Le Dieu romain en recto verso, Janus, aurait-il migré d’Italie vers le Brésil ? Le noir, selon le philosophe Alain Badiou, a « de secrètes et voluptueuses différences [1]. Les noirs en partie double ont en effet été les « couleurs » dominantes de novembre 2025 au Brésil. Un noir à deux faces, révélateur des éclats brésiliens d’une « non-couleur ». Les petits enfants verts,[2] de Belém, en Vert de la Cop30, couleur défendue par Lula, n’ont pas réussi à convaincre, les Brésiliens, ni le chancelier Friedrich Merz, qui a quitté Belém content de rentrer en Allemagne, « l’un des pays les plus agréables du monde ».
Novembre, au Brésil aura été, en Noir des soldes, – un noir en Black November -, et le Novembre de la « Conscience noire ». Cette polarisation en noir a donné un instantané éclairant des contrastes d’un pays toujours en quête de citoyenneté partagée. Vitrines, affiches, publicités télévisées, pages réclames, prospectus ont mis en novembre le Brésil au noir, du nord au sud, d’est en ouest, d’Amazonie au lointain sud gaucho. Cette propagande massive a imposé sa nécessité et mis le Brésil en calendrier nord-américain. LeBlack November est venu après Halloween.
La presse a couvert le Jour d’action de grâce, le Thanksgiving Day. Les Pères Noël (Papai Noël), créatures d’un célèbre fabricant de boisson gazeuse chargée en glucose, bien couverts et chapeauté de rouge ajoutaient, de magasins en restaurants routiers, et foires de fin d’année, un élément complémentaire à ce Brésil Disney world. Rien de surprenant pourtant dans ce bain de culture étatsunienne qui n’a rien d’une irruption soudaine. La RR, ou restauration rapide, et toutes ses marques sont partout. Les plus modestes vont manger leurs hamburgers arrosé de sodas bien sucrés pedibus con jambis. Les motorisés font la queue au RR Drive. Les paresseux et /ou casaniers appellent un Delivery (un livreur). Les uns et les autres marchent, conduisent ou mangent, le nez sur leurs portables. Le Brésil triomphalement s’affiche, au sens le plus littéral du mot comme l’un des trois pays les plus branchés du monde, accroc aux réseaux sociaux, comme à la gastronomie nord-américaine.
Le résultat financier a été à la hauteur de l’investissement, avec un pic, le Black Friday. Vendredi 28 novembre l’Association brésilienne d’Intelligence Artificielle a estimé le mouvement d’achats à environ 13,3 milliards de reais. Ces achats présentés comme un moment de réalisation de désirs personnels se sont portés sur les portables, les parfums, suivis des vêtements et accessoires et des chaussures. Le succès a été tel que le quotidien de São Paulo, La Folha, annonçait une suite prochaine, dans le même esprit, baptisée Cyber Monday[3].
Mais novembre a été aussi un mois afro-brésilien. Pour la première fois de son histoire le Brésil a célébré le 20 novembre le jour de la « Conscience noire ». Le président Lula a officialisé par décret le 21 décembre 2023 ce moment dédié à la contribution des noirs à l’identité nationale brésilienne. Pourquoi le 20 novembre ? L’idée est issue de propositions d’intellectuels afro-brésiliens réunis en 1970, en pleine dictature militaire, au sud du pays, à Porto Alegre. Ils ont choisi pour cette commémoration aux prolongements contemporains de rappeler le souvenir d’un noir marron, Zumbi dos Palmares, ayant résisté plusieurs années dans son refuge ou quilombo, aux assauts des soldats du Roi, et des mercenaires stipendiés par les colons portugais.
Ce 20 novembre national, a été l’occasion d’initiatives de toute sorte, mettant en évidence un état des lieux riche d’avancées indéniables et loin encore d’avoir atteint un point d’égalité acceptable entre citoyens noirs et blancs. Parmi beaucoup d’autres, on peut citer la manifestation organisée à São Paulo par les éditeurs d’écrivains afro-brésiliens, la cérémonie d’adoubement solennel à Rio de Janeiro, d’Ana Maria Gonçalves, comme nouvelle membre de l’Académie brésilienne des lettres[4], la deuxième « Marche Globale des femmes noires », à Brasilia. La première marche avait été organisée en 2015, dernière année de la mandature de Dilma Rousseff, destituée inconstitutionnellement par les amis de Jair Bolsonaro l’année suivante. Celle de 2025, a coïncidé avec la fédéralisation du 20 novembre et l’incarcération de l’ex-président Jair Bolsonaro. Plusieurs dizaines de milliers de femmes noires venues de tout le Brésil ont défilé sur l’esplanade des ministères pour exiger « Réparation et Bien vivre ». L’Agencia Brasil a estimé leur nombre à 300 000. Les ministres noires du gouvernement étaient là. Le Congrès des députés a reçu solennellement une délégation de la Commission organisatrice.
Les manifestantes ont remercié Congrès et Ministres pour ces gestes de sympathie. Tout en rappelant leur déception, inscrite en toutes lettres sur un immense drapeau brésilien. Les afro-descendants et descendantes ont ainsi souhaité manifester leur amertume après la décision prise par Lula de proposer pour siéger au Tribunal suprême un magistrat blanc, se déclarant de confession évangélique. Elles attendaient, la justice étant blanche à 82,4 %[5], une autre nomination. Adilson Moreira, éminent professeur de droit constitutionnel, s’est fait le 17 novembre, dans un entretien, le porte-parole d’une frustration afro-brésilienne collective : « le critère qui devrait être priorisé pour nommer un juge du Tribunal suprême, devrait être celui de la diversité, et non un calcul politique ».
Les choses ont pourtant bougé depuis 1888, date de l’abolition de l’esclavage. Lentement sans doute, trop lentement pour les citoyens brésiliens d’origines africaines. L’acte de décès du premier président de l’Académie brésilienne des lettres, Joaquim Machado de Assis, conservé à la Fondation Rui Barbosa, daté du 29 septembre 1908, le qualifie de « blanc ». Ses portraits ont depuis retrouvé les couleurs métissées qui étaient les siennes. Tout comme ceux du premier président brésilien de couleur, Procópio Peçanha, qui ont retrouvé les leurs après « déblanchiment » des portraits officiels réalisés à l’époque de sa mandature (1909-1910). Black is Black chantait en 1966 le groupe rock espagnol Los Bravos, et à leur suite, « Noir c’est Noir », le franco-belge Jean-Philippe Smet, au nom d’artiste anglo-saxon, Johny Halliday. Le Noir est un trompe-couleur, universel, une non couleur, « negra », qui a été en double entrée, au Brésil, en novembre 2025.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY
PHOTO : avec l’autorisation du Comité de communication de la Marche Globale des Femmes Noires
[1] Alain Badiou, Le noir, Éclats d’une non-couleur, Paris, Autrement, 2015, p. 12
[2] Titre d’un conte de la poétesse Cora Coralina, Os Meninos Verdes, en version originale
[3] A Folha de São Paulo, 28 novembre 2025, p. A31
[4] Ana Maria Gonçalves est l’autrice du roman historique Um defeito de cor, vendu à plus de 150 000 exemplaires en 41 éditions (chiffres de 2024)
[5] In A Folha de São Paulo, 18 novembre 2025, p. A6



