La première interview de Lula da Silva, ancien président du Brésil, depuis son emprisonnement

L’ex-président brésilien de gauche, Luiz Inácio Lula da Silva, parle pour la première fois dans une interview depuis qu’il a été emprisonné pour corruption le 7 avril 2018 à Curitiba au Brésil. Après plusieurs mois de privation de la parole, il a été autorisé à concéder un entretien depuis la prison à deux journaux, Folha de S. Paulo et El País, afin de clamer son innocence.  

Photo : Reuters – Leonardo Benassatto

Pendant une interview de deux heures, Lula se montre calme et sérieux dans un studio à l’intérieur de sa prison, prêt à prouver son innocence. Il se proclame victime d’une mascarade et s’exclame qu’il retournera à la politique dès sa sortie de prison. Revenu sur les conditions de sa condamnation, son parcours et sa vision du Brésil d’aujourd’hui, il s’adresse directement aux journalistes. Lula avait été accusé d’un présumé blanchiment de capitaux et de corruption pour l’achat d’un immeuble. Celui-ci avait été rénové par des contrats avec l’entreprise de construction Petrobras. Plus tard, un réseau de corruption a été découvert, ce qui a conduit à son inculpation et l’a ramené en prison. Toujours avec six procès judiciaires en cours, Lula pourrait être contraint de ne pas en sortir.  

Qu’est-ce qui vous est venu à l’esprit quand vous avez été arrêté et mis en prison il y a un an ? 

«Pendant tout le procès judiciaire, j’étais toujours certain qu’il y avait un objectif central et celui-ci était d’en arriver à moi. Je suis tellement obsédé par l’idée de démasquer Sérgio Moro [le juge de première instance qui l’a condamné et actuel ministre de Justice du président Jair Bolsonaro] et ses amis, et de démasquer tous ceux qui m’ont condamné. Même si je reste emprisonné 100 ans, je n’échangerais pour rien mon orgueil de liberté. Je veux prouver qu’il s’agit d’une farce. J’ai cette obsession, mais je ne ressens pas de haine. Je ne garde aucune rancœur parce qu’à mon âge, lorsqu’on a de la haine, on meurt vite. Vu que je veux vivre jusqu’à 120 ans, je vais travailler dur pour prouver mon innocence.» 

Êtes-vous conscient que vous pouvez rester emprisonné pour toujours ? 

«Pas de problème. Je suis sûr de dormir tous les jours la conscience tranquille. Je suis sûr que ni le procureur Deltan Dallagnol, ni Moro, ni les juges du Tribunal de la 4e région de seconde instance qui ont confirmé la condamnation de Moro et qui n’ont même pas lu la sentence, ne dorment. Une personne de 73 ans comme moi, qui a construit la vie que j’ai construite dans ce pays, qui a retrouvé la fierté et l’estime de soi du peuple brésilien comme nous l’avons fait avec ce gouvernement, ne se livrera pas. Ceux qui sont nés à Pernambuco [au nord-est du Brésil, l’une des régions les plus pauvres du Brésil et lieu de naissance de Lula] et qui ne sont pas morts avant l’âge de cinq ans ne reculent devant rien. Vous ne croyez pas que j’aimerais être chez moi ? Mais cela m’est égal parce que je veux sortir d’ici la tête haute, comme j’y suis entré : innocent. Et je ne peux le faire que si j’ai le courage de me battre pour l’obtenir.» 

Est-ce que vous pensez être acquitté du cas de l’appartement de Guarujá ? 

«Aussi incroyable que cela puisse paraître, oui. Il y aura un jour où les personnes se soucieront des preuves contenues dans le dossier du procès et non des gros-titres de journaux, des couvertures des magazines, ou des fausses informations diffusées. Tout ce que je demande pour l’amour de Dieu, c’est qu’ils me jugent en fonction des preuves. Je suis ici pour faire justice, pour prouver mon innocence comme Moro le sait bien, mais je m’inquiète bien plus de ce qui arrive au peuple brésilien.» 

Au cours de cette année, vous êtes passé par deux moments difficiles : la mort de votre frère Vavá et le décès de votre petit-fils Arthur, qu’avez-vous alors ressenti ? 

«Ces deux moments ont été les pires. La mort de mon frère Vavá et de mon petit-fils ont été effectivement, non, non, non… [il pleure, puis s’arrête]. Parfois je me dis qu’il aurait été plus facile que la mort me frappe moi. J’ai déjà 73 ans. J’aurais pu mourir et laisser vivre mon petit-fils. Malheureusement, ce n’est pas comme ça. Ce ne sont pas les seuls moments qui me rendent triste. J’essaie toujours d’être un homme heureux et j’y m’attache pour que la haine ne prenne pas place, cette rancune profonde. Quand je regarde à la télévision ceux qui m’ont condamné tout en sachant que ce sont des menteurs, j’ai des moments de tristesse. Mais qu’est-ce qui me maintient en vie ? C’est l’engagement avec ce pays, j’ai un devoir envers le peuple. Et je vois l’obsession du moment. Une obsession de détruire la souveraineté nationale, de détruire des emplois, d’accumuler un billion pour quoi faire ? Le ministre Paulo Guedes a dit que la réforme des retraites allait permettre d’économiser un billon de réales. Aux dépens des retraités ?» 

Votre parti a perdu les élections de l’année dernière et l’extrême droite est arrivée au pouvoir avec les votes favorables des électeurs qui appartenaient au Parti des travailleurs (PT). Qu’est-ce que vous pensez de ce revirement vers la droite d’un électorat qui était fidèle à son administration ? 

«Beaucoup de juristes savaient que ma candidature n’aurait pas pu être empêchée. Même emprisonné, je pouvais candidater. J’étais aussi sûr et très motivé pour gagner les élections depuis la prison. Il faut se souvenir que j’ai eu une remontée de seize points dans les sondages depuis la prison, sans pouvoir parler. On a eu des élections atypiques au Brésil. Soyons francs. Le rôle de fausses informations dans la campagne, la quantité de mensonges, la robotisation de la campagne sur internet étaient une folie. Après, c’était un manque de sensibilité des secteurs de la gauche de ne pas se regrouper. Telle était l’erreur de Marina Silva, presque devenue présidente en 2014, qui a obtenu 1% des votes. Je n’avais jamais vu le peuple exprimer tant de haine dans les rues. Je suis au courant, le monde entier est comme ça. La politique est effectivement diabolisée et il faudra beaucoup de temps pour la traiter sérieusement. Je ne m’attendais pas à ce que Bolsonaro résolve le problème du Brésil en quatre mois. Après, avec telle famille, telle folie. Son principal ennemi est le vice-président Hamilton Mourão, pas le PT. C’est-à-dire, c’est fou. Le pays est subordonné à une impossibilité de gouverner. Pour l’instant, il ne sait pas quoi faire, et celui qui applique les lois est le ministre de l’Économie Paulo Guedes.» 

Comment trouvez-vous la gouvernance du Venezuela ? 

«Évidemment, je ne suis pas tout à fait d’accord avec la politique économique du Venezuela, je trouve que c’est une erreur. Mais je suis encore moins d’accord que le Brésil reconnaisse ce gars, Guaidó. Franchement, c’est une honte. On a amené le Brésil au plus bas niveau de la politique extérieure que je n’ai jamais vu. Après avoir eu l’aplomb de dire qu’ils allaient envoyer un camion plein de denrées alimentaires, ils n’ont fait partir que deux camionnettes vides. Chacun ses affaires, il faut que le peuple vénézuélien choisisse librement ses dirigeants. S’ils veulent sortir dans la rue pour renverser le gouvernement, qu’ils sortent ! Mais c’est le peuple qui va renverser le gouvernement du Venezuela, pas Trump.» 

Comment est votre routine ? 

«Je suis seul tout le temps. Je lis, je regarde des films, des séries, des discours, j’assiste aux cours. J’ai suivi un cours sur la guerre de Canudos [conflit d’un groupe de religieux contre l’armée dans l’État de Bahía au XIXe siècle], qui énonce les mensonges racontés par Euclides Da Cunha. J’ai des cours toutes les semaines. Je sortirai avec un doctorat.» 

Si un jour vous sortez d’ici… 

«Je vais sortir et j’espère que vous serez là.» 

Qu’est-ce que vous ferez en premier ? 

«J’aimerais faire un jour un débat dans une université avec Moro et Dallagnol ensemble. Eux avec des notes pleines de mensonges et moi avec ma vérité. Avec une bonne allure, tranquille, beau comme je suis aujourd’hui. Mais, en fait, je veux faire un barbecue, un lard bien cuisiné et prendre un verre. Je le ferai. Soyez patient.»  

D’après El País
Traduit par Andrea Rico