Le mystérieux roman argentin “Te quiero” sur les traces d’un Bonnie & Clyde au temps présent

Un mystérieux auteur, que nul ne connaît, même pas ses éditrices ni ceux qui l’interviewent, un texte envoûtant, qui tout en étant lui-même peut évoquer une foule de références, au cinéma ou dans le roman du XXe siècle mais qui est complètement ancré dans l’univers d’aujourd’hui, voilà de quoi intriguer et inciter tout lecteur désireux de découvertes et d’originalités à ouvrir ce Te quiero et à décoller pour un trip d’enfer ou de paradis !

Rien que du banal pour commencer : un garçon, une fille, une histoire d’amour qui commence, jour après jour, entre une pizza aux épinards et le jus d’orange du petit déjeuner. Mais elle s’appelle Bonnie, il s’appelle Clyde, ils vivent à Buenos Aires et leur aventure navigue entre le quotidien et l’imagination et les rêves, les fantasmes qui se réalisent peut-être, ou pas.

Clyde est, ou veut être écrivain, il est à chaque instant à l’affût d’idées nouvelles, d’images incongrues, de situations bizarres à caser dans son prochain récit. Et le plus souvent, le plus invraisemblable se trouve au coin de la rue. Bonnie est fantasque à souhait, elle rêve d’un tendre dialogue sur un lit de soie avec un lapin à taille humaine, ou désire être une plume blanche qui volerait dans l’air avant d’être avalée par un saumon : une mine pour Clyde. Mais ils sont quand même deux êtres qui découvrent qu’ils s’aiment réellement dans leur vie réelle. Face à face dans un café, en tchatant ou en échangeant sur Skype, ils échangent banalités, souhaits, regrets et poésie.

On baigne dans une atmosphère étrange, planante, un détournement plein de charme du roman noir, mais un détournement vers quoi ? Vers un roman noir et rose, subtilement angoissant parfois dans lequel un désespoir rampant est masqué par des envolées poétiques ou surréalistes. On regrette parfois de manquer de notions psychanalytiques, et puis tout de suite après on se dit que non, qu’il vaut mieux oublier toute explication éventuelle, et visualiser par exemple les belles images dites par Bonnie et en profiter plutôt que d’analyser. On est dans un roman où le lecteur subit délicieusement la volonté légère et prenante du mystérieux auteur.

J’ignore si on peut qualifier Te quiero de roman expérimental, laissons le débat aux spécialistes, il ne fait aucun doute que, s’il en a plusieurs caractéristiques (la nouveauté de la tonalité générale), on peut aussi le rapprocher de ce qui pourrait bien être certaines de ses racines, comme le roman nord-américain proche de William Burrought ou le Contretemps de Charlie Smith pour sa noirceur feutrée, comme plusieurs œuvres de Georges Perec, pour la neutralité blanche du constat, ou encore comme les situations flippantes des films de Jacques Rivette, Le Pont du Nord  ou Céline et Julie vont en bateau. “Le sérieux a mauvaise presse”, dit un personnage secondaire. Que c’est vrai dans Te quiero, dont la fin nous invite à poursuivre la rêverie, notre rêverie.

Christian ROINAT

Te quiero de J.P. Zooey, traduit de l’espagnol (Argentine) par Margot Nguyen Béraud, éd. Asphalte, 144 p., 15 €. SITE.
J.P. Zooey en espagnol : Te quiero, éd. Paprika, Buenos Aires / Los electrocutados, éd. Alpha Decay, Barcelone. SITE.