Seulement un mois et demi après sa prise de fonction, le président argentin Javier Milei, connu pour ses positions ultralibérales, a fait face à une grève générale et à une première vague significative de contestations ce mercredi 24 janvier. Des manifestations rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes ont eu lieu à Buenos Aires, ainsi qu’à Cordoba, Tucuman et La Rioja, marquant ainsi leur ferme opposition aux réformes d’austérité engagées par le président.
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Cela fait à peine six semaines que Javier Milei est à la présidence de l’Argentine et son mandat est déjà marqué par de nombreuses crises. Le prix de l’essence à doublé, le pays souffre d’une inflation galopante et la valeur de la monnaie nationale a drastiquement chuté. Au nom de « l’urgence économique », le président argentin a mis en place une série de projets de loi et de mesures d’austérité effectives ou planifiées. Par conséquent l’agitation sociale bat son plein et il est désormais clair que « les gens sont en colère », comme l’a indiqué le secrétaire général de la CGT, Hector Daer, qui considère également que le ras-le-bol ne se limite plus du tout au monde ouvrier. Les syndicats argentins les plus influents ont appelé conjointement à une grève nationale dans le but de contrer les plans de Milei. La CGT n’avait pas appelé à une telle mobilisation depuis 2019. Elle n’a pas tardé à être rejointe par de nombreux autres syndicats et mouvements sociaux, des organisations féministes telle que Pas une de moins, des défenseurs des droits humains dont le mouvement des Mères de la place de mai et divers groupes politiques.
La grève s’est déroulée à Buenos Aires de midi à minuit. Les transports ont fonctionné jusqu’à 19 heures pour faciliter les déplacements des manifestants, avant de s’arrêter complètement jusqu’à minuit. Les secteurs concernés par le mouvement ont arboré le slogan « La patrie n’est pas à vendre ». Selon Estella de Carlotto, présidente des Grands-mères de la Place de mai, cette grève sert « à montrer au monde que le peuple argentin ne se tait pas ». La plus grande manifestation du pays a eu lieu devant le Congrès à Buenos Aires et a réuni plusieurs centaines de milliers de personnes selon le journal indépendant Tiempo Argentino. Les estimations varient de 100 000 à 300 000 selon les chaînes de télévision argentines. La CGT, quant à elle, évaluait le nombre de manifestants à 1,5 million dans tout le pays, dans une nation comptant 45 millions d’habitants. Il convient cependant de nuancer légèrement cette avalanche de chiffres en précisant que l’apparence des rues de Buenos Aires était bien loin de celle d’une ville paralysée par une grève totale. Ce mercredi était semblable à n’importe quel autre jour calme d’été dans la capitale.
« Le pays est ouvert, le pays ne s’arrête pas ! » ; c’est en ces termes que la ministre de la sécurité, Patricia Bullrich, s’est rassurée du fait que « la mobilisation était faible par rapport au nombre de gens qui ont décidé d’aller travailler ». Elle a dénoncé avec sévérité des « syndicats mafieux, gestionnaires de la pauvreté (…), qui résistent au changement démocratiquement décidé par la société ».
En réaction à ce projet de manifestations, Milei a quant à lui exprimé l’idée selon laquelle la grève est symptomatique du fait qu’“il existe deux Argentines”; une qui serait ancrée dans le passé et une autre engagée “sur les rails du développement, et qui est celle que nous proposons”.
Pour le gouvernement, mettre en œuvre des réformes et des mesures d’austérité constitue une condition sine qua non pour assainir les finances d’un pays structurellement endetté et stabiliser une économie rongée par une inflation annuelle de 211 %. À ce titre, il est sans doute opportun de rappeler que Javier Milei avait clairement averti que les Argentins devaient se préparer à ce que les six mois suivant son élection soient difficiles, correspondant à une période d’ajustement économique. Plus révélateur encore ; un nombre croissant d’Argentins semble partager l’avis de Milei. Selon des enquêtes récentes, 58 % des Argentins le soutiennent, ce qui correspond à deux points de pourcentage de plus que les votes obtenus par le candidat lors des élections présidentielles de novembre. D’autre part, certains ont pointé du doigt, non sans un peu d’ironie, l’incohérence et le “non-sens absolu” de condamner autant un système politique en place depuis à peine plus d’un mois. Cela a valu à cette manifestation le surnom de grève « la plus rapide de l’histoire ». Pour rappel, cette dernière a été annoncée le 28 décembre 2023, soit 18 jours après l’arrivée de Milei au pouvoir. En parallèle, se dessine un débat bien plus large, pour définir qui des syndicats ou des dirigeants actuels, se place « du mauvais côté de l’Histoire » pour reprendre le mot du gouvernement argentin.
Selon le pouvoir en place, les mouvements syndicaux ont déjà par le passé obstrué des tentatives de mise en place de changements significatifs en Argentine. Javier Milei semble indiquer qu’il adoptera une position plus ferme à l’égard des manifestations qui dégénèrent en émeutes. Il a mentionné l’idée de réduire les salaires des fonctionnaires publics participant à des manifestations et de durcir les sanctions contre ceux qui bloquent les routes. Des mesures radicales sont jugées indispensables « pour éviter que cette crise ne se transforme en une catastrophe sociale aux proportions bibliques« , a déclaré Javier Milei dans un discours à la nation. Selon ses dires, les membres du Congrès « devront choisir s’ils veulent faire partie de la solution ou s’ils veulent continuer à faire partie du problème« . Le gouvernement avait annoncé d’avance sa décision d’appliquer le « protocole anti-blocages » au cours de la manifestation de ce mercredi.
Carla ESTOPPEY