Brésil : un mauvais rêve décrypté dans un livre

Quand Jair Bolsonaro est élu président du Brésil en octobre 2018, le monde entier est incrédule. La suite est une cascade de scandales et de provocations. Dans un récit intitulé Cauchemar brésilien, le journaliste Bruno Meyerfeld retrace le parcours, depuis son enfance, de ce président improbable et explore les fragilités du Brésil qui ont mené à son avènement.

Photo : éd. Grasset

Le “cauchemar brésilien“ n’est pas terminé, et il pourrait même se muer en terreur nocturne. Le premier tour de la présidentielle du Brésil, le 2 octobre 2022, a créé la surprise en donnant 43,2 % des voix au candidat sortant Jair Bolsonaro contre 48,43 % à son rival de gauche Lula da Silva, alors que les sondages donnaient ce dernier favori pour l’emporter dès le premier round. « La fin de cette histoire reste à écrire » : le journaliste Bruno Meyerfeld ne pouvait pas si bien dire, quelques semaines avant l’élection présidentielle de 2022, en clôturant son livre Cauchemar brésilien, paru aux Éditions Grasset. Correspondant du journal Le Monde au Brésil, franco-brésilien, Bruno Meyerfeld dresse dans cet essai un portrait prémonitoire, que l’on préférerait fictif, de ce grand pays et de son invraisemblable président d’extrême droite Jair Bolsonaro, élu en octobre 2018. Et qui, contrairement à toute attente, parvient à tenir le haut du pavé à la veille du second tour de l’élection 2022, le 30 octobre prochain. 

“Tout sauf une parenthèse“

Le “Mythe“, comme l’appellent ses partisans et électeurs, peut apparaître à beaucoup comme un désastreux accident de parcours dans l’histoire de la démocratie brésilienne. Ce serait oublier que le Brésil n’a renoué avec la démocratie qu’en 1985, après vingt ans de dictature laissant derrière elle un cortège de nostalgiques, souvent mû par leurs intérêts économiques ou par la frustration, à l’instar des sans-grades de l’armée ou de la police, ou encore des populistes de toujours. Ce serait aussi omettre de balayer devant nos portes, en Europe, où les idées et les pouvoirs d’extrême droite prospèrent allègrement. 

Ce qui est arrivé au Brésil ces dernières années avec l’émergence d’un personnage à l’idéologie nauséabonde résulte d’un profil individuel ancré dans une haine paranoïaque, conjugué à l’idiosyncrasie du pays et à ses fractures. À savoir : le petit capitaine parvenu au sommet est “tout sauf une parenthèse (…), tout sauf un passager clandestin du pouvoir.“ Bruno Meyerfeld développe ce constat en construisant son récit sur des allers-retours entre les années du mandat de Bolsonaro et les décennies qui ont façonné, depuis son enfance, le petit “Palmito“, un surnom de jeunesse.

Les fantômes du Brésil

On croise dans Cauchemar brésilien une galerie de personnages influents et peu recommandables, souvent poursuivis pour corruption ou blanchiment par la justice mais sans véritable conséquence fâcheuse, des hallucinés homophobes et racistes, un gourou mystificateur, des pasteurs évangéliques richissimes et puissants, un “ventre mou“ de députés sans envergure mais au bras long, de gros durs ripoux exhumés de la police, un clan familial Bolsonaro inféodé au père et survolté, et des millions de Brésiliens perméables à la désinformation et aux fake news sur les réseaux sociaux. « Whatsapp, Whatsapp ! Facebook, Facebook ! » criaient ainsi les fans de Bolsonaro le jour de son intronisation, en hommage aux innombrables messages envoyés par l’équipe de campagne du capitaine, comme autant de diatribes ordurières contre le rival de gauche, Fernando Haddad, et les années de pouvoir du Parti des travailleurs (PT) de Lula, présenté comme “corrompu“. 

Ces fantômes hauts en couleurs ne sont pas une génération spontanée qui serait apparue avec la crise économique qui frappe le Brésil à partir de 2014, aiguisant la misère, les haines et les débordements. Ils sont le reflet de l’histoire du Brésil et de son organisation sociale depuis son indépendance en 1822. La violence, le racisme, les coups d’État, destitutions et assassinats à répétition font partie de cette histoire moderne. Comme des institutions telles que le Parlement, noyautées par des familles de l’agrobusiness ou de la finance, alourdies d’une myriade de partis politiques sans ligne claire et opportunistes qui négocient leurs voix avec le gouvernement. Qu’on en juge : en juillet 2021, cent dix demandes de destitution avaient été déposées contre Bolsonaro au Congrès. Aucune n’a abouti. 

La configuration du Brésil, ce sont encore, toutes tendances confondues, des formations politiques engluées dans des affaires de corruption. C’est une presse volontiers complaisante, des chaînes de télévision qui appartiennent aux églises évangéliques. Des pouvoirs parallèles à la force du pistolet, comme les milices de Rio de Janeiro. Une vaste emprise sur les ressources naturelles entre les mains d’une poignée de propriétaires qui perpétuent des schémas coloniaux, en Amazonie, dans les mines du Minas Gerais ou ailleurs. Un chiffre cité par Bruno Meyerfeld est éloquent : au Brésil, « 1 % des plus riches s’accapare la moitié des richesses nationales ». Tous ralliés au candidat Bolsonaro en 2018, pour éviter à tout prix le retour du PT au pouvoir, même s’ils méprisent le personnage grossier et mal embouché qu’est le capitaine.

Ne plus frôler la catastrophe 

En ce mois d’octobre 2022, la plupart des caciques de l’agrobusiness et des gouverneurs des États les plus riches du pays sont à nouveau aux côtés du leader d’extrême droite, en dépit du bilan misérable, voire criminel de ce dernier, s’agissant de l’absence de gestion de la pandémie dans le pays et de la propagande anti-vaccins contre le Covid-19. En 2021, le Brésil a frôlé la catastrophe du coup d’État, projet aiguillonné par le président en 2021, et seule la Cour suprême fédérale a réussi à se dresser contre une foule déchaînée et prête à tout. Les élites n’en ont manifestement cure. Au Congrès, les ultraconservateurs ont déjà, le 2 octobre, emporté bon nombre de sièges. Le Cauchemar brésilien de Bruno Meyerfeld se lit comme un polar dont le protagoniste principal, un type quelconque et passablement inculte, déploie peu à peu des tactiques de prédateur conduisant à une issue fatale. Dans l’aveuglement général. On ne peut qu’espérer que le 30 octobre, la fin de l’histoire ne ressemblera pas à son début. 

Sabine GRANDADAM

Cauchemar brésilien, de Bruno Meyerfeld, paru en septembre 2022 aux éditions Grasset, 368 pages, 23 euros.