Photo : L’Olivier
Les éditions de l’Olivier continuent la publication des œuvres complètes de Roberto Bolaño, avec un deuxième volume aussi impressionnant que le premier. Pas de poésie cette fois, des nouvelles, des textes biographiques (mais qu’est-ce que la biographie pour cet homme dont la vie a été multiple ?), et quatre romans.
En 1984, déjà installé à Gérone, il publie son premier roman, écrit en collaboration avec un jeune Catalan, A.G. Porta, Conseils d’un disciple de Morrison à un fanatique de Joyce, suivi très vite par Monsieur Pain (qui s’intitulait alors La senda de los elefantes). Il lui reste encore plusieurs années avant d’être reconnu, puisque le succès ne lui arrivera que vers 1998. Ces longues années sont matériellement très dures, même si son mariage et la naissance de ses deux enfants lui donnent une certaine sérénité. Il renonce alors à la poésie, gagne quelques prix littéraires. C’est aussi pendant cette période qu’on lui diagnostique la maladie qui l’emporterait en 2003, à cinquante ans.
Ce deuxième tome permet de redécouvrir ces deux œuvres qu’on pourrait dire « de jeunesse », dans lesquelles on trouve en germe tout le génie de l’auteur de 2666. On retrouve avec un immense plaisir deux recueils bien connus, des nouvelles, avec Des putains meurtrières, qui concentrent ces qualités fondamentales des écrits de Roberto Bolaño, la légèreté apparente, avec cette façon de raconter qui ne se prend pas au sérieux et qui renferme des quantités d’images, de sensations, d’idées. Quant aux biographies intégrées à La littérature nazie en Amérique, font-elles frémir ou sourire ? On découvre aussi deux romans inédits, le joyau de ce volume, de quoi intriguer et réjouir les amateurs. Dans Les déboires du vrai policier, qui commence très fort par une définition iconoclaste de la poésie et des poètes, on trouve des personnages qui réapparaissent, pas forcément pareils mais sous le même nom et avec une apparence semblable, dans d’autres romans ou nouvelles. Ce roman est « inachevé mais pas incomplet » et son auteur disait que « le policier est le lecteur qui cherche en vain à mettre de l’ordre dans ce roman diabolique ». Quant à L’esprit de la science fiction, écrit à peu près en même temps que Monsieur Pain, le décor est celui des Détectives sauvages publié en 1998, Mexico dans les années 1970.
Tout Bolaño est dans ces rapports d’un livre à l’autre, dans les clins d’œil au lecteur, dans la complicité permanente avec lui, dans ces impressions de non-achevé qui sont souvent trompeuses, personne ne sachant si le maître, omnipotent qu’il était quand il écrivait et qu’il publiait, jouait ou était sérieux, la seule chose prouvée, éprouvée étant son génie. La taille et le poids de ce deuxième tome, en sachant que le troisième viendra bientôt, donnent une idée de l’importance de Roberto Bolaño dans l’histoire littéraire du XXIe siècle. Cette édition des œuvres complètes était une nécessité, elle est une pleine réussite.
Christian ROINAT
Œuvres complètes, tome II de Roberto Bolaño, traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio et Jean-Marie Saint-Lu, éd. de l’Olivier, 1184 p., 25 € jusqu’au 31 décembre 2020, 29 €.