Magie, médecine et âme dans Psychomagie, le nouveau livre du grand Alejandro Jodorowsky

La médecine est-elle une science ou un art ? Quand il arrive qu’un guérisseur guérisse, car cela peut arriver, est-ce un miracle ou un tour de passe-passe ? Ce sont les premières questions que pose Alejandro Jodorowsky, génial touche à tout, littérature, cinéma, ésotérisme, qui aura passé sa vie à chercher et à faire profiter tout un chacun de ses découvertes qui, ne rejetant rien de ce qui existe, unit christianisme, bouddhisme, religions indiennes d’Amérique et magie.

Photo : Albin Michel

Après avoir clairement défini en à peine quelques pages ce qu’est la psychomagie, Alejandro Jodorowsky se livre à des réflexions multiples, universelles pourrait-on dire, qui, toutes, tournent autour de l’être humain et de son accomplissement. Une phrase pourrait résumer : «Il faut avoir conscience de ce que nous sommes

L’étendue des sujets abordés est immense. Ils ont tous pour axe l’existence humaine ; d’où, justement, leur multiplicité. Son indépendance, qui n’est plus à souligner depuis bien longtemps, est absolue, ce qui n’empêche pas une certaine cohérence : il est, à 90 ans, parvenu à un très haut degré de perception, il en fait profiter. On peut, un peu par commodité, un peu par jeu, partir sur la piste de quelques-uns de ces thèmes, pas tous, on récrirait le livre !

Gourou. Il avoue avoir un temps voulu l’être. Il l’a été, mais comme personnage, dans son film La Montagne sacrée. Il ne l’a jamais été dans la réalité, et aujourd’hui moins que jamais. Il parle de certaines de ses expériences, il ouvre des pistes vers une meilleure connaissance de soi, mais Psychomagie est l’opposé exact de ces épouvantables manuels pour vaincre sa timidité ou réussir sa relation à autrui.

Tarot. Pour Alejandro Jodorowsky, le Tarot n’est surtout pas une divination de l’avenir, mais l’analyse du présent. «M’installerai-je à Madrid ou à Barcelone ?», lui demande un consultant. L’essentiel est de trouver par les cartes la cause de l’hésitation.

Gratuité. Ce qui a de la valeur doit être gratuit. Faire payer (un conseil, une consultation, une aide quelconque) revient à détruire l’objet du paiement. Cette notion revient constamment dans le livre et elle est pratiquée, car pendant des années Jodorowsky a donné à Paris des consultations hebdomadaires autour du Tarot sans prendre un franc ou un euro.

Religions. Elles ne sont pas à rejeter, puisqu’elles existent et qu’elles influencent une bonne partie des populations. En réalité, elles ne sont qu’une et doivent être considérées comme une parcelle de vérité, la seule religion est l’univers dont chacun de nous est une partie. Les manifestations de la religion, que sont miracles, ou apparitions dans le christianisme, sont des bizarreries intéressantes, à observer, mais ne font en rien avancer notre connaissance (de l’univers et de soi-même).

On pourrait trouver d’autres têtes de chapitres, beaucoup d’autres. Le plus frappant, dans ses propos, c’est la distance, admirable chez un homme «normal» ou «ordinaire», que prend Alejandro Jodorowsky avec tout, la science, l’ésotérisme, la vie et la mort, et même la magie, qui est au centre de tous ces propos. Il est parfois un peu difficile de le suivre sans réagir : le monde futuriste, hyper technologique qu’il voit à peu près idéal semble en contradiction avec ses aspirations spirituelles, mais du moment que ce soit l’esprit qui s’impose en fin de compte, on lui pardonnera bien volontiers ! D’ailleurs, peut-on seulement imaginer un Jodorowsky sans délires ? C’est pour cela aussi qu’on l’aime !

Si on trouve qu’il va un peu loin, quelques lignes plus tard on se remet à accepter ce qui nous est dit, le dialogue avec le maître est constant, riche et nuancé. On en ressort inévitablement enrichi. Il pourrait nous écraser par la force de ses conceptions, et non, sa bienveillance est là, il nous met en confiance.

«Nous n’avons pas besoin de contes de fées», nous sommes adultes, la Bible ou le Coran peuvent même être dangereux. La vérité est en soi. Je suis persuadé qu’elle est aussi dans Psychomagie !

Christian ROINAT

Psychomagie d’Alejandro Jodorowsky, traduit de l’espagnol par Nelly Lhermillier, Albin Michel, 270 p., 17 €. Alejandro Jodorwsky en espagnol : Psychomagia, ed. Siruela, Madrid.

Alejandro Jodorowsky, immense artiste multiforme, aura 90 ans en février 2019, et sortira son film Psychomagie, ce même mois. Il a publié, entre autres, chez Albin Michel : La Danse de la réalitéLe théâtre de la guérisonLa Voie du TarotLa sagesse des contesEnquête sur un chemin de terre