celle de la superficie, prétend fuir ou ignorer. Dans le roman, la résolution d’une affaire criminelle devient l’occasion et le prétexte pour raconter des histoires, comme si chaque meurtre évoquait une mémoire, réduite au silence mais encore vivante. Ce sont les voix de ces morts qui reconstruisent finalement leur version de la réalité, dans une société gangrenée par la violence, l’imposture et l’impunité, qui semble parfois parrainer l’infamie.

Dans Colombian psycho, la littérature passe toute la société colombienne au crible. L’enquête finit par concerner et résumer tout ce qui se passe dans le pays. Cela permet bien sûr à Santiago Gamboa d’aborder de nombreux thèmes (sang, sexe, musique, fêtes, drogues, argent, amour, etc.) et d’insérer quantité de réflexions métalittéraires et philosophiques, mais Colombian psycho dresse ensuite et surtout le portrait de nombreux personnages d’origine et de niveau social différents. Le roman se veut ainsi une sorte de recherche du subconscient d’une Colombie que Santiago Gamboa qualifie dans la presse de « perverse ». Dans une société colombienne où les valeurs semblent inversées et où le mal-être se manifeste à travers la violence, Colombian psycho prétend comprendre autrement la Colombie. Dans une possible version cauchemardesque, le pays devient une scène où, d’un point de vue esthétique et éthique, les personnalités et les identités sont multiples et complexes, où le mal et le bien s’affrontent. Ce monde du crime et de la violence, dans une société trop souvent obsédée par la réussite et la richesse, contraste alors avec les véritables héroïnes de ce roman policier : les journalistes Julieta et Johana. Si justice il y a, ce sera bien grâce à ces deux femmes, qui, au péril de leur vie, révéleront enfin la vérité et incarneront par ce biais la conscience d’une société civile en quête de rémission et de pardon.

Doté d’une intrigue passionnante et secoué par une écriture ironique et saisissante, Colombian psycho est un roman noir incisif et mordant, ancré dans la réalité la plus noire d’un pays qui tente de trouver l’apaisement après l’accord de paix de 2014, entre les FARC et le gouvernement colombien. Il forme le deuxième volet d’une trilogie initiée avec le roman Será larga la noche, publié en Colombie en 2019. Colombian psycho est paru le 17 mars 2023 en France, mais est encore et toujours disponible en librairie, aux éditions Métailié.

Cédric JUGÉ

Colombian psycho de Santiago Gamboa, traduit de l’espagnol (Colombie) par François Gaudry, éd. Métailié, 592 p., 2023. / En espagnol : Santiago Gamboa, Colombian psycho, Bogotá, Alfaguara, 2021.