« Lula » da Silva, prochain président du Brésil ?

L’ancien président de gauche briguera un troisième mandat, lors de l’élection d’octobre prochain, pour « reconstruire » le pays après la gestion « irresponsable et criminelle » de Jair Bolsonaro. Emprisonné pendant dix-neuf mois pour corruption jusqu’en novembre 2019, blanchi par la Cour suprême brésilienne en avril 2021, le « brillant et ardent combattant de la forêt » symbolise plus que jamais le combat pour un État démocratique de droit, malgré ses récents dérapages médiatiques.

Photo : La Tercera

Luis Inacio Lula da Silva, âgé de 76 ans, a lancé sa campagne à Sao Paulo, le 7 mai, devant 4 000 partisans. Tout le monde attendait l’annonce de sa candidature depuis qu’il a recouvré ses droits politiques. En 2010, un sondage de l’Instituto Sensus le classait, au niveau mondial, comme le président le plus populaire en fin de mandat avec un taux de popularité de 87 %. Lula avait ainsi terminé sa gestion (2003-2010) avec plus de soutien qu’au début de son premier gouvernement. L’horizon de la présidentielle de 2018 semblait donc complètement dégagé pour le candidat du Parti des Travailleurs (PT). Il était en tête dans tous les sondages, mais une manœuvre judiciaire, liée à l’opération Lava Jato (Lavage Express), l’a écarté de l’arène politique à quelques mois de l’élection ouvrant la voie à l’extrême droite et son plus illustre représentant, l’actuel président Jair Bolsonaro.

Pour rappel, à la suite de ce scandale qui a éclaboussé plusieurs dirigeants d’Amérique latine, l’icône de la gauche brésilienne avait été condamnée, en juillet 2017, pour corruption passive et blanchiment d’argent. En janvier 2018, sa peine fut portée à douze ans sans qu’aucune preuve véritable ne soit apportée. D’après un sondage de Datafolha, en août 2018 Lula comptait plus du double des intentions de vote que le candidat Bolsonaro. Après avoir été condamnés en appel, l’ex-président et ses partisans n’ont cessé de dénoncer un complot politique pour l’empêcher de briguer un troisième mandat. Et c’est bien ce qui s’est passé : sa candidature fut annulée en vertu de la loi Casier vierge, qui interdit l’élection de citoyens condamnés en deuxième instance.

Toujours dans le cadre de l’affaire Lava Jato, en mars 2019 le juge Sergio Moro, qui avait condamné l’ancien président, a été déclaré « partial » par la Cour suprême (fin 2018 il est devenu le ministre de la Justice de Jair Bolsonaro !). Deux mois plus tard, le site The Intercept Brasil montrait qu’il avait eu collusion entre le juge et les responsables de l’enquête anticorruption dans le but d’écarter Lula de la campagne présidentielle. À présent, douze ans après avoir quitté le pouvoir, cet homme prédestiné selon l’étymologie (Luiz Inacio da Silva, « glorieux et ardent combattant de la forêt ») a annoncé qu’il allait « retourner au combat ». « Nous sommes prêts non seulement à travailler pour la victoire le 2 octobre, mais pour la reconstruction et la transformation du Brésil, qui sera plus difficile que la victoire lors de l’élection », a-t-il déclaré lors du lancement de la campagne face à ses soutiens qui scandaient « Lula, guerrier du peuple brésilien ».

Cependant, dans ce combat ultrapolarisé pour la prise du pouvoir contre Jair Bolsonaro, rien n’est joué d’avance pour l’ancien ouvrier métallo. D’autant plus que le colonel ex-parachutiste peut compter avec le soutien des forces armées. Or l’odeur des casernes, le pas de l’oie et les claquements des bottes, comme en train de frapper le visage d’un homme*, n’ont pas de place dans la vie politique selon Lula. « Le rôle des forces armées brésiliennes est très bien défini par la Constitution : elles défendent la souveraineté de notre pays. […] Elles sont au service de la société civile. C’est ce que dit notre Constitution. Aujourd’hui, il y a 8000 militaires qui occupent des postes de responsabilité civile, de confiance. Ils vont devoir partir et nous les remplacerons par des personnes non militaires. Il n’y a pas de problème, mais je ne veux pas parler d’élections avec les militaires », a-t-il déclaré devant les journalistes, à Paris, lors de sa tournée européenne en novembre 2021. 

Dans un pays où l’actuel président, ainsi qu’une grande partie de la population aisée et certains milieux populaires, restent toujours nostalgiques des années de la dictature, ce fossé entre le candidat du PT et les militaires peut toutefois se révéler dangereux pour Lula. Et outre le manque de soutien des forces armées, bien que ses condamnations aient été annulées, pour des millions de Brésiliens son gouvernement et le PT restent toujours synonymes de corruption. Et encore : ses récentes déclarations à la presse ont entamé sérieusement son image de leader rassembleur, à tel point que son compatriote et célèbre écrivain Paulo Coelho a pointé sur tweeter son « incontinence verbale ». Selon The Intercept Brasil, son entourage l’incite même à modérer ses propos. Et pour preuve : ses déclarations malheureuses concernant l’avortement, la police, et les classes moyennes. Début de mai, dans un interview accordé au magazine Time, Lula a également fustigé la médiatisation du président ukrainien Volodymyr Zelensky, ce « bon humoriste […] qui se donne en spectacle » et est « aussi responsable » de la guerre que Vladimir Poutine

En regardant de plus près ce propos, on est tenté de donner raison à Paulo Coelho. Car Lula, qui vraisemblablement sera le futur président d’un pays de 214 millions d’habitants, a négligé un aspect dramatique de la situation actuelle. Il a oublié d’ajouter que c’est une aberration, que rien ne justifie à l’aube du troisième millénaire le fait de vouloir construire la gloire d’une nation sur les décombres des écoles, des hôpitaux et des cadavres des innocents. Or sur ce point, le candidat Lula est trop conscient du fait que, pour réaliser ses promesses de prospérité, de développement durable et d’union nationale, il doit d’emblée ménager la susceptibilité de son partenaire l’Ourse rouge. C’est là aussi tout l’intérêt de Poutine, dont l’objectif géostratégique manifeste, en tandem avec la Chine, est de prendre le contrôle d’Amérique latine, région considérée historiquement comme l’arrière-cour des États-Unis (doctrine Monroe). À cet égard, il faut rappeler que le Brésil fait partie des BRICS, acronyme de la fédération réunissant depuis 2011 le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et la République d’Afrique du Sud. Ces pays ainsi réunis influent concrètement sur la direction de l’économie du globe car ils composent plus de 40% de la population mondiale, ce qui représente dans le commerce international 27 % du PIB. 

Par ailleurs, Lula affirme qu’il se « croit capable de faire plus et de faire mieux que ce que j’ai déjà fait », comme il l’a dit à Time. Mais il ne faut surtout pas oublier que le contexte économique mondiale n’est pas le même. En effet, si le premier chef de l’État brésilien issu de la classe ouvrière reste une idole populaire pour les plus démunis, son succès n’aurait pas été possible sans l’exceptionnelle conjoncture de forte croissance économique mondiale qui a marqué la première décennie du XXIe siècle. Cela grâce à la flambée des prix des matières premières, ainsi qu’au flux de fonds que la Russie infuse en Amérique latine depuis ces deux dernières décennies, lequel a favorisé d’autres gouvernements populistes tels que l’Équateur de Rafael Correa, l’Argentine des Kirchner et la Bolivie de Evo Morales. 

Par conséquent, ce ne sera pas une tâche facile pour l’ancien président Lula da Silva. Un autre point faible : le monde de la finance. Comme le fait remarquer l’historienne Armelle Enders, « Lula va avoir du mal à ramener à lui les milieux d’affaires. En vingt ans, beaucoup de choses ont changé. Une nouvelle droite, très libertarienne, a pris de la force. Elle est à la recherche d’une troisième voie, entre un Lula trop à gauche et un Bolsonaro trop imprévisible. » Quoi qu’il en soit, selon les sondages publiés en mai dernier par l’Institut Datafolha, l’idole des plus démunis obtiendrait 41 % des suffrages au premier tour, contre 23 % pour Jair Bolsonaro. Au second tour, l’ex-président s’imposerait avec 55 % des voix, contre 32 % pour le président sortant. Alors que 49% des personnes interrogées se disent indécises, les intentions de vote spontanées, sans liste de noms, l’avantage de Lula s’effrite, avec 21 % contre 17 % à Jair Bolsonaro.

Eduardo UGOLINI

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* George Orwell, Le lion et la Licorne.