Sirena Selena, un roman fascinant de la Portoricaine Mayra Santos-Febres

Sirena Selena ? Sirenito ? La vedette des shows transformistes de Porto Rico et de ce roman est un adolescent à la voix fascinante qui ne s’est jamais senti garçon, mais qui se sait prédestiné pour être une star. Les éditions Zulma qui ont la bonne idée de s’intéresser de près à la littérature des Caraïbes, offrent enfin ce joyau au public français.

À 15 ans, « elle » est repérée par Martha Divine, la propriétaire d’un cabaret, qui veut faire d’elle la diva des Caraïbes. Sous les doigts experts de la « maîtresse d’illusion », on assiste à la lente transformation du tout jeune homme en reine de beauté. Souffrance et espérance, tel est son parcours et, à la fin de l’entreprise (c’en est bien une, sens commercial du terme compris), elle sera enfin ce qu’il rêvait d’être, ce qu’il savait qu’il était vraiment. C’est bien à une naissance que l’on assiste. Sirena Selena est homme, femme, ange et Lucifer, ses yeux sont « innocence perverse ou vulnérabilité assassine », elle est devenue la « pure incarnation de l’impossible ».  Tout tient dans ce corps d’adolescent qui, dès le premier regard, fascine chacun, chacune de ceux et de celles qui le voient, comme ils sont tous et toutes fascinés par sa voix unique. Martha le lui dit, il n’est pas de ce monde.

On est à mille lieues des clichés habituels avec ce genre de personnes. Les folles qui entourent Sirena ne manquent pas de soucis. Leurs difficultés au quotidien sont bien matérielles, comment vivre au jour le jour dans une société qui, si exceptionnellement elle peut vous accepter, vous regarde avec curiosité plus qu’avec empathie ? Une morale qui loucherait vers le traditionnel est carrément hors sujet ici, quand il s’agit de ce que la nature impose et de ce que la survie exige. Le terme n’a plus la moindre signification, cela aussi Mayra Santos-Febres le montre comme une évidence. Les vrais démons sont ailleurs, dans l’engrenage des drogues, « nécessaires » pour tenir le coup, dans les violences dont jeunes et moins jeunes sont victimes. On n’est évidemment pas dans un univers rose bonbon, la dureté de l’existence est aussi celle des personnes pour qui la tendresse qui se voit dans les films à la guimauve qu’elles affectionnent n’existe jamais dans leur métier ni même dans leur vie privée, quand elles peuvent se payer le luxe d’en avoir une.

Autour de Martha et de Sirena évolue un univers de garçons  profondément blessés par la nature, par leur nature, et par un environnement sans pitié. Mais la vie est la plus forte, comme la nature, qui garde le dernier mot, et la générosité est aussi une des composantes de l’âme humaine. Ainsi le jeune garçon, double et jumeau de Sirenito, rejeté par un père qui n’a pas compris ou laissé à l’abandon par le décès de sa grand-mère, trouve parfois une doña Adelina qui, à force de recueillir ces victimes innocentes, finit par se créer une véritable famille (nombreuse, et même trop nombreuse !).

Mayra Santos-Febres domine avec une maîtrise exceptionnelle ce récit où tout est double, son protagoniste, ses personnages secondaires (impossible d’oublier ce portrait de Migueles, un personnage secondaire, à la fin du récit, à la fois « le plus grand et le plus petit », qui est tout simplement la définition de l’Homme, faite dans la plus grande sobriété, en deux pages), et surtout ce qu’il nous arrive d’appeler le bon goût ou même la morale. Les scènes qui pourraient être les plus crues deviennent presque poétiques, par la magie des mots. Elle fait de sa Sirena Selena un être supérieur, fascinant, admirable, et de son Sirena Selena un roman indispensable.

Christian ROINAT

Sirena Selena, de Mayra Santos-Febres, traduit de l’espagnol (Porto Rico) par François-Michel Durazzo, éd. Zulma, 336 p., 20,50 €.  Mayra Santos-Febres en espagnol : Sirena Selena vestida de pena, son premier roman, finaliste du prestigieux Prix Rómulo Gallegos / Cualquier miércoles soy tuya, Random House, Barcelone / Nuestras señora de la noche, Espasa Libros, Barcelone.