New York Madrid, trésors ibéro-américains en navette – Hispanic Society au Prado à Madrid

Trésor est le mot le plus pertinent. Du 4 avril au 10 septembre prochain le musée espagnol de référence, Le Prado, présente 218 des plus belles pièces appartenant à l’ « Hispanic Society ». L’« Hispanic Society  of America», c’est sa dénomination officielle, est tout à la fois un musée et un centre de recherche privé, dont le siège est à New York. Il est consacré aux cultures espagnole, hispano-américaine et portugaise. Méconnu, il est assez peu visité. Il reçoit, selon son directeur, Mitchell A. Codding, vingt mille visiteurs chaque année. Ce qui est dommage compte tenu de la qualité des peintures, sculptures, portulans et incunables qui présentés en ce moment à Madrid, ne représentent qu’une petite part de ses richesses.

L’éventail des pièces présentées dans les salles A , B, et C, du Cloître des Jeronimos, réservées par le Prado aux expositions temporaires, couvre 4 000 ans d’histoire. Vases phéniciens, sculptures romaines, céramiques arabo-musulmanes, des Bibles et livres d’heure des XIIe et XIIIe siècles, une lettre manuscrite de Charles Quint, des missives signées Rubens et Velásquez, une mappemonde de Juan Vespucci, une carte du monde aztèque, stimulent les premières curiosités. Les peintres du siècle d’or, prolongent cet appétit de l’œil avec des œuvres d’Alonso Cano, du Greco, de Murillo, de Velázquez, et de Zurbarán. Le XIXe siècle achève en point d’orgue esthétique, cette étonnante galerie « hispanique » expatriée outre-atlantique nord avec Goya, Rusiñol, Zuloaga et Sorolla.

Reste à comprendre le pourquoi et le comment d’une exposition aussi inattendue qu’exotique. L’Hispanic Society s’était empoussiérée avec le temps. Un coup de balai et de peinture s’imposait. Les travaux se prolongeant jusqu’en 2019, le musée new-yorkais a passé divers accords avec d’autres institutions, en Espagne, aux États-Unis et au Mexique. À tout seigneur, tout honneur, le musée espagnol du Prado a eu la primeur de la première étape de ce périple. Comme toute opération de cette envergure, une organisation privée, espagnole, le BBVA, la Fondation de la banque Bilbao Biscaye a mis la main au portefeuille.

Soit. Mais comment comprendre que des milliers d’œuvres et de livres aient pu traverser l’Atlantique. ? Au point de faire de l’Hispanic Society, une institution historico-culturelle incontournable, pour tous ceux qui s’intéressent aux cultures españolas ? Le curriculum du projet est des plus limpides. Il aura été l’un des derniers avatars des cabinets de curiosité apparus en Europe à l’époque des « Grandes découvertes ». L’esprit des Pics de la Mirandole a été perpétué à la fin du XIXe siècle par quelques riches mécènes, amateurs d’art et d’objets rares. Archer Milton Huntington, fils d’un industriel new-yorkais n’avait pas la passion des affaires. Un voyage en Espagne en 1892, une visite du Prado, une rencontre avec l’impressionniste espagnol, Joaquín Sorolla, lui ont donné un projet de vie. Celui de collectionner toutes sortes d’objets d’inspiration ou de provenance « hispanique » comme on dit aux États-Unis. Il est revenu littéralement bouleversé de sa rencontre avec l’Espagne. « C’est incroyable, je ne sais comment décrire ce que ressens », peut-on lire dans son journal.

Il avait alors 22 ans. C’est dans cet esprit, qu’il a fondé son musée hispanique quelques années plus tard, en 1904, l’Hispanic Society of America. Cet établissement n’avait à l’origine rien de scientifique. Il répondait à l’intuition esthétique d’un amateur riche, qui pensait qu’il y avait un lien caché entre des pièces originaires d’un même espace culturel, entre donc un vase phénicien, un tissu provenant de l’Alhambra, une miniature du Greco, voire un document aztèque. Cette collection à première vue hétéroclite serait selon Archer Milton Huntington, « l’abrégé d’une race ». Trop content d’avoir pu montrer une exposition couvrant 4 millénaires de culture sur le territoire de l’Espagne d’aujourd’hui le directeur du Prado, Miguel Falomir, a sobrement salué : « la passion d’Huntington qui nous aide à percevoir ce que les autres pensent de nous. »

Les conditions d’acquisition de ces œuvres, tout comme celles en provenance d’Afrique ou d’Asie dans les grands musées européens, relèvent de rapports de force, financiers dans le cas d’Archer Milton Huntington. Grâce à ses disponibilités monétaires il avait pu acheter en 1904, par exemple, l’une des plus grandes bibliothèques privées d’Espagne, la bibliothèque du marquis de Jerez de los Caballeros. 250 000 documents et manuscrits, 300 000 volumes dont 30 000 édités avant 1830 et 250 incunables. Cette aventure culturelle, étroitement liée au pouvoir de l’argent n’est pas unique. Rockfeller, au lendemain du premier conflit mondial, a investi dans le Moyen Âge français et européen, permettant à New York d’être dotée d’un surprenant musée de cloîtres. Démontés pour l’essentiel dans le sud de la France ils sont aujourd’hui « exposés » au nord de l’« Hispanic Society », dans le Fort Tyron Park. La constitution de ces collections relève d’une époque aujourd’hui terminée celle du pillage à grande échelle des richesses artistiques par les puissants de ce monde. Pour autant les œuvres d’art ne sont à l’abri ni des voleurs, ni des iconoclastes. Ce qui n’est pas le cas des 218 pièces tout aussi remarquables les unes que les autres, exposées à Madrid, revenues en Espagne pour encore quelques mois, avant de reprendre en septembre, le chemin des Etats-Unis.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY

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