« Colombie : la paix confisquée – Paroles d’otages » sur France 5  En ligne et gratuitement jusqu’au 28 septembre prochain

En Colombie, on a pensé que les années noires appartenaient au passé. Mais la menace de la reprise des luttes armées plane. Seize ans après la fin du calvaire d’Ingrid Betancourt, le nombre de personnes kidnappées augmente à nouveau. Malgré tout, des voix s’élèvent pour construire un pays sans vengeance et sans haine. Un grand défi dont les clefs font parfois polémiques. Dans le cadre de l’émission Le Monde en face sur France 5. En ligne et gratuitement jusqu’au 28 septembre prochain.

Photo : France Televisions

Désormais, il est temps pour le pays d’essayer de panser ses plaies. Mais comment aborder la question de la réconciliation nationale après plus d’un demi-siècle de guerre ? Repenser la justice en est l’un des moyens. L’accord de paix signé entre l’État colombien et la guérilla marxiste des FARC en 2018 a instauré un système judiciaire indépendant et créé un tribunal spécial. 9 883 ex-combattants des FARC sont jugés. 338 430 victimes ont déjà témoigné. L’objectif : réincorporer les anciens combattants de la guérilla à la vie civile.

Quelques extraits : 

Si les accusés auteurs de ces crimes reconnaissent leur responsabilité, alors les sanctions sont réparatrices. Nous reprenons ici beaucoup d’éléments d’une justice restaurative. Julieta Lemaitre Ripoll, magistrate, Juridiction spéciale pour la paix.

On s’est engagé à révéler une vérité exhaustive pour essayer de réparer les victimes. Autant chez les FARC on a beaucoup menti, autant maintenant il s’agit de dire la vérité. « Sonia », ex-cheffe des finances des FARC. Les victimes, elles, ne veulent pas d’une justice qui soit un déguisement d’impunité. Elles n’attendent pas de ce tribunal un discours politique ou des justifications idéologiques. On a envie de se dire : en tant que Colombien comment peut-on prendre la décision de tuer quelqu’un de sang-froid, de séparer des êtres humains de leur famille pendant des années ? Ingrid Betancourt, otage de 2002 à 2008. 21 000personnes ont été enlevées par les FARC entre 1980 et 2016. 10 % des captifs ne sont jamais rentrés chez eux.

J’avais 6 ans quand mon père a disparu. Le fait de ne rien savoir de lui ne permet pas d’avoir la paix et la tranquillité. Aujourd’hui, je voudrais juste connaître la vérité, aussi douloureuse soit-elle. Daniela Arandia, fille de Gerardo Alberto Arandia, enlevé en juillet 2000. Les FARC appelés à témoigner ont eu des gages : pas de prison mais des travaux d’intérêt général comme la construction d’aqueducs ou d’écoles. Certains sont même aujourd’hui députés ou sénateurs et reçoivent un financement important de leur parti. Moi, j’ai été condamné à la sanction maximale, huit ans d’actions réparatrices. Ce ne sont pas des représailles. Comprendre ce qui nous a plongé dans ces décennies de guerre, ça, la prison ne le permet pas. (Aujourd’hui) je passe de l’action armée à l’action politique par la démocratiePastor Alapa, sénateur du parti des FARC.

Parfois, je fais encore ce même rêve où je sais que je vais mourir. (Eux), ils ont été carrément absous de tous leurs crimes sans devoir faire un seul jour de prison ou assumer les conséquences de leurs actes. Marc Gonsalves, otage de 2003 à 2008. Ils m’ont volé huit ans et demi de ma vie, ça je l’ai enduré et dépassé. Mais ils ont aussi fait du mal à ma famille, l’angoisse de ne plus avoir de mes nouvelles les a rendu malades et les a fait vieillir prématurément. John Franck Pichao, otage de 1998 à 2007.

Mon objectif est de ne pas être consumée par le ressentiment. Si mon fils me voit souffrant, il ne pourra jamais être heureux. Ma seule issue, c’est le pardon. Pour vivre. Sinon ma croix serait trop lourde à porter. Clara Rojas, otage de 2002 à 2007. Car il est une étape essentielle pour la réconciliation nationale. Pour moi, nos efforts doivent tendre vers un vivre ensemble qui nous permette d’aller de l’avant, victimes et bourreaux, dans une même société. Julieta Lemaitre Ripoll, magistrate, Juridiction spéciale pour la paix

AVIS DE LA REVUE « TÉLÉRAMA »

Otage des Forces armées révolutionnaires de Colombie, John Frank Pinchao a accompli l’impensable : après plus de huit ans de captivité, ce policier colombien est parvenu à tromper la vigilance de ses ravisseurs et à s’évader, s’orientant seul dans la jungle pendant dix-sept jours. Cette expérience de détention, Pinchao l’a racontée dans un livre, tout comme Ingrid Betancourt et Clara Rojas, capturées en 2002 lors de la campagne présidentielle colombienne. Leurs histoires sont connues mais le récit de ces trois ex-otages, saisissant, fait ici écho à l’actualité du pays : en 2023, plus de 200 personnes ont été kidnappées. Plusieurs milliers d’anciens miliciens auraient repris les armes alors que l’issue du conflit avec les Farc, fin 2016, ouvrait la difficile voie de la réconciliation nationale.

Dense et articulé, le film se montre particulièrement pertinent en reliant le passé et le présent : l’histoire de cette guérilla marxiste née dans les années 1960, dont l’existence est assurée par le trafic de drogue, et le retour des anciens membres à la vie civile. La parole n’est pas seulement accordée aux otages : la richesse des témoignages recueillis rend compte de la complexité à juger plusieurs décennies de crimes. Un système judiciaire spécial a été mis en place pour surmonter les divisions de la société. Les « actions réparatrices » auxquelles sont condamnés les anciens bourreaux inspirent souvent opposition et ressentiment. Sur l’histoire colombienne récente, ce documentaire offre un éclairage complet et précieux.

Par  Etienne Bouche