José « Pepe » Mujica, ex-président de l’Uruguay est mort

« Le guerrier a droit à son repos. Qu’on me laisse tranquille. » C’est avec ces mots que José « Pepe » Mujica avait fait le 9 janvier dernier ses adieux publics, dans une interview accordée à l’hebdomadaire uruguayen Busqueda. Venant d’apprendre que le cancer de l’œsophage dont il souffrait s’était propagé à d’autres organes, il annonçait son choix de renoncer à tout traitement et demandait à pouvoir terminer paisiblement sa vie, aux côtés de son épouse Lucia Topolansky

Le calme n’a cependant été que relatif. Depuis sa ferme (chacra) située non loin de Montevideo, José « Pepe » Mujica a continué à répondre à des sollicitudes médiatiques, notamment lors de la mort du pape François, une personnalité qu’il respectait. Il a aussi reçu dans sa propriété de nombreux présidents d’Amérique latine, comme le Brésilien Lula de Silva, le Dominicain Luis Abinader, le Chilien Gabriel Boric, le Colombien Gustavo Petro ou le Guatémaltèque Bernardo Arévalo. Et des artistes sont venus lui témoigner leurs affection, en interprétant des chansons qui avaient accompagné son long chemin de militant.

Ces visiteurs ont tenu à saluer l’engagement de cet homme au parcours atypique. Au cours des années 1960-1970, il appartenait au mouvement d’extrême gauche des Tupamaros, qui s’est notamment financé en réalisant des enlèvements ou en attaquant des banques et des commerces en Uruguay. Il a survécu à plusieurs blessures par balles lors d’une interpellation. En tout, il a passé quatorze ans derrière les barreaux, la plupart du temps sous la dictature militaire (1973-1985).  En détention, il a été victime d’intenses tortures psychiques et physiques, relatées notamment dans le film Compañeros du réalisateur Alvaro Brechner, qui raconte ses longues années passées à l’isolement.

Amnistié au retour de la démocratie en 1985, José Mujica a contribué à l’abandon de la lutte armée et entamé une carrière politique au sein de l’alliance du Frente Amplio (Front large), devenant successivement député, sénateur, ministre de l’Agriculture et enfin président (2010-2015). Lors d’un discours marquant, prononcé en 2013, devant les Nations unies, José Mujica a abordé sa quête passée d’une « société sans classe », assumant alors les « erreurs » commises pendant ses années de guérillero.

Son parcours politique, Denis Merklen le connaît bien. Né en Uruguay, ce sociologique, qui dirige à Paris l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, a eu l’occasion de rencontrer Pepe Mujica dans les années 1980. Il a conservé des liens avec cet homme, l’un des derniers représentants de la gauche latino-américaine ayant pris les armes au cours des années 1960, dans la lignée de la révolution cubaine. Pour Denis Merklen, Pepe Mujica « a su rentrer avec force dans la démocratie et à en faire un espace indépassable, que l’on ne peut remettre en question sous aucun prétexte ». Une posture partagée par « nombre de ses camarades de lutte qui ont connu en parcours similaire, à commencer par son épouse Lucia Topolansky, qui a été vice-présidente de la République. Mais lui a trouvé une plus grande audience car il a été élu président”.

Surnommé « le président le plus pauvre du monde », notamment pour avoir reversé la quasi-totalité de ses revenus de chef de l’État à un programme de logement social, José Mujica incarnait l’humilité et la simplicité. Au début de son mandat présidentiel, il déclarait comme seul bien une Volkswagen « Coccinelle » datant de 1987 et posait avec fierté sur son vélo de course de marque Peugeot. Au cours de son mandat, il a préféré rester dans sa propriété à la campagne plutôt que de s’installer dans les confortables appartements présidentiels. Et c’est parfois pieds nus dans des sandales qu’il assistait à des réunions officielles.

« Il est devenu exceptionnel car il a imposé un certain nombre de normes à sa conduite politique qu’il a aussi imposées à sa vie personnelle, à son style de vie. Il en a fait une valeur publique », explique encore Denis Merklen. « Il a trouvé une manière d’argumenter et de s’adresser notamment aux jeunes par cette cohérence qui est si souvent décriée aujourd’hui. C’est cela qui lui a donné une audience bien au-delà de ce petit pays qu’est l’Uruguay. » Ses choix de vie lui ont rapidement valu une renommée mondiale. Sa simplicité et sa radicalité en ont fait une personnalité inclassable, adulée par de nombreux médias qui ont vanté sa droiture et son sens du bien commun. Emir Kusturica lui a même consacré un film, « El Pepe, una vida suprema », sorti en 2018.

Sa notoriété planétaire s’explique également par les idées progressistes qu’il a su défendre. Le président Mujica a fait de l’Uruguay un pays pionnier dans l’adoption de mesures telles que la dépénalisation de l’avortement, le mariage homosexuel ou la légalisation du cannabis, une première mondiale en 2013. Il a également œuvré pour une importante réforme agraire destinée à rendre des terres aux agriculteurs locaux. À la fin de sa présidence en 2015, Pepe Mujica s’était dit satisfait du travail accompli, tout en regrettant de ne pas avoir pu faire une « grande quantité de choses ». Si la Constitution ne lui permettait pas de briguer un nouveau mandat, il est tout de même resté un personnage incontournable de la vie politique, au grand dam de ses détracteurs. Il l’a encore prouvé en 2024 lors de la campagne présidentielle en soutenant activement son poulain, Yamandu Orsi, candidat du Frente Amplio. Ce dernier a triomphé au second tour, permettant ainsi le retour de la gauche au pouvoir. Et le 1er mars 2025, Yamandu Orsi prenait officiellement ses fonctions sous les yeux de son mentor Pepe Mujica qui, malgré sa santé fragile, avait fait le déplacement au Congrès uruguayen.

L’ancien président uruguayen ne manquait pas une occasion de « remercier la vie » pour ce qu’elle lui avait offert. Il avait ainsi profité de l’interview accordée à Busqueda pour dire au revoir à ses concitoyens et indiquer ses dernières volontés : être enterré dans sa ferme, au pied d’un grand séquoia, à côté d’une chienne morte en 2018. Un lieu que cet admirateur de la nature aimait plus que tout.