“La double vie de Jesús” dernier roman en français du Mexicain Enrique Serna

Un panorama de la vie politique mexicaine en province où règnent les narcotrafiquants par la corruption des élus, de la police et de la justice, une analyse psychologique approfondie du protagoniste Jesús Pastrana, politique intègre qui va découvrir en lui une autre personnalité dans la transgression, la joie et la douleur, voilà les thèmes du nouveau et excellent roman d’Enrique Serna qui nous avait déjà enchantés dans ses créations précédentes.

En effet, tout tourne autour de Jesús Pastrana, homme d’honneur, “monsieur Propre” de la municipalité de Cuernavaca au milieu de ses collègues tous corrompus, du maire Medrano à ses adjoints, du chef de la police au procureur, sans parler des médias locaux. Il se bat souvent sans succès comme commissaire aux comptes contre ses collègues. Il est bon père de famille mais mal marié à une femme aigrie et revêche. Et il a de grandes ambitions, devenir maire de Cuernavaca pour mettre de l’ordre, chasser les gangs de narcos qui règnent et rétablir une justice sociale.

Pourtant, une nuit de désespoir où son parti lui a refusé l’investiture, il boit seul, rencontre un travesti nommé Leslie et fait voler en éclats sa vie antérieure rangée. Il tombe follement amoureux, casse son mariage ; il reste fidèle à ses principes au fond de lui mais devient rusé, dissimulateur, cynique, n’hésite pas à manipuler dans la course au pouvoir et commet quelques erreurs fatales qui se retourneront contre lui.

Mais courageusement, obstinément, Jesús poursuit sa route semée d’embûches, de pièges tendus par ses adversaires, franchit les obstacles, connaît des hauts et des bas. Tout à fait lucide sur lui-même, sans concession, il se torture intérieurement, analyse parfaitement et impitoyablement ses difficultés à rester les mains propres et la conscience tranquille. Il se montre aussi téméraire dans des meetings à haut risque où il risque sa vie. Et surtout il vit une folle passion avec Leslie, il ne peut s’en passer, malgré des scènes éprouvantes, il est prêt, lui le macho, quand il sera maire, à l’exhiber à ses côtés et à l’imposer à une société qui n’est guère encline à accepter l’homosexualité.

En parallèle, Enrique Serna nous peint un tableau documentaire très noir de la société mexicaine actuelle, le peuple très pauvre, les candidats en profitant pour acheter les voix des électeurs par des cadeaux démagogiques. Les responsables politiques sont totalement corrompus par les gangs de narcotrafiquants. Ces derniers se livrent une guerre intestine sans merci et règnent sur la cité et l’état en utilisant la terreur, la violence, le meurtre, le chantage et les preuves de corruption contre les uns et les autres. Il n’y a apparemment aucune solution car même un Jesús Pastrana qui deviendrait maire aurait un pouvoir illusoire et les mains liées.

Heureusement, l’humour ravageur du romancier rend la lecture un peu plus légère et agréable, le suspense entretenu de chapitre en chapitre avec les hauts et les bas qu’affronte le héros tient le lecteur en haleine jusqu’au bout, et la fin qu’il ne faut surtout pas dévoiler reste ouverte. Voilà donc un roman très fort, porté par le talent d’un grand écrivain qui a déjà fait ses preuves dans ses livres antérieurs, roman à lire de toute urgence !

Louise LAURENT

La double vie de Jesús de Enrique Serna, traduit de l’espagnol (Mexique) par François Gaudry, éditions Métailié, 366 pages, 21 euros.