Javier Milei va passer son examen d’entrée en deuxième partie de mandat le 26 octobre 2025. La moitié de la Chambre des députés est en effet soumise à renouvellement, comme le prévoit la loi argentine. Javier Milei préside l’Argentine au pas de charge depuis le 10 décembre 2023.
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Il s’était engagé à tronçonner le service public, de santé, de solidarité, d’éducation, à privatiser, licencier un nombre important de fonctionnaires, suspendre les investissements de l’État. Deux ans plus tard, c’est fait. En pleine conscience il a offert à ses électeurs, du sang et des larmes. Afin, selon sa logorrhée, de leur ouvrir le pays de Canaan, paradis, où coule le lait et le miel, sans chômage, sans inflation, et beaucoup de cryptomonnaie.
La moitié des ministères, considérés inutiles ont été supprimés. Les routes et les édifices publics ne sont plus entretenus. Les salaires des fonctionnaires d’éducation et de santé sont bloqués à leur niveau de 2023. L’inflation bien que réduite étant voisine de 30%, ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts. La solidarité sociale a été revue à la baisse. La vérité des prix a été imposée dans les transports. Seules les statistiques qui ont été réajustées signalent une baisse de la pauvreté.
La feuille de route du président reste fixée sur le méridien de Vienne et de Chicago et leurs économistes ultra-libéraux. Ici encore pas de surprise. Javier Milei avait annoncé son crédo pendant la campagne électorale. Il l’a confirmé au Forum de Davos et dans ses publications. Le marché seul, tout le marché et rien que le marché. Pour sortir l’Argentine de la stagflation il faut la soumettre au laisser faire le plus radical possible. Toute intervention de l’État, perturbatrice, ferait et fait plus de mal que de bien. La politique sociale a-t-il dit est anti-sociale. Le meilleur défenseur des salariés c’est le patron. L’impôt ne sert qu’à gripper l’économie et à gaspiller de l’argent.
Résultat des courses, Javier Milei, a effectivement cassé la hausse folle des prix, passée de 200% à 30%. Pour le reste les électeurs de la Province de Buenos Aires, soit 40 % du total national lui ont dit non le 7 septembre 2025. Les candidats présidentiels ont été battus à plate couture, à 14 points derrière leurs opposants. Leur ressenti n’est manifestement pas celui des statistiques officielles. Un quotidien économique titrait le 25 septembre de façon révélatrice, « La pauvreté a chuté, mais les spécialistes discutent la méthodologie de la mesure »[1]. Le secteur des travaux publics a licencié près de 50 000 employés. Les restaurants sont à la peine faute de clients qui remplissent désormais les « fast foods ». La majorité des Argentins « tire la langue », faute de revenus suffisants. Seuls pavoisent les exportateurs de soja et autres produits alimentaires, les secteurs miniers (lithium) et énergétiques (gaz et pétrole).
Les puissants de ce monde ont encensé un « homme courageux », qui aurait su prendre les bonnes décisions en dépit de leur coût humain. Javier Milei a fait la une d’hebdomadaires antiétatiques, défenseurs du marché au-dessus de tout[2]. Pour autant il ne les a pas convaincus. Les investissements extérieurs reçus par l’Argentine en 2024 ont chuté de 53 % par rapport à 2023[3]. Il est vrai que l’expérience des années Menem, péroniste ultra libéral et favorable aux capitaux extérieurs, s’est terminée, il y a plus de vingt ans en catastrophe économique, financière, sociale et politique. Son buste pourtant a fait son entrée à la Casa Rosada avec Javier Milei. Menem dans sa chute avait provoqué une alternance électorale péroniste, étatiste, plus que réservée à l’égard du FMI et des capitaux étrangers.
Résultat le marché se méfie, applaudit, mais garde ses dollars. La souffrance collective imposée au pays n’a pas permis à Javier Milei de récupérer les les devises lui permettant de rembourser la dette internationale accumulée par ses prédécesseurs, radicaux, péronistes et libéraux. Au point que Milei qu’en deux ans il a été contraint de doubler la dette extérieure, pour combler les trous hérités et ceux qu’il a creusés, tapant un coup le FMI et ensuite un Donald Trump en manque de relais diplomatiques en Amérique latine[4]. Cerise sur un peso en bandonéon, il a réduit les entrées fiscales d’un État pourtant aux abois en renonçant jusqu’au 30 octobre, pour la période électorale donc, à percevoir les droits de douane payés par les exportateurs de soja.
Mais le doute va bien au-delà. Doutes sur la crédibilité du discours anti-caste et anti-corruption du personnage. Peu de temps après son entrée dans la Casa Rosada son nom a été cité à propos d’une escroquerie à la crypto-monnaie. Puis quelques mois plus tard celui de sa sœur, et bras droit, Karina, a été publiquement signalé pour des appels d’offre concernant des médicaments destinés à des handicapés grevés de pots de vin. Sur les réseaux sociaux, on chante maintenant, reprenant le refrain de Guantanamera, « Grosse voleuse, Karina, Grosse voleuse »[5]. Le relai de cette cordée corrompue a été assuré par l’une des têtes de liste « miléiste » aux législatives, José Luis Espert, qui a renoncé le 5 octobre à se présenter, contraint de reconnaître avoir reçu 200 000 dollars d’un donateur lié au blanchiment d’argent sale. Plus préoccupant le profil irrationnel du président fait tiquer les plus séduits par le discours anti-impôt et anti-fonctionnaires du chef de l’État argentin.
Sa défense, canine, de la suprématie exclusive du marché ne passe pas bien. Le bâton présidentiel qu’il a souhaité tenir en main le jour de sa prise de fonction a été décoré des têtes de ses quatre chiens vivants et par celle du décédé, Conan. Il a dédié l’un de ses ouvrages fondé sur la raison économique ultra-libérale, « pour leur amour inconditionnel », à ses quatre chiens.[6] Ils occupent une place protocolaire et médiatique à ses côtés. il les a par exemple présentés le 30 juin dernier à l’ambassadeur de France. Chacun porte le nom d’un illustre maître de l’école de Chicago : Milton (Friedman), Murray (Rothbard) ; Robert ; Lucas (Robert Lucas) ; ces quatre amis de l’homme sont des clones de Conan (le barbare), mort en 2017[7], et avec lequel le président communiquerait grâce à la médiation d’une spécialiste en psychologie animale, qu’ils soient vivants ou décédés, la vétérinaire médium, Celia Liliana Melamed[8]. Reste enfin sa fascination pour les chiffres et les noms qui est peut-être à l’origine de son osmose spirituelle avec le judaïsme dans sa version habad-loubavitch. Proximité d’économiste, il cite la Bible à l’occasion pour appuyer son argumentation, mais proximité émotionnelle aussi, comme constaté à l’occasion de l’une de ses visites en Israël, où il a pleuré à Jérusalem devant le Mur des lamentations.
L’Argentine le 27 octobre quel que soit le résultat, bien que « Trump en annonçant un prêt de 20 milliards de dollars, ait « sauvé Milei in extremis » [9], se trouvera face au mur des lamentations, en urgence de conseils salvateurs, de Conan peut-être. En septembre le Congrès argentin a pris le vent et rejeté plusieurs projets présidentiels anti-sociaux. Le 25 septembre, 53,6% des Argentins, selon un sondage désapprouvaient la gestion du président Milei [10]. La censure est encore plus cinglante dans un sondage du 4 octobre : 64, 7% des personnes interrogées condamnent l’action du président Milei[1]. À défaut de convaincre, le chef de l’Argentine, le 6 octobre, est monté sur les planches du Movistar Arena. Là, il a hurlé les paroles du, « rock du chat », de « Je ne regrette pas cet amour », et, en honneur à Netanyahou, « Hava Nagila », intercalant entre les morceaux chantés sa foi en la méthode Coué : « Nous sommes à mi-chemin, ils ont gagné une reprise, pas la bataille » …
Jean-Jacques KOURLIANDSKY
[1] Ambito financiero, 25 septembre 2025, article de Santiago Reina
[2] En France par exemple, Le Point titrait le 17 juin 2025, « Javier Milei, les septe preuves de son succès économique en Argentine ; et le JDD, le 15 septembre 2025, « Milei et le courage de la rupture : une leçon pour la France ».
[3] In Document CEPAL sur l’investissement étranger en Amérique latine en 2024, Inversion Extranjera Directa, Santiago, 2025.
[4] La dette était de 44 milliards de dollars le 10 décembre 2023. En avril le FMI a accordé un prêt de 20 milliards de dollars, auxquels il faut ajouter les 20 autres milliards promis par Washington.
[5] Parmi plusieurs médias, Tiempo Argentino, » Karina es Alta coimera »,1er septembre 2025
[6] Javier Milei, Capitalismo, Socialismo, y la trampa neoclasica, Buenos Aires, Planeta, 2024, p. 5.
[7] Clonés aux Etats-Unis par un laboratoire au nom prédestiné, « PerPETuate ».
[8] Parmi beaucoup de médias, Perfil, 26 avril 2024
[9] Éric Albert, « Quand Trump sauve Milei in extremis », Le Monde, 24 septembre 2025, p. 16.
[10] Agustín Alvarez Rey, la imagen de Javier Milei sigue en baja, mientras que La Libertad Avanza se mantiene competitivo », sondage Management & FIT, 30 septembre 2025