Bolivie, suite et peut-être fin d’un feuilleton assez dramatique

Revenons un peu en arrière… Le président Evo Morales qui a fêté ses soixante ans le 26 octobre dans un climat de tension extrême était accusé de fraude électorale et d’avoir postulé, puis soi-disant obtenu, un 4e mandat mais aussi, pour les partis d’opposition soutenus surtout par les villes, d’avoir privilégié les réformes sociales au détriment de l’investissement et de l’économie. 

Photo : La Diaria

Une contestation violente qui a fait trois morts et près de 400 blessés, une grève générale qu’il a qualifiée de « coup d’État soutenu par l’international », ont donc éclaté dans le pays et les organisations internationales, effectivement, ont commencé à donner de la voix : l’Organisation des États américains (OEA), dont les observateurs avaient tenté de suivre le processus de vote, estimait d’abord « que la meilleure solution serait de déclarer un ballottage entre les deux candidats. »

Avec quelques tribulations qui ont marqué le début de son office, l’OEA a ensuite accepté de procéder à un audit du processus de dépouillement, à la demande du gouvernement ; la Colombie, le Brésil, l’Argentine de Mauricio Macri et les États-Unis annonçaient qu’ils ne reconnaîtraient pas un pouvoir qui ne correspondrait pas à la volonté du peuple, l’Union européenne soutenait Carlos Mesa, l’opposant centriste, dans l’exigence d’un second tour, tandis que le président du Venezuela, Nicolas Maduro, apportait son soutien à Evo Morales dénonçant comme lui un coup d’État manipulé depuis l’extérieur.

C’est encore aujourd’hui la position du Venezuela, de Cuba – et des Insoumis en France – alors qu’acculé par une situation devenue ingérable et des actes de racisme et de vandalisme qui viraient à l’extrême, le président Morales a démissionné le 10 novembre puis accepté l’asile politique du Mexique qui lui a envoyé un avion militaire.

Il avait pourtant d’abord exclu définitivement, non seulement un éventuel second tour, mais aussi toute négociation : «Ici, avait il dit, on respecte la Constitution et on respecte le parti qui a gagné les dernières élections » tandis que des milliers de personnes continuaient à envahir les rues du pays.

Depuis les preuves de fraude, techniques et juridiques, ont infligé un camouflet à cette déclaration et la contestation ne cessant d’amplifier, l’opposition réclamant l’annulation pure et simple du scrutin et un nouveau tribunal électoral qui soit impartial, Evo Morales a dû se rendre tant à l’évidence qu’au conseil de son Commandant en chef des armées et démissionner « afin de permettre la pacification et le maintien de la stabilité, pour le bien de notre Bolivie. »

Ce pays allait-il vers un régime autoritaire « à la vénézuélienne » s’interrogeait le journal Libération le 27 octobre . Rappelons que le président Maduro a pris ses distances avec la Constitution après la victoire de l’opposition aux législatives de 2015, qu’il est l’un des derniers représentants du socialisme à la cubaine et, comme Morales mais en bien plus dur, de la vague rose qui avait couvert l’Amérique latine dans les années 2000. On sait aussi combien est catastrophique l’actualité dans ce pays !

Il semble que ce processus ne menaçait pas vraiment la Bolivie car le président conservait la confiance du pouvoir législatif et du Sénat, les militaires ou la police ne lui étaient pas acquis inconditionnellement et se sont d’ailleurs mutinés en plusieurs endroits en refusant de s’opposer aux manifestants.

Il n’empêche, les dés sont définitivement jetés, la démission du président a fait suite à de très nombreuses démissions de ses ministres, sénateurs et députés qui parfois craignaient pour la sécurité de leur famille car plusieurs de leurs maisons ont été incendiées comme celle de la sœur d’Evo Morales à Oruro et du président de l’Assemblée nationale, Victor Borda à Potosi.

À la publication du rapport de l’OEA, le parquet bolivien a immédiatement annoncé une enquête sur les membres du tribunal suprême qui encadraient les élections et la police en a arrêté la présidente. Evo Morales, démissionnaire, avait effectivement annoncé convoquer de nouvelles élections et renouveler entièrement le Tribunal Suprême Electorale  : cette annonce comme celle d’ailleurs de sa démission n’ont en rien calmé, dans la nuit du 10 au 11 novembre, l’une des pires crises politiques qu’ait connu la Bolivie.

Son départ confirmera-t-il cependant cette volonté d’un nouveau scrutin qu’exigent aussi les comités de la société civile qui se sont multipliés ces dernières semaines en demandant que ni Morales ni Mesa ne se représentent ? La suite semble montrer que oui !

Tandis que le pape appelait les Boliviens à attendre « dans la paix et la sérénité » le processus de révision électoral en cours, la Colombie proposait une réunion d’urgence du Conseil permanent de l’OEA afin de chercher des solutions à cette situation complexe ; la Bolivie, elle, se dotait, le 11 novembre, d’une présidente par intérim, la deuxième vice- présidente du Sénat, l’opposante Jeanine Áñez, la seule à rester en piste après la démission de tous les successeurs prévus par la Constitution … qui s’est présentée la Bible à la main et avait traité Morales, dans un tweet qu’elle n’a pu effacer à temps, de « pauvre indigène accroché au pouvoir. »

Légalement ou non, elle a annoncé illico la convocation de nouvelles élections afin que le 22 janvier 2020 (jour prévu pour la prise de fonctions avant la crise) le pays ait un président  « élu » selon le vœu de la population. Elle n’a pu cacher son émotion en demandant « pour l’amour de Dieu » que cessent les violences, quitte à envoyer à El Alto – le fief des partisans d’Evo Morales au-dessus de La Paz – l’armée qui s’est engagée à ne pas tirer sur la population (on compte cependant de nouvelles victimes et le nombre de morts serait de 10 aujourd’hui, 19 au total depuis 4 semaines).

Donald Trump à sa manière a entériné le changement : « ces évènements envoient un signal fort aux régimes illégitimes du Venezuela et du Nicaragua, que la démocratie et la volonté du peuple triompheront toujours. » N’oublions pas non plus que les États-Unis avaient fait de Morales une cible de choix depuis la nationalisation des hydrocarbures ! « Être indien et de gauche anti-impérialiste est notre péché » avait dit Morales lors de son retrait.

Il aurait hélas mieux fait de ne pas briguer ce 4e mandat que la Constitution n’autorisait pas, il se serait retiré avec un bilan assez positif et n’aurait peut-être pas encouragé la rage d’une opposition assez diverse que l’on sentait latente depuis longtemps. Aujourd’hui, il est évident que l’extrême droite représentée par Luis Fernando Camacho, entrepreneur de Santa Cruz ultra conservateur en lutte contre les Indigènes depuis toujours, reprend du poil de la bête. Cette droite radicale, souvent religieuse évangélique (comme au Brésil !) ravive hélas les sentiments racistes toujours vivaces dans un pays où une certaine fierté avait été rendue aux multiples ethnies, à leurs langues et à leurs cultures. En réaction, les partisans de Morales se révoltent et pillent, des heurts violents les opposent aux forces de l’ordre, les écoles et beaucoup de commerces sont restés fermés cette semaine, des routes sont bloquées, les transports arrêtés à La Paz . 

S’agit-il donc d’un coup d’État comme le soutient en France Jean-Luc Mélenchon qui regrette les positions de « respect de la démocratie » prise par le gouvernement  ? L’armée n’a pas pris le pouvoir, elle l’ a reconnu : on ne peut pas parler de putsch au sens habituel du mot mais l’Uruguay a tout de même parlé d’un « coup civique, politique et militaire » et Evo Morales a accusé nommément les États-Unis de « conspiration politique et économique .» 

Devant le tour que prennent actuellement les affrontements, il a, depuis Mexico, assuré être prêt à rentrer pour « pacifier son pays » et appelé à un « dialogue national ». La présidente par intérim lui a répliqué qu’il aurait « des comptes à rendre » et devrait « répondre devant la justice » pour délit électoral et corruption : « Si vous voulez retrouver le pouvoir, gagnez les élections ».

En espérant que sera évitée une guerre civile, que la violence actuelle de la police pourrait entraîner comme le dénonce la Haut-Commissaire de l’ONU pour les Droits de l’homme, Michelle Bachelet, ainsi que la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH), l’avenir reste incertain en Bolivie où les positions des deux camps ne poussent pas du tout à la conciliation : les images qui nous parviennent sont terribles et parfois émouvantes comme celle de cette foule chantant aux abords de l’aéroport en agitant des Wiphalas. 

Claire DURIEUX