« On m’appelle la mule » : témoignages recueillis par Francine Thonnelier-Lemaitre

Lors du festival littéraire Belles Latinas, au mois d’octobre 2020, nous avons rencontré Francine Thonnelier-Lemaitre. Elle était venue écouter un ami écrivain invité par le festival et en a profité pour nous remettre son livre, « On m’appelle la mule, paroles libres de femmes en prison » paru en 2015.

Photo : Chronique Sociale

A partir de son expérience de dix ans en tant que psychologue et visiteuse de prison, l’autrice a recueilli les témoignages de femmes, venues d’Amérique latine ou d’Espagne, qui ont été arrêtées à l’aéroport de Roissy alors qu’elles convoyaient de la drogue et sont aujourd’hui détenues à la prison de Fleury-Mérogis. Francine Thonnelier-Lemaitre, visiteuse bénévole agréée par l’administration pénitentiaire, a rencontré régulièrement ces femmes hispaniques, venues de seize pays différents.

Dans son recueil, Francine Thonnelier-Lemaitre donne la parole à ces femmes, les « mules » comme on les appelle, privées de liberté et éloignées de leur pays et de leurs proches. Elle a entretenu avec elles une correspondance régulière et établi un dialogue d’égale à égale chaque vendredi au parloir. Elles lui ont écrit de nombreuses lettres qui sont reproduites dans ce livre avec leur autorisation.

Ces femmes détenues, qui refusent être appelées les « mules » se nomment Marisol, Paola, Esperanza, Juana, Elvira, Daniela, Flora, Pilar… ce sont pour Francine avant tout des êtres humains qui se sont vus à un moment de leur vie confrontés à des situations de détresse extrême dans leurs pays et qui, très souvent par nécessité, ont accepté de servir de convoyeuses de drogue. Dans leurs récits, ces femmes partagent une partie de leur histoire, de leurs souffrances au pays, de la violence au sein de leur foyer et de leur quotidien en prison. Elles évoquent leur regret d’avoir quitté leurs enfants, laissés au pays, mais elles expriment aussi leur espoir de revoir leur famille et d’avoir un autre horizon. Elles reconnaissent  avoir  été coupables de trafic de stupéfiants et le regrettent.

Pendant toutes ces années, Francine Thonnelier-Lemaitre ne s’est pas contentée de leur consacrer du temps lors de ses visites, elle leur écrivait et leur adressait cartes postales ou de recettes de cuisine. Elle mobilisait l’aide de ses amis pour trouver des dictionnaires, des vêtements, des articles de mercerie et aussi des livres dont le Principito : Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry.

Lorsque la visiteuse demande un jour à Esperanza, une détenue mexicaine « Es-tu une mule ? » « Oui», répondit celle-ci, « j’en ai été une, car mon corps a été chargé, alourdi comme celui d’un animal. Oui car j’ai été bête comme une mule qui transporte et ne pense pas (…) Non je ne suis pas une mule, car moi je réfléchis et moi j’ai de la peine, trop de peine. »

« La prison est un deuil décidé par décision judiciaire », écrit Jean-Claude Delarue dans sa préface au beau livre de Francine Thonnelier-Lemaitre. C’est en effet un deuil que vivent ces femmes. Elles ont accepté de quitter leur famille pour gagner les 1 000 ou 1 500 dollars qui leur permettraient d’effacer leurs dettes et d’acheter à leurs enfants un jouet pour Noël. Et voici qu’elles se trouvent coupées de ceux qu’elles aiment, submergées par la honte du méfait qu’elles ont commis et de la souffrance qu’elles infligent à leurs proches, rongées par le chagrin de ne pas voir leurs petits grandir.

Francine Thonnelier-Lemaitre explique que souvent ces femmes qui élèvent seules leurs enfants dans les bidonvilles d’Amérique latine sont une proie facile pour les trafiquants et acceptent ce voyage croyant que la vie de leurs enfants deviendra meilleur au retour. Ces femmes sont vulnérables parce elles sont pauvres, endettées ou au chômage, c’est la nécessité qui entraîne la nécessité.

On m’appelle la mule  touche par la sincérité poignante des témoignages recueillis, accompagnés souvent de dessins réalisés pour Francine par les « amigas », qui représentent des murs, des fleurs, des papillons, des étoiles. Ce qui frappe dans ce livre, c’est la représentation positive que se font les « mules » de leur expérience carcérale. Elles soulignent le fait qu’elles sont traitées par les surveillantes avec respect, à l’inverse de ce qui se passe dans les geôles de leur pays, où sévit la violence. Elles ne cessent de remercier la visiteuse de prison pour son écoute fidèle. Elles considèrent la période d’incarcération comme un choc salutaire qui leur ouvre les yeux, les oblige à se remettre en question et ouvre un nouveau chapitre dans leur vie difficile.

Les visiteurs de prison sont fréquemment témoins des effets dé-socialisants et dé-structurants de l’emprisonnement. Le livre de Francine Thonnelier-Lemaitre peut sembler exagérément optimiste. Certes, il ne cache pas les difficultés que les « mules » rencontreront à leur retour au pays, mais il montre que pour la plupart, elles considèrent le temps de prison comme une épreuve dont elles peuvent sortir gagnantes. On aimerait que leur extraordinaire résilience soit partagée par beaucoup d’autres personnes détenues.

Dans cet ouvrage, l’autrice raconte aussi tout le travail admirable effectué par les ONG et associations qui s’intéressent à la vie des personnes privées de liberté et l’abnégation de 1200 visiteurs et visiteuses de prison, qui rendent les conditions de détention un peu plus supportables.

Olga BARRY

On m’appelle la mule, paroles libres de femmes en prison par Francine Thonnelier-Lemaitre aux éd. Chronique Sociale, 12€50.