« Canción sin nombre » de Melina León, tourné en noir et blanc à nouveau en salle de ce lundi 22 juin. Salué par la critique

Pérou, au plus fort de la crise politique des années quatre-vingt. Georgina attend son premier enfant. Sans ressources, elle répond à l’annonce d’une clinique qui propose des soins gratuits aux femmes enceintes. Mais après l’accouchement, on refuse de lui dire où est son bébé. Décidée à retrouver sa fille, elle sollicite l’aide d’un journaliste qui accepte de mener l’enquête. C’est un film tourné en noir et blanc et qui a été présenté à Cannes à la Semaine de la critique.

Photo : Allociné

«En 1981, déclare Melina León,  mon père a créé, aux côtés d’autres journalistes, La República, l’un des quotidiens les plus populaires au Pérou. Cette affaire de trafic d’enfants a fait la une du journal. Mon père a participé à l’enquête. C’est lui qui m’a raconté cette histoire. Nous avons changé la période pour situer l’action en 1988, et nous avons créé des personnages fictifs. J’avais besoin d’exprimer ma vision de l’époque telle que je m’en souvenais et d’avoir une marge de liberté dans l’écriture. Nous souhaitions adopter le point de vue des personnages et restituer leur sentiment d’enfermement en les filmant dans un cadre étroit. Filmer en grand angle nous semblait inadéquat pour dépeindre une époque où tout le monde vivait sous la contrainte. Et comme notre budget était des plus limités, nous n’avions pas beaucoup de latitude quant aux lieux de tournage. Par ailleurs, le format 4:3 correspond au format de la télévision à cette époque. Il nous semblait idéal pour transporter les spectateurs dans les années 1980. Quant au noir et blanc, il est lié au souvenir que je garde des photos dans les journaux de ces années-là…  Pedro et  Georgina ont un point commun, ils ne sont pas blancs. Pedro est censé appartenir à la classe moyenne, mais il est clairement pauvre. Il n’a pas de chez lui, il dort sur un canapé. Et il sait ce que c’est que de vivre en marge de la société. Il vit dans un univers machiste et doit cacher son homosexualité pour survivre. Georgina et Pedro doivent se battre pour survivre, chacun à leur manière. »

La lenteur et la simplicité du film le rendent très touchant, et emportent notre adhésion. Petit rappel historique : au Pérou, le conflit armé a duré des années 1980 jusqu’au début des années 2000, entre les groupements maoïstes du Sentier Lumineux, les socialistes du mouvement révolutionnaire Tupac Amaru et les forces militaires du gouvernement péruvien. Cette confrontation a causé près de 70 000 morts et disparus. Les principales victimes de ce conflit armé sont les femmes et les communautés indigènes des zones andines.

De nombreux bébés et enfants ont été volés au Pérou tout au long du conflit pour servir les intérêts financiers ou idéologiques  des deux camps. Ces agissements rappellent des situations similaires, en Argentine (les Mères de la Place de Mai dont les enfants disparurent pendant la “guerre sale”), au Chili sous la dictature de Pinochet ou encore en Espagne avec les enfants volés du franquisme. Le deuil et le travail de mémoire sont d’autant plus difficiles au Pérou que les principaux protagonistes sont toujours vivants, bien qu’incarcérés pour leurs exactions : Guzmán pour le Sentier Lumineux et Alberto Fujimori, condamné pour crimes contre l’humanité et corruption.

Alain LIATARD

Canción sin nombre drame de Melina León (Pérou, Espagne, États-Unis). N&B 1 h 37.

Les cinémas reprennent le 22 juin.

Trois films latinos  vont être sur les écrans à la reprise : Canción sin nombre ci-dessus et Trois étés, le film brésilien de Sandra Kogut, Le Colocataire film argentin de Marco Berger (prévu pour avril)  qui sortira le 1er juillet. Ce sont trois bons films à défendre. Nuestras Madres (Nos mères) de Cesar Díaz présenté à la Semaine de la critique de Cannes l’an passé et primé Caméra d’or, sort directement sur les plateformes le 16 juin. A. L.