Nicolás Maduro, habitué aux crises, fait face à la plus difficile de son gouvernement jusqu’à présent

Il y a à peine un mois, on aurait dit que le président Nicolás Maduro consolidait son régime autocratique. L’opposition s’alignait jusqu’à en être inutile, la pression internationale s’affaiblissait et les fléaux économiques du pays s’atténuaient, même si cela restait minime. Du jour au lendemain, une pandémie mondiale a fait s’effondrer ce qui restait de l’économie, la chute des prix mondiaux du pétrole a anéanti la principale bouée de sauvetage de l’économie qu’il restait au Venezuela et les États-Unis ont pris une nouvelle initiative destinée à renverser Maduro. 

Photo : El Tiempo Colombie

Le leader vénézuélien, qui s’était depuis un certain temps transformé en un habile combattant politique et en survivant, fait maintenant face à une des crises les plus complexes de son septième mandat parsemé de difficultés. « Le régime est en mode survie », affirme Michael Penfold, un membre du Centre Wilson, un groupe de recherche résidant à Caracas. « Le pays entre dans un équilibre très fragile qui est de plus en plus difficile à maintenir ». Les vies et les provisions de millions de personnes de la nation la plus pauvre de l’Amérique du Sud, sont en danger, personnes qui entament leur septième année consécutive de désastre économique, et connaissent une nouvelle vague d’hyperinflation ainsi que la menace mortelle du coronavirus. 

Une pandémie et un séisme dans les marchés mondiaux du pétrole ont secoué le pays et représentent une nouvelle épreuve pour Nicolás Maduro alors qu’il semblait tout juste se consolider au sein du pouvoir. Par le passé Maduro s’était déjà retrouvé dos au mur, mais il a réussi à s’adapter à de multiples sanctions états-uniennes et s’est défendu à la suite d’une série de problèmes internes, des conspirations à une attaque de drone. 

Cependant l’alliance actuelle des forces mondiales a poussé son gouvernement vers un territoire inconnu et montre la superficialité de ces ressources économiques et les limites de son appui international. La série de problèmes la plus récente de Maduro a commencé le 8 mars. Ce jour-là, l’Arabie saoudite et la Russie ont supprimé l’accord qui contrôlait leur production nationale, ce qui a débouché sur une guerre des prix et a plongé l’industrie énergétique mondiale dans l’une des plus grosses crises depuis des décennies. En quelques jours, la plus grande partie du pétrole brut du Venezuela, la principale exportation du pays, est devenue trop peu rentable pour être extraite, ce qui a engendré un effondrement de sa production. La chute des prix a également aidé à démêler un système complexe d’opérations qui a permis au Venezuela d’échanger son pétrole brut contre des combustibles importés, échappant ainsi aux sanctions des États-Unis. 

Sans moyens pour importer ou produire de l’essence, le Venezuela est presque paralysé. Les conducteurs font la queue pendant des heures dans les stations-service, même dans la ville la plus fournie, Caracas, pendant que des soldats casqués et avec des armes automatiques protègent le peu d’approvisionnement qui est en grande partie réservé aux fonctionnaires et aux travailleurs d’urgence. « Jamais nous n’avons été dans une situation aussi critique », commente Ivan Herrera, un paysan de l’État de Barinas, qui ne peut plus apporter son bétail au marché. « Nous sommes paralysés. »

Certains conducteurs furieux ont affronté les gardes de la station-service et ont bloqué les routes dans plusieurs villages ruraux. Les agriculteurs, n’ayant pas le combustible nécessaire pour s’occuper de leurs champs, ont laissé les cultures pourrir, alors que la moitié des Vénézuéliens a à peine de quoi manger. Du jour au lendemain, le Venezuela a vu ses prix passer des prix à la consommation parmi les plus bas du monde aux prix les plus élevés : 15 dollars le gallon (3.96 dollars le litre) sur le marché noir florissant, plus du double du salaire minimum du pays. 

La pénurie des combustibles s’est aggravée avec la détérioration des relations entre Maduro et celui qui avait été son principal associé pétrolier, ROSNEF, la compagnie pétrolière de Russie. La décision inopportune de Maduro en février, de revoir les contrats du pays avec Rosnef a créé des tensions au moment où la compagnie pâtissait de la décision des États-Unis de sanctionner deux de ses filiales pour avoir soutenu le président vénézuélien.    

En réponse, Rosnef a affirmé à la fin du mois de mars dernier qu’il mettrait fin à ses opérations au Venezuela et vendrait tous ses actifs à une compagnie pleinement contrôlée par le gouvernement russe au Venezuela. Rosnef échangeait le pétrole vénézuélien à des petites raffineries en Chine contre de l’essence et de l’argent. Bien qu’en théorie, une autre compagnie russe puisse faire la même chose, elle ne pourra pas le faire de manière aussi immédiate sans les systèmes de négociation sophistiqués de Rosnef, ce qui pour le moment, asphyxie une source d’essence et de fonds pour le gouvernement de Maduro. 

Maduro a fait des efforts pour obtenir de l’essence de la part de chefs d’entreprises de confiance et initiés, qui par le passé avaient aidé à fournir à son gouvernement des produits de première nécessité pendant des périodes difficiles.  Cette stratégie lui offrirait, dans le meilleur des scénarios, un approvisionnement temporaire pour les plus grandes villes du Venezuela, mais ne ferait pas grand-chose pour résoudre les problèmes structuraux qui sont la cause de la pénurie, affirme Asdrubal Oliveros, directeur de la société d’expertise économique Ecoanalítica, dont le siège est à Caracas. 

Oliveros dit qu’il s’attend à ce que l’économie vénézuélienne subisse une réduction de vingt-cinq pour cent cette année, ce qui, si cela s’avère, serait dévastateur pour une nation qui a déjà connu la plus grosse chute (en temps de paix) du Produit intérieur brut de l’histoire moderne. La crise économique continue de s’aggraver en même temps que le Venezuela fait face à l’épidémie de coronavirus, qui, d’après les experts de santé, pourrait écraser le système de santé en soi déjà précaire du pays. Maduro a été l’un des premiers leaders latino-américains à agir contre le virus. Le 15 mars, deux jours après que l’on a confirmé le premier cas du virus dans le pays, il a exigé la quarantaine nationale. La quarantaine, en plus de la pénurie d’essence et de l’isolement international du Venezuela pourrait freiner la propagation de l’infection à l’échelle nationale, du moins pour le moment.

Le 13 avril, les chiffres officiels montraient que le Venezuela comptait 181 cas et neuf morts, un nombre significativement plus réduit que la majorité de ses pays voisins. Cependant, la fermeture des routes, des magasins et des bâtiments publics a aggravé les problèmes économiques dans un pays où la large majorité des gens ont très peu ou simplement pas – d’économies.

Le gouvernement aura des difficultés à maintenir les mesures de distanciation sociale à long terme, selon Luis Pedro España, un sociologue de l’université catholique Andrés Bello de Caracas, puisque Maduro est obligé de choisir entre le risque d’une propagation plus importante du virus ou le face-à-face avec les agitations sociales émanant de la catastrophe économique. « Si cela se prolonge, je lui donne 15 jours avant que l’on voie des protestations dans la rue », dit-il. « La seule chose que le gouvernement redoute vraiment c’est une explosion de troubles sociaux généralisée. »

Maduro dispose de peu de moyens pour répondre à ces défis économiques et de santé publique, qui font bien plus qu’accroître la répression, selon les économistes. La faible reprise de la consommation et des exportations privées que l’on a observée l’année dernière a été affectée par le blocage du virus et la récession économique mondiale. La perte des revenus du pétrole signifie que le gouvernement n’a pas pu augmenter l’importation des aliments qu’il subventionne pour les plus pauvres du pays. Maduro prévoit de distribuer des aides financières – presque sans valeur – à six millions de travailleurs, mais les économistes disent que cela ne fera que raviver l’hyperinflation du pays. Oliveros, de Ecoanalítica, croit que l’inflation atteindra 12 000 pour cent cette année.  

Alors que Maduro faisait face à ces problèmes économiques et de santé publique soudains, le gouvernement de Donald Trump s’est, à partir de mars, efforcé fermement de renverser le gouvernement le plus vite possible. Les États-Unis, dans une succession rapide d’événements, ont accusé Maduro et son cercle intime de narcotrafic, ont annoncé une grosse opération navale antidrogue près des côtes vénézuéliennes et ont offert aux hauts-fonctionnaires du pays une place au sein du gouvernement de transition s’ils abandonnaient leur président.  

Les États-Unis et la majeure partie de l’Occident reconnaissent Juan Guaidó, le leader du pouvoir législatif vénézuélien, comme président en charge du pays. Guaidó s’est réuni cette année avec une douzaine de leaders mondiaux, dont le président Trump, et a obtenu les garanties d’un appui étatsunien, mais son mouvement a rencontré des difficultés pour maintenir son élan sur place et rassemble des groupes de moins en moins nombreux lors de ses manifestations. 

Les accusations de narcotrafic ont augmenté l’incertitude politique au Venezuela, selon l’analyste politique Penfold, car elles ont pour conséquence que Maduro soit encore moins disposé à céder le pouvoir par la voie de négociations. Aussi, le président peut davantage s’appuyer sur les forces armées pour garder le contrôle au fur et à mesure que l’économie se détériore, avec des résultats conséquents, dit-il.  « Tout porte à croire qu’il s’agit d’une situation qui n’est pas soutenable », affirme Penfold. « Cela ne signifie pas nécessairement que nous allons vers un changement politique dans un futur proche. »

Anatoly KURMANAEV
New York Times en espagnol
Traduit par Kassia Ait Zouaoua