El Salvador, un pays en guerre contre les gangs

L’état d’urgence instauré depuis le 27 mars 2022 par le gouvernement de Nayib Bukele, à la suite d’une hausse des homicides en début d’année, continue dans l’État centraméricain du Salvador. Cette mesure s’inscrit dans le cadre d’une guerre contre les gangs, ou pandillas, notamment les tristement connus Mara Salvatrucha (MS-13) et 18th Street Gang (ou Mara 18). Depuis le 3 décembre, la ville de Soyapango est assiégée. 10 000 soldats encerclent et fouillent la ville afin d’en « extraire » les membres de gang qui s’y réfugient, et il est interdit d’en sortir ou d’y entrer sans être contrôlé.

Photo : La Prensa

Le président actuel du Salvador, Nayib Bukele, considéré comme progressiste et populiste, est un personnage politique bien controversé. Il proclame sa volonté de lutter contre la corruption et de rompre avec les partis qui se partagent le pouvoir au Salvador depuis trente ans : l’Alliance républicaine nationaliste et le FMLN. Il est connu pour avoir instauré le bitcoin comme monnaie nationale, au même titre que le dollar américain, et pour sa forte présence sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter. Aujourd’hui, et grâce à sa nouvelle majorité à l’Assemblée, Bukele pourrait vouloir réformer la constitution en vigueur afin de permettre sa réélection. En effet, il a exprimé le 15 septembre dernier son intention de se présenter aux présidentielles de 2024. Malgré les débats concernant ses méthodes dans le cadre de cette « guerre contre les gangs », près de 80% des Salvadoriens seraient favorables à cette réélection, préférant ignorer ces controverses et améliorer leur sentiment de sécurité.

Depuis des décennies, la violence et l’insécurité sont des problèmes auxquels fait difficilement face le gouvernement salvadorien. En témoigne la guerre civile de 1979 à 1992, durant laquelle s’affrontèrent le Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN, une guérilla marxiste, transformée en parti politique depuis 1992) et le gouvernement de droite alors en place, soutenu par des groupes paramilitaires. Durant cette guerre, de nombreux salvadoriens immigrèrent clandestinement aux États-Unis, notamment à Los Angeles, où se créèrent alors les gangs rivaux des MS-13 et des Mara 18. À partir des années 1990, les États-Unis expulsèrent des milliers de membres de gangs qui continuèrent leurs activités au Salvador mais aussi dans le reste de la région centraméricaine. Face à cette situation d’insécurité, de nombreux Salvadoriens fuient vers le nord, mais ils restent bien souvent bloqués à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

S’il est vrai que la criminalité a fortement diminué depuis l’élection de Nayib Bukele en 2019, beaucoup dénoncent ses méthodes, les qualifiant de mesures à tendances autoritaires. De nombreux organismes ont dénoncé les atteintes aux droits de l’Homme perpétrés par les autorités salvadoriennes, qui « ont commis des violations massives des droits humains, dont des milliers arrestations arbitraires et de violations des garanties procédurales, ainsi que des actes de tortures et d’autres formes de mauvais traitements », affirme Amnesty International. Une inquiétude que partage aussi la Commission interaméricaine des droits de l’Homme[1]. De plus, le grand nombre d’arrestations (près de 60 000 depuis l’instauration de l’état d’urgence) a conduit à une extrême surpopulation carcérale, et donc à une absence totale d’intimité et à une détérioration des conditions d’hygiène dans les prisons.

Le Salvador n’est pas une exception ; la violence engendrée par la présence de gangs ou autre bandes criminelles, bien souvent liés au trafique de drogue, est un problème qui touche en effet toute l’Amérique latine et particulièrement la région centraméricaine. C’est par exemple le cas du Honduras où le gouvernement de la présidente Xiomara Castro a lui aussi suspendu certaines garanties constitutionnelles le 6 décembre dernier, pour une période de trente jours, en instaurant un état d’exception pour faire face aux bandes criminelles. De la même manière, en Équateur, le gouvernement de Guillermo Lasso a un instauré un état d’urgence le 2 novembre, pour une durée de 45 jours, dans les provinces de Guayas et d’Esmeraldas.

Cassandre LENA-BADIOU


[1] Voir article « El Salvador : La CIDH s’inquiète des « restrictions aux droits de l’homme » » ici