Quatre ans après avoir cédé le siège à son partisan et désormais ennemi juré, Lenín Moreno, Rafael Correa vient d’être désigné candidat à la vice-présidence au cours des élections primaires du Parti Centre Démocratique. L’ex-président reste toutefois embourbé dans un imbroglio judiciaire qui pourrait faire tourner au fiasco sa volonté de revanche.
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Les Équatoriens éliront leur nouveau président lors des élections prévues le 7 février prochain. Un candidat proche de Rafael Correa, Andrés Arauz, s’opposera à l’actuel chef de l’État, Lenín Moreno. Le binôme Arauz-Correa a été élu à la tête d’une coalition de gauche, Unión por la Esperanza (« Union pour l’Espoir », UNES).
Peu connu du grand public, Andrés Arauz a cependant joué un rôle important dans l’administration correiste. Cet économiste, « grand connaisseur de l’architecture financière internationale »*, a été ministre de la Culture, de la Connaissance et du Talent humain (2015-2017) et directeur général de la Banque centrale de l’Équateur (2009-2011). Avec une désarmante démagogie populaire et opportuniste, « c’est le « parfait inconnu » qui vous salue et qui connaît et aime l’Équateur, et qui s’engage aujourd’hui à sortir notre peuple de la crise sanitaire et économique… Ensemble nous vaincrons ! », a écrit sur twiter Andrés Arauz le 18 août.
Le manque d’épaisseur politique de ce « parfait inconnu » ne représente certainement pas un handicap pour Rafael Correa. Les sondages – pas complètement fiables mais traduisant une tendance – lui donnent entre 20 et 30 % de voix. Il dispose donc d’un socle de popularité qui semble vouloir lui redonner une chance, oubliant toutefois que le correisme a marqué l’une des périodes les plus corrompues de la politique équatorienne.
Sur ce point, la Commission civique anti-corruption de l’Équateur estime entre 30 et 40 milliards de dollars le volume de fonds publics détourné pendant son mandat (2007-2017), soit l’équivalent d’une année du budget général de l’État. Or, si l’ancien président se présente comme candidat à la vice-présidence pour rétablir sa politique de « Révolution citoyenne », son objectif est surtout de préparer sa revanche politique contre Lenín Moreno, responsable selon lui du « pire gouvernement de l’histoire » de son pays.
La rupture entre les deux hommes, anciens alliés du parti Alianza País, remonte à l’élection de 2017, lorsque Moreno, une fois élu président, proposa un référendum constitutionnel pour limiter le nombre de mandats présidentiels. Le référendum fut approuvé par une consultation populaire, par conséquent Correa ne pourra pas se représenter aux élections de son pays. C’est pour cette raison que celui-ci a été désigné candidat mais à la vice-présidence, espérant retrouver une voie de salut politique si le Conseil national électoral valide sa candidature : il pourrait ainsi bénéficier en même temps de l’immunité constitutionnelle face aux enquêtes menées par la justice.
Car la réalité juridique peut faire obstacle au projet de retour de l’ancien président, qui se considère victime de persécution politique. Il a été jugé in absentia et condamné en avril dernier à huit ans de prison pour « corruption aggravée », décision confirmée en juillet par la Cour Nationale de Justice d’Équateur. Dans le cadre du dossier baptisé « Sobornos 2012-2016 » (« pots-de-vin »), Rafael Correa a été reconnu comme le principal responsable d’un réseau de corruption créé durant son double mandat, la dite « Décennie Gagnée ». La justice équatorienne a édicté la même sentence pour dix-huit personnes de son entourage, dont son vice-président Jorge Glas.
Considéré comme fugitif depuis qu’il a quitté le pouvoir, en 2017, pour se réfugier en Belgique avec sa famille (d’où est originaire son épouse), Correa reste effectivement dans le collimateur de la justice. Il est mis en cause dans plus d’une vingtaine de procédures judiciaires et impliqué pareillement dans une autre enquête pour l’enlèvement en Colombie, en 2012, du dirigeant de l’opposition Fernando Balda. En outre, la constitution de l’Équateur interdit aux « personnes condamnées pour fraude, corruption ou enrichissement illégal d’être candidates à des élections ». Il a été aussi proscrit pendant vingt-cinq ans.
Comme on peut le constater, M. Correa se trouve dans une situation pour le moins délicate. À l’égard de ces éléments, on pourrait donc s’interroger sur la viabilité – et la cohérence – de sa candidature à la vice-présidence du pays. La réponse est simple : après avoir été condamné en avril, une peine confirmée trois mois plus tard, la sentence n’est pas encore exécutoire ! Dans ce cas là, R. Correa a la voie libre pour épauler Andrés Arauz si, toutefois, le Conseil national électoral valide sa candidature dans les prochaines semaines.
Ainsi, les dédales de la justice restent souvent inaccessibles à la compréhension populaire. Et ses procédures qui traînent en longueur, et n’aboutissent à rien dans la plupart des cas, par manque de preuves solides si ce n’est par l’immunité parlementaire des imputés, risquent d’ajouter, au discrédit de la classe politique latino-américaine, le discrédit, déjà grandissant, des responsables de la juger. Le cas de l’Équateur, qui rappelle celui de l’Argentine, est révélateur à la fois des écueils sur lesquels bute la justice et de la difficulté pour la rendre autonome, non désignée par le pouvoir en place, voire internationale.
C’est dans ce climat particulièrement tendu, aggravé par la crise du Covid-19, avec un bilan provisoire d’environ huit mille morts, que l’annonce de la candidature du binôme Arauz-Correa permet à ce dernier de rester à la « une » de la presse internationale. En attendant que les juges tranchent, enfin, sur son avenir, la réponse reste ouverte à la question posé par Mediapart dans un excellent article qui « met à nu le bilan politique de la Révolution citoyenne » : Rafael Correa, martyr ou délinquant ? **
Eduardo UGOLINI