Les relations entre l’Amérique latine et l’Europe au diapason de l’Espagne ?

Les 17 et 18 juillet 2018 s’est tenue la deuxième rencontre entre l’Union européenne et la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) à Bruxelles, dans un silence médiatique absolu, révélateur de la crise des processus d’intégration, sur les deux rives de l’Atlantique.

Photo : Ministère des Affaires étrangères croate/Flickr

L’information la plus intéressante est venue d’Espagne. Josep Borrell, ministre espagnol des Affaires extérieures depuis quelques semaines, soit depuis l’alternance surprise à Madrid le 1er juin 2018 entre Populaires (droite) et PSOE (socialistes) de Pedro Sánchez, a rencontré son homologue vénézuélien, Jorge Arreaza, et l’a fait savoir. Son secrétaire d’État en charge de l’Amérique latine, Juan Pablo de la Iglesia, a parallèlement échangé avec le vice-ministre cubain des Affaires étrangères, Abelardo Moreno.

L’Espagne de Mariano Rajoy (parti populaire) n’avait plus de relations «normales» avec le Venezuela depuis plusieurs mois. Les ambassadeurs respectifs avaient été rappelés à Madrid et à Caracas fin janvier 2018. Seuls les opposants vénézuéliens étaient reçus avec courtoisie et amitié au palais de la Moncloa (résidence et lieu de travail du président du gouvernement).

L’Espagne impulsait une politique de sanctions européennes à l’égard du Venezuela et de ses autorités. Les gouvernants européens avaient en effet donné une suite favorable à ces initiatives espagnoles en novembre 2017. Au fil des mois, l’Union européenne a mis en place une politique de sanctions, fermant toute autre issue que celle d’une escalade progressivement aggravée ; une politique au nom du respect des droits de l’homme et des libertés démocratiques bafouées par les autorités vénézuéliennes, diagnostic légitimant les décisions ingérentes prises par le collectif européen.

Depuis plusieurs mois, un ancien président du gouvernement espagnol, José Luis Rodríguez Zapatero, avec l’appui du gouvernement de la République dominicaine, s’efforçait de construire une sortie de crise négociée. Mettant de côté les arguments légitimant l’interventionnisme européen, il privilégiait la recherche d’un compromis faisant l’économie des sanctions, mutuellement accepté entre acteurs antagonistes.

Il avait été à deux doigts de réussir en février dernier. Le contexte international et interaméricain, les pressions des États-Unis, avaient finalement pesé sur la dérobade de l’opposition au dernier moment ; ce qu’il avait regretté, signalant sa déception dans une lettre ouverte, et en étant présent à Caracas, le 20 mai dernier, comme observateur électoral, considérant opportune la décision de participer prise par un secteur de l’opposition. Au cours d’une conférence de presse, il avait précisé sa pensée de la façon suivante : ces élections ne sont pas démocratiquement exemptes de critiques. Pour autant, les opposants qui ont décidé de les boycotter ne peuvent pas se contenter de la politique de la chaise vide. Ils doivent proposer des alternatives crédibles. Quelles sont-elles ? Personne ne le sait, avait-il conclu.

Au terme de sa rencontre avec son homologue vénézuélien, Josep Borrell a signalé comme positif le travail effectué par José Luis Rodríguez Zapatero, tout en signalant qu’il ne s’agissait pas d’une initiative gouvernementale espagnole. Le commentaire, tout comme les rencontres entre ministres espagnol, vénézuélien et cubain, sont révélateurs d’une approche différente. Espagnole sans doute, mais peut-être aussi européenne.

La machine diplomatique européenne, de fait, fonctionne par délégation. Sur l’Afrique, la France donne le « la ». Avec l’Est européen, c’est l’Allemagne qui est en première ligne ; et sur l’Amérique latine, l’Espagne. Si l’on regarde l’évolution de la relation Europe/Cuba, on notera une adéquation entre coopération et tensions, qui correspond aux alternances électorales. Coopération à l’époque PSOE de Felipe González, suspension de la coopération après l’accession au pouvoir de José María Aznar, rétablissement ultérieur après l’arrivée aux responsabilités de J. L. Rodríguez Zapatero.

Chaque situation électorale bien sûr a ses caractéristiques particulières. Pedro Sánchez dirige un gouvernement minoritaire. L’Union européenne n’a plus aujourd’hui la cohérence qui était la sienne avant les élargissements à l’est. Et le président des États-Unis d’aujourd’hui est un certain Donald Trump.

Il n’empêche. Les têtes à têtes de Bruxelles annoncent à tout le moins un climat différend. Avec Cuba sans doute. Et vraisemblablement avec le Venezuela.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY