Buenos Aires, dans la zone portuaire. Puerto Apache est un quartier squatté au début des années 2000, qui a tenté de s’organiser pour ne pas devenir bidonville mais qui s’est, malgré tous les efforts de quelques uns, enfoncé dans le désordre et la misère. Ses habitants se voient comme de vrais Portègnes tout en se sentant exclus d’une vie “normale”. C’est cette situation ambiguë que nous décrit Juan Martini, né en 1944, dont le roman La vie entière a été publié par Maurice Nadeau en 1998.
Puerto Apache est plus un documentaire qu’un roman. Il y a bien une intrigue, une enquête que mène le narrateur, enchaîné et torturé dans les premières pages, qui cherche à savoir qui est à l’origine de cette “punition”. Mais l’auteur s’intéresse davantage à la description de ce curieux quartier et à la vie quotidienne de ses habitants, pas vraiment bidonville, mais encore moins zone résidentielle. C’est une ancienne friche industrielle récupérée par un groupe de jeunes gens sinon politisés, du moins engagés pour lutter contre la misère qui, dans ces années 2000, a gagné une bonne partie de la société argentine. Ils se sont lancés dans cette aventure de réhabilitation d’une zone qui n’appartenait apparemment plus à personne et dont ils auraient pu faire un quartier tout à fait habitable.
Ce projet, enthousiasmant sur le papier, se révèle bancal une décennie plus tard et, s’il reste toujours un certain enthousiasme, c’est pourtant l’amertume qui domine. Tout avait été prévu, il y a un cinéma populaire et même un début de cimetière, mais les réalités matérielles ont peu à peu dévoré les grandes idées : pour survivre il faut parfois voler, dealer, flirter avec la vraie délinquance. C’est ce qui est arrivé au Rat, le narrateur. Son enquête avance plutôt lentement mais donne lieu à des rencontres qui permettent à l’auteur de nous faire partager des moments de la vie de ces oubliés de la société qui pourtant parviennent à exister par eux-mêmes malgré tous les obstacles.
Christian ROINAT