Le président Luis Inácio Lula da Silva arrive cette semaine en France dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan

Les 8 et 9 juin 2025, le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva est attendu à Paris, puis à Nice, où il doit participer à la Conférence des Nations unies sur l’océan. Lula connaît la France. En 2002, à la veille de sa prise de fonction, il apportait son soutien à Lionel Jospin, candidat socialiste aux présidentielles, lors d’un rassemblement à Bordeaux1. Dès janvier 2003, il rendait visite au président élu Jacques Chirac. En juin de la même année, il participait à la réunion du G8 à Évian, puis retournait à Paris en 2005. En 2008, il rencontrait Nicolas Sarkozy en Guyane, rencontre suivie de deux visites de travail en 2009 et d’une visite d’État. Dilma Rousseff, présidente de 2011 à 2016, amie politique de Lula, est venue en France à deux reprises : pour assister au G20 de Cannes, en novembre 2011, et pour une visite de travail en décembre 2012. Depuis sa réélection en 2022, pour renouer bilatéralement des contacts distendus, Lula a repris le chemin de Paris les 23 et 24 juin 2023 et participer à la conférence du Pacte climat.

Entre 2016 et 2023, la France disparaît du radar des présidents brésiliens Michel Temer et Jair Bolsonaro, chefs d’État ayant succédé à Lula et à Dilma Rousseff, cultivant une relation préférentielle avec Washington, où s’est rendu Michel Temer trois fois, et Jair Bolsonaro sept fois. Mais si la France a retrouvé une place dans l’agenda brésilien après la réélection de Lula en 2022, elle n’a plus, au vu de son agenda international, la centralité qui a été la sienne. En 2023, les premiers déplacements de Lula sont chez les voisins du Marché commun du Sud (Mercosul), Argentine et Uruguay, suivis d’un voyage aux États-Unis et en Chine. En 2025, Paris a été la douzième capitale visitée par Lula – après Buenos Aires (Argentine), Montevideo (Uruguay), Washington DC (États-Unis), Pékin (Chine) et divers partenaires de Brasilia, Abou Dhabi (Émirats arabes unis), Lisbonne (Portugal), Madrid (Espagne), Londres (Royaume-Uni), Tokyo (Japon), Hanoï (Vietnam), Rome (Italie) et le Vatican.

Avant de faire escale sur les quais de la Seine, Lula a donc déjà beaucoup voyagé. Depuis le 1er janvier 2025, il s’est rendu dans la capitale d’Uruguay (1er mars), pour la prise de fonction du président Yamandu Orsi, puis, fin mars, à Tokyo (Japon) et Hanoï (Vietnam), pour nouer des contacts bilatéraux essentiellement économiques. Les 8 et 9 avril à Tegucigalpa, siège du gouvernement hondurien, il a assisté au sommet de la Communauté d’États latino-américains et Caraïbes (CELAC), puis il s’est rendu au Vatican les 25 et 26 avril aux obsèques du pape François, et le 18 mai pour la messe d’intronisation de Léon XIV. Le 9 mai à Moscou, il était présent aux cérémonies anniversaires de la victoire sur l’Allemagne nazie. Le 12 mai, à Pékin, il a participé au sommet Chine-CELAC.

La visite du 8 juin à Paris s’inscrit dans une chaîne de rendez-vous diplomatiques en continu. Dans le cadre de son troisième mandat présidentiel, il a effectué 27 voyages internationaux en 2023 et 13 en 2024. Il a, par ailleurs, organisé au Brésil un Sommet sud-américain le 30 mai 2023, un Sommet des pays membres del’Organisation du traité de coopération amazonienne (OTCA) à Belém les 8 et 9 août 2023, et un sommet du G20 les 18 et 19 novembre 2024 à Rio de Janeiro. Il s’apprête à recevoir un sommet des BRICS2, toujours à Rio de Janeiro, les 6 et 7 juillet 2025, et la COP30 sur le changement climatique à Belém du 10 au 21 novembre 2025. Par ailleurs, le président brésilien a participé à un certain nombre de rencontres internationales, dont l’Assemblée générale annuelle de l’ONU (2023 et 2024) ; les sommets du Mercosur (2023 et 2024), les sommets des BRICS (2023 et 2024), le sommet du G77 à La Havane (2023) et le sommet Union européenne-CELAC (2023) ; la Conférence des pays de langue portugaise (2023), le Sommet ibéro-américain (2023), le sommet de l’Union africaine (2024), le Forum économique mondial de Davos (2023, 2024 et 2025), le Forum de la coalition mondiale pour la justice sociale à Genève (2024) et le Forum Chine-CELAC (2025). Sur son agenda sont inscrits, à venir, le 15e sommet des pays de langue portugaise (juillet), l’Assemblée générale des Nations unies (septembre) et deux rencontres du Mercosur (juillet et décembre). À des dates encore non précisées, un G20 en Afrique du Sud, un sommet de l’Organisation des États américains (OEA) en République dominicaine et un sommet de l’OTCA.

Afin de situer Paris et la France dans le contexte diplomatique brésilien, il convient de préciser les ambitions diplomatiques de Lula pour son troisième mandat. L’activisme international de Lula – sanction réelle ou apparente – a porté certaines personnalités politiques brésiliennes à de hautes fonctions internationales : Dilma Rousseff a été confirmée pour cinq ans à la tête de la Banque des BRICS, Valdecy Urquiza a été nommé secrétaire général d’Interpol et la nomination d’un commissaire brésilien, Fabio de Sa e Silva, à la Commission des droits humains doit être officialisée les 25 et 27 juin prochains, lors de l’Assemblée générale de l’OEA3. Est-ce là la conséquence de l’activisme manifesté depuis le 1er janvier 2023 ? Après six ans de repli, signale-t-il le retour du Brésil sur la scène internationale ? Il convient de noter que, derrière le Lula voyageur, il y a une équipe. Si le dynamisme international ambitieux d’aujourd’hui reprend les grandes lignes de la politique internationale des années 2003 à 2016, c’est que ses chefs d’orchestre, qui en maîtrisent le récit, ont participé à son invention et à sa mise en œuvre sous les premières mandatures de Lula et celle de Dilma Rousseff. Le ministre des Relations extérieures, Mauro Vieira, a exercé ces fonctions sous la présidence de Dilma Rousseff, le conseiller spécial du président, Celso Amorim, a été ministre des Relations extérieures de Lula et ministre de la Défense de Dilma Rousseff. Comme alors, tous deux ont intensifié l’allure sur le multilatéralisme. Sur cette partition, ils ont accompagné le chef de l’État aux quatre coins du monde et lancé plusieurs initiatives. Avec la Chine, le Brésil a tenté en mai 2024 de construire un projet de sortie de la guerre russo-ukrainienne. En novembre 2024, le Brésil a annoncé, au cours du G20 de Rio de Janeiro, la création d’une Alliance globale contre la faim et la pauvreté. En 2023, la répartition des visites, surtout les premières – au-delà de leur nombre, et du large éventail des partenaires –, est révélatrice de choix et d’inflexions diplomatiques corrigeant l’impression première. Une interrogation s’impose à la lecture de cette liste, de sa répartition, et de son sens diplomatique. Pour le Brésil et ses partenaires de jeu, le retour sur investissement est-il au rendez-vous ?

De 2003 à 2016, au cours de leurs trois mandats successifs, Lula et Dilma Rousseff ont initié la création effective des groupes IBAS (Inde-Brésil-Afrique du Sud), G20 de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), UNASUR (Union des nations sud-américaines), des conférences Amérique du Sud/Afrique et Amérique du Sud/monde arabe, accompagné la création de la CELAC, du G4 (Allemagne-Brésil-Inde-Japon), consolidé le Mercosur et accueilli un Congrès de l’Internationale socialiste. Brasilia avait proposé avec Ankara (Turquie) une initiative de sortie de la crise du nucléaire iranien en 2010, et avait présenté à l’ONU en 2011 une proposition sur la responsabilité de protéger. À Brasilia, Lula avait convaincu en 2010-2011 la quasi-totalité des partenaires sud-américains de reconnaître l’État palestinien.

Rien de tout cela aujourd’hui. Les initiatives du Brésil en matière environnementale et sociale peinent à entraîner. Le Mercosur est en rendement déclinant. Les relations avec l’Union européenne (UE) patinent, par manque de dynamisme d’un côté et réticences de l’autre. Le poids relatif du Brésil au sein des BRICS a été relativisé par l’entrée dans le groupe de nombreux pays africains et asiatiques. Le Brésil est hors-jeu sur les grandes crises internationales, se limitant à exercer un droit de parole. Pourtant, le logiciel diplomatique a repris, avec les mêmes responsables, le méridien des années 2003-2010, qui avait eu des suites concrètes et pour certaines durables.

Le Brésil, remarque Camila Asano« peut-être plus que n’importe quelle puissance émergente, associe […] stabilité et force économique, lui donnant une crédibilité sur la scène internationale. [Il] est très bien placé pour endosser le rôle important de défier le statu quo4 ». Mais, ajoute-t-elle, « peut-il promouvoir le changement ?5 ». Le sort réservé à l’initiative prise avec la Turquie sur le nucléaire iranien, en 2010, avait déjà montré les limites de l’influence brésilienne. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité avaient très vite fait comprendre au Brésil et à la Turquie que leur initiative était incongrue. Le contexte d’aujourd’hui est plus fermé qu’hier aux propositions venant de puissances émergentes. Le Brésil s’exprime toujours sur les grands conflits – ceux du Proche-Orient et d’Europe orientale – ou sur les défis environnementaux posés par le changement climatique – mais il est moins écouté en 2023 et 2025 qu’en 2010 et 2011. Un ancien ministre brésilien des Affaires étrangères, ex-secrétaire général de la conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), Rubens Ricupero, en tire l’évaluation suivante : le diagnostic de la conjoncture internationale signalé par le président Lula à la tribune de l’ONU le 24 septembre 2024 est « inattaquable ».

Les crises internationales génératrices de morts et de destructions devraient trouver, dans le droit et le dialogue, leurs solutions. Les Nations unies devraient se montrer plus allantes. Mais, comme le commente l’ancien ministre brésilien, tout cela suppose une coopération internationale solide alors qu’elle demeure inexistante. Les « remèdes » proposés par Lula sont pertinents, mais ils dépendent de la bonne volonté d’autres, qui la refusent ou l’ignorent. En particulier, « les grandes puissances qui ne veulent pas toucher au statu quo6 ». La division du monde « entre États-Unis et Chine […] sur presque toutes les questions est la marque principale du monde actuel7 ». Néanmoins, comme en 2010, cela n’a pas empêché la Turquie, alors complice diplomatique du Brésil, de garder une diplomatie active, au Proche-Orient, comme on l’a constaté en mai dernier, sur le contentieux russo-ukrainien.

Comment alors interpréter la difficulté brésilienne à faire passer les messages qui, il y a dix ans, à défaut d’avoir un impact concret, étaient au moins entendus ? Il n’y a sans doute pas un facteur unique ou principal permettant de répondre à cette question, mais une conjonction défavorable de causes multiples. La première est intérieure. Le Brésil de 2025 n’est plus celui de 2010. En 2010, la croissance était de 7 %. En 2024, elle était de 3 % et devrait se situer cette année autour de 2 %8. Le taux d’investissement est faible (16,5 % du PIB en 2024), la dette publique est élevée (87,6 % du PIB en 2024 et 92 % attendus pour 2025), les prix sont en tendance haussière et le taux d’inflation a été de 4,8 % en 2024, une situation justifiant les taux élevés du loyer de l’argent par la Banque centrale, mais qui pèse sur l’investissement et la croissance. Les accidents climatiques de ces derniers mois (sécheresses et inondations), en oxymore, ont ajouté des difficultés conjoncturelles9. L’État brésilien d’aujourd’hui n’a donc plus l’aisance financière qui en 2010 lui permettait de réduire la brèche sociale et ainsi générer une forte confiance intérieure. La cote du président Lula était alors au plus haut. Ce n’est plus le cas en 2025. Cette confiance aux fondements concrets avait soutenu l’inventivité des autorités, en interne comme à l’international.

L’État, la puissance publique et leur image souffrent aussi de l’héritage institutionnel légué par les présidences Temer et Bolsonaro. Ce facteur supplémentaire a réduit un peu plus les capacités d’action de Lula et de son gouvernement. L’État fédéral a perdu des instruments d’intervention. Un certain nombre d’entreprises publiques ont été privatisées. La Banque centrale est désormais indépendante. La mandature de Jair Bolsonaro a durci les résistances sociales de catégories qui avaient accepté, en 2003-2010, de partager les plus-values tirées des exportations de produits agricoles. La vie politique a rompu, de 2016 à 2023, la pratique du compromis démocratique. Les plus riches et les acteurs de l’ordre, judiciaire, militaire, policier et religieux ont radicalisé l’opinion, créant, chez beaucoup de Brésiliens, un climat de défiance à l’égard de leur démocratie et de ses acteurs. Le 8 janvier 2023, la tentative de coup de force contre le président Lula a illustré ce changement d’époque. Tous ces éléments ont altéré, par ricochet, l’image internationale du pays10.

Les soutiens institutionnels du président Lula ont perdu de leur influence sur la société. Le Parti des travailleurs (PT), formation du président, amalgame initialement formé de syndicalistes, de militants de la société civile et de catholiques progressistes, a été dilué par les institutions qui en ont aspiré les forces vives. Replié sur les espaces de pouvoir, le PT est moins présent dans les quartiers populaires11. La place qu’il a silencieusement abandonnée est aujourd’hui occupée par des Églises évangélistes pentecôtistes dont les cadres diffusent une idéologie religieuse d’esprit individualiste, pyramidal et ultra-libéral12. Faute de majorité cohérente au Parlement, le président et son gouvernement, les élus du PT et leurs alliés sont parallèlement accaparés par des marchandages permanents, plus que par l’invention de dispositifs politiques et diplomatiques imaginatifs.

Pour toutes ces raisons, le Brésil de 2025 n’a pas les coudées franches pour forcer la porte des membres permanents du Conseil de sécurité, en connivence avec d’autres pays émergents ou ceux qui se considèrent exclus de ce cénacle. Le contexte international actuel ajoute des obstacles supplémentaires à ce pari de Lula sur le multilatéralisme13. On peut alors poser la question de la pertinence de ce choix au vu d’une réalité internationale dont un nombre grandissant de parties ont rompu avec les grands principes du droit des gens14. Les États-Unis, la Russie, suivis par d’autres, comme Israël et le Ruanda, abandonnent la reconnaissance de l’autre alors que, jusqu’ici, ils s’accordaient de façon universelle sur la diplomatie comme rituel de règlement ordonné des conflits.

En 2023, comme il l’avait fait sur la période 2003-2010, Lula a cherché des relais internationaux idéologiquement proches pour renforcer la coopération intergouvernementale, le multilatéralisme et la fabrication de compromis internationaux négociés15. En 2002, avant son entrée en fonction, il avait parié sur une France dirigée par un président issu du socialisme démocratique, Lionel Jospin, puis sur les partis et gouvernements de l’Internationale socialiste, l’Allemand Gerhard Schröder (1998-2005), l’Espagnol José Luis Rodríguez Zapatero (2004-2011) et le Portugais José Sócrates (2005-2011). Il avait parallèlement joué la carte des gouvernements progressistes d’Amérique latine.

En 2023, il reprend ce flambeau, visitant les gouvernants européens de la famille socialiste démocratique – le Portugais António Costa et l’Espagnol Pedro Sánchez –, tout en cultivant les chefs d’État de la gauche latino-américaine – l’Argentin Alberto Fernández (2019-2023), le Chilien Gabriel Boric (2022-2026), le Colombien Gustavo Petro (2022-2026) et l’Uruguayen Yamandú Orsi (2025-2029). Mais les aléas électoraux ont parfois tourné dans un sens opposé. L’Argentine, partenaire clé du Mercosur, est dirigée depuis le 10 décembre 2023 par un libertarien, Javier Milei, qui a les yeux tournés vers l’étoile polaire étatsunienne16. Comme les nouveaux dirigeants de l’Équateur (Daniel Noboa), du Paraguay (Santiago Peña) et du Salvador (Nayib Bukele), et alors que le Pérou navigue sans boussole ni gouvernail. Les pays européens suivent le mouvement, d’Italie au Portugal. La victoire de Donald Trump aux États-Unis a créé un contexte d’incertitudes électorale, politique, commerciale et diplomatique. Elle a stimulé les courants d’extrême droite, en Europe, en Hongrie, aux Pays-Bas, en Roumanie, en Suède et en Amérique du Sud, dans les pays soumis à un renouvellement électoral, dont le Brésil de Lula, la Colombie de Gustavo Petro, le Chili de Gabriel Boric.

Le multilatéralisme, que tente de réanimer le Brésil17, se heurte par ailleurs au retour de la force et des concurrences militarisées, pour réguler contentieux et conflits internationaux. Comme le signalait Rubens Ricupero, les Nations unies ne sont pas en mesure de corriger les déficits diplomatiques. Les institutions intergouvernementales souffrent. En Amérique latine, le bon fonctionnement du Mercosur est altéré par les doutes de l’Argentine de Javier Milei. L’Union européenne, dont la vocation première est de faciliter la création d’une zone de paix propice au développement d’une économie de marché, n’est pas en condition de faire contrepoids à ces évolutions. Le groupe BRICS est de plus en plus articulé et mobilisé par la Chine. Son élargissement a réduit le poids relatif du Brésil, qui n’a pas réussi à y intégrer un ou des alliés latino-américains. Le Mexique d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a publiquement signalé qu’il n’y adhérerait pas. L’Argentine, après la victoire de Javier Milei, a retiré la déclaration d’adhésion faite par les autorités antérieures, justicialistes. Le Brésil a des rapports ambigus avec les États latino-américains, se réclamant, à l’instar de Cuba, du Nicaragua et du Venezuela, d’une gauche inamovible. Pourtant, Brasilia a pris des distances avec La Havane, polémiqué avec Caracas et quasiment rompu avec Managua. Ces trois nations ne sont pas ou plus perçues par le Brésil, ni dans la CELAC, ni dans l’Unasur, comme des alliés favorables au multilatéralisme.

Dès les premiers jours, Lula s’est heurtée physiquement à une adversité dont, peut-être, il ne mesurait pas la force. La tentative de coup dont il a été victime le 8 janvier 2023 et le harcèlement multidirectionnel du nouveau président des États-Unis, Donald Trump, l’ont contraint à l’urgence politique, diplomatique et économique. Prises dans l’urgence, ces mesures n’ont pas de lisibilité évidente, que ce soit en politique intérieure ou en relations extérieures.

En interne, le PT et ses alliés du Parti socialisme et liberté (PSOL) ont pris conscience de la nécessité de renouer avec l’électorat populaire, à un peu plus d’un an des prochaines élections présidentielle et législatives. Peut-être a-t-on jugé qu’il était trop tard pour construire un programme répondant à cette urgence ? Le pragmatisme s’est imposé. La communication, fondée sur l’effet rhétorique à horizon minimal, plus facile à mettre en œuvre, a été privilégiée. Lula, à défaut de pouvoir disposer, comme en 2002, d’un PT au logiciel fort et diffusé par des centaines de milliers de militants, est à la recherche d’un pacte de non-agression avec les pasteurs des églises évangélistes pentecôtistes, qui quadrillent les quartiers périphériques. Au risque de faire des concessions idéologiques aux conséquences incertaines à ceux qui contrôlent les secteurs populaires, les évangélistes18. Sans majorité cohérente au Parlement, le PT et ses alliés de gauche, sous la houlette du président, négocient des arrangements à géométrie variable avec les partis majoritaires, plus ou moins de centre droit.

À l’extérieur, les déplacements présidentiels sont devenus de plus en plus économiques et commerciaux afin de parer aux menaces douanières de Donald Trump. Au risque, extrapolant la formule proposée par le professeur de relations internationales argentin, Juan Gabriel Tokatlian19, de faire du Brésil un nouvel État « vassal » de la Chine pour résister aux pressions des États-Unis. Le président Lula est manifestement conscient de la nécessité de construire des contrepoids multilatéraux, plus particulièrement entre pays latino-américains. Le 10 mai dernier, il a rappelé que « le Brésil traitait les États-Unis avec beaucoup de respect […] Mais que le Brésil exigeait d’être traité sur un pied d’égalité […] Le protectionnisme ne nous intéresse pas. Nous voulons un commerce, flexible et juste, […] propice aux politiques inclusives en faveur des pays pauvres. […] Il est incroyable que les gens n’aient pas tiré les leçons de l’importance qu’a constitué, après la Seconde Guerre mondiale, le multilatéralisme ». Le 13 mai, il a réitéré son propos : « La solution pour résoudre la crise du multilatéralisme n’est pas de l’abandonner [mais de] construire un monde partagé, pour réduire les asymétries entre pays […] L’Amérique latine et la Caraïbe peuvent y contribuer […] Ou nous jouons collectif, ou l’Amérique latine restera ce qu’elle est, une région pauvre ». Plus que les pays latino-américains, c’est la Chine qui a apporté du tac au tac une réponse à Lula, en renforçant tous azimuts sa coopération avec la CELAC. Les jugements et propositions de Lula, il est vrai, ont été faits à Moscou et à Pékin. Pékin est le premier partenaire économique des pays sud-américains, le second des pays centraméricains et caribéens. Il a été l’initiateur des BRICS et de la Banque des BRICS dont le siège est à Shanghai (Chine). Cette réalité est bien comprise par le premier magistrat brésilien. La Chine est de loin son premier marché et son premier fournisseur. Mais a-t-il un autre choix, pour amortir la brutale offensive douanière et diplomatique de Donald Trump, que d’aller à Pékin ? « L’appui chinois est décisif, a-t-il affirmé depuis Pékin, mais sa viabilité dépend de la capacité de nous coordonner à l’échelle régionale20 ».

L’escale de Paris et de Nice, les 8 et 9 juin 2025, peut-elle faire avancer les attentes de Lula sur le rejet du protectionnisme et la préservation du multilatéralisme ? Au-delà des bonnes intentions d’usage – sur la paix, la liberté du commerce, la défense de l’environnement, la défense et le nucléaire civil, la coopération internationale, l’adhésion du Brésil à l’OCDE et son accession au statut de membre permanent du Conseil de sécurité –, quelle peut être la portée de cette rencontre ?

Le Lula qui arrive à Paris n’est manifestement pas ou plus le porte-parole de l’Amérique latine. Le pragmatisme et la prudence sont les lignes directrices de la quasi-totalité de pays qui ne sont en condition ni de résister frontalement à une offensive brutale de Washington, ni de se passer des investissements chinois. La France est dirigée par un président in partibus, depuis son pari électoral manqué de 2024. Qui plus est, comme tout pays membre de l’Union européenne et de l’OTAN, Paris n’est pas maître de son agenda. Enfin, si Brasilia et Paris s’accordent pour contester la méthode Trump, les remèdes proposés de part et d’autre sont loin de coïncider. L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur fait toujours débat entre les deux pays, quelles que soient les familles politiques au pouvoir. Lula est opposé à toute militarisation des relations internationales. 

La France soutient la nécessité de programmes d’armements ambitieux et les deux pays condamnent l’invasion de l’Ukraine. Toutefois, si Paris plaide pour un dialogue forcé par des sanctions collectives, Lula a choisi de se rendre à Moscou, à l’occasion d’une parade militaire, afin de convaincre Vladimir Poutine des vertus du dialogue. Les mêmes remarques pourraient être appliquées sur le dossier du Proche-Orient. Le Brésil, qui a établi des relations diplomatiques officielles avec Ramallah depuis 2011, a fermement condamné Israël et appelé l’ONU à reconnaître l’État palestinien. La France a pris des distances avec les autorités israéliennes. Mais, comme la majorité des Européens, Paris se limite à accroître bruit diplomatique et gesticulations sans retombées concrètes.

Reste sans doute l’illustration d’une amitié périodiquement renouvelée, autour du football, de la samba, côté brésilien, de la gastronomie et des parfums, versant français, le tout assortis de quelques grands contrats. Les saisons croisées France-Brésil ont été dotées à cet effet d’un comité de mécènes présidé par le responsable du conseil d’administration d’Engie. Sous la mandature de Nicolas Sarkozy, la France avait militarisé avec un certain succès la relation bilatérale en vendant hélicoptères et sous-marins au Brésil. Compte tenu du contexte international, cet acquis pourrait être approfondi. Un achat auprès de la société israélienne d’armement Elbit Systems, fabricant de véhicules d’artillerie mobile, a été bloqué en raison de la guerre à Gaza. Depuis, le Brésil a élargi son partenariat avec la Suède en matière d’aviation militaire et un accord financier a été signé pour renforcer l’industrie brésilienne de défense avec le groupe bancaire espagnol Santander. S’il a été question de protection de l’environnement au cours de la visite d’Emmanuel Macron au Brésil, les 25-28 mars 2024, les deux chefs d’État ont parlé transition énergétique et coopération dans le nucléaire civil.

Seule certitude : les 31 mars et 1er avril, au cours de la visite à Paris de Fernando Haddad, ministre brésilien de l’Économie, pour préparer celle du président Lula, seule l’économie a été officiellement au cœur des discussions avec son homologue Éric Lombard et avec le monde français des entreprises. Il est vrai que les échanges sont on ne peut plus modestes : le Brésil est le 30e client de la France et son 36e fournisseur. Les questions environnementales ont notamment été abordées pour abonder les échanges bilatéraux : développement durable, crédits carbone, défense de l’environnement et politique économique. À la suite de la visite d’État effectuée par le président Macron à Brasilia et à Belém en mars 2024 pour célébrer l’Amazonie et ses populations « indiennes », Lula s’apprête à lui rendre une visite tout autant symbolique les 8 et 9 juin 2025, placée sous le signe de la protection des océans. Le prochain épisode devrait consacrer cette amitié environnementale. Emmanuel Macron a en effet signalé qu’il serait présent à la COP30 de Belém en novembre prochain.

Pour le reste, les deux présidents auraient beaucoup à faire pour donner un contenu concret à leurs propos souvent convergents sur la marche d’un monde fragmenté par les influences divergentes croissantes entre Washington et Pékin. Les positions respectives de l’Élysée et de Planalto – sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les conséquences qu’il convient d’en tirer, sur la reconnaissance d’un État palestinien et la sortie de la crise à Gaza, sur le compromis à construire entre Union européenne et Mercosur, sur la place du militaire dans les relations internationales – sont en effet parfois et même souvent distantes. La « troisième voie » privilégiée de part et d’autre pour jouer le mieux possible dans un monde aux règles et normes globalisées bloque leur capacité à réformer et affaiblit le champ de leur démocratie. Bien que tous deux assimilent internationalisme à globalisme21, ils ont de fait privilégié, en dépit de leurs réserves, une voie les orientant vers des « premiers de cordée » antagonistes, la Chine pour le Brésil, les États-Unis pour la France. Les 8 et 9 juin, le point d’orgue entre les deux États sera certainement climatique, mais le baromètre de référence est-il le même ?

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