Nicaragua : fuir ou subir le régime Ortega-Murillo

Le 14 janvier 2024, Daniel Ortega conduisait quinze dignitaires catholiques à l’exil vers Rome. Si la destination d’expulsion de ces citoyens résulte d’une négociation du Vatican, le Costa Rica et les États-Unis restent les points de fuite privilégiés des Nicaraguayens, victimes d’une répression grandissante dans leur pays. L’aéroport de Managua, capitale du Nicaragua, devient l’arme économique, politique et répressive privilégiée du régime de plus en plus associé à une dictature.

Photo : Corto 66

Le couple Ortega-Murillo en croisade contre l’Église catholique. 

Depuis la chute de la dictature des Somoza en 1979, le parti révolutionnaire sandiniste insistait sur la constitution d’une République Démocratique du Nicaragua. Sa constitution a été révisée à plusieurs reprises depuis 1989 dont la dernière fois en 2014. La modification des articles 5 et 14 avaient alors soulevé de nombreux doutes sur la volonté démocratique de DanielOrtega. La suppression du paragraphe : « Le pluralisme politique assure l’existence et la participation de toutes les organisations politiques dans les affaires économiques, politiques et sociales du pays, sans restriction idéologique, excepté celles qui prétendent au rétablissement de tout type de dictature ou d’un quelconque système démocratique » inquiétait déjà les représentants des droits de l’homme du territoire. Les autorités catholiques s’étaient de la même manière alarmées quand le pays s’était affirmé comme une nation dont les principes sont les « valeurs chrétiennes » et « les idéaux socialistes » reniant la laïcité du pays et sa liberté religieuse. L’article 69 restait pourtant inchangé : « Toute personne, individuellement ou collectivement, a droit de manifester ses croyances politiques de manière publique ou privée, à travers le culte, ses pratiques ou sa transmission ». Malgré ce rempart constitutionnel des droits de l’Homme, la répression des autorités ecclésiastiques et la persécution de ses fidèles ne s’est faite que grandissante depuis une dizaine d’années au Nicaragua. Elle culmine en 2023 avec l’arrestations et la condamnation de cent trente-deux religieux, une hausse de 6,2 % par rapport à 2022 (ACI Prensa). 

La dictature de Somoza, contre laquelle Daniel Ortega s’était battu en véritable guerillero sandiniste, était soutenue par les États-Unis et le Vatican. La conversion progressive du pays à la Théologie de la libération, après les années 1990, a appuyé le rejet franc du pouvoir et de l’influence de l’Église catholique en son sein. Par l’évocation des scandales de corruption, de sa démesurée richesse mais également de ses crimes passés, Ortega n’hésite pas à qualifier les curés et évêques de « mafia ». La Théologie de libération développée par Gustavo Gutiérrez au Pérou se fonde d’abord sur une conception socio-politique de la religion comme soutien aux plus démunis et reclus, en suivant les Écritures au plus proche de leur enseignement. 

Loin de se placer dans une démarche d’amour, de paix et de tolérance, la femme d’Ortega et vice-présidente Rosario Murillo, n’hésite pas à multiplier ses prises de paroles insultantes et dégradantes à l’égard des Catholiques. Parmi les trente monologues analysés par El Confidencial, on décompte vingt-six incitations à la haine contre les dévots. Murillo les qualifie de « serviteurs de Satan » et de « représentants du démon » entre autres insultes. L’évocation de Dieu et de son amour ne contribue alors paradoxalement pas à diminuer le harcèlement, les persécutions et les oppressions dans son pays. 

 Depuis janvier 2023, le Nicaragua fait partie des 50 pays où les chrétiens sont les plus persécutés. Le pasteur Willber dénonçait cette année-là l’intrusion d’agents durant son office, n’hésitant pas à le corriger durant sa prédication. De nombreux ecclésiastiques tels que l’évêque de Matagalpa, Roland Alvaréz ont souhaité continuer à défendre leur liberté religieuse et leurs convictions dans leur pays jusqu’à leur arrestation et exil forcé. Aux côtés de Silvio Báez, auxiliaire de Managua, et des quinze autres ecclésiastiques arrêtés entre le 1er décembre et le 15 janvier de cette année, Rolando Alvaréz était l’un des seuls à refuser l’exil pour les États-Unis, écopant alors de 26 ans d’emprisonnement et d’une déchéance de nationalité devenu ennemi public du Nicaragua. Son extradition vers Rome n’a été permise que le 14 janvier par l’intervention des autorités vaticanes. 

En juillet 2022, Daniel Ortega ordonnait la fermeture de huit chaînes de radio catholiques à travers lesquelles les membres religieux se faisaient entendre contre les répressions du gouvernement mais également défenseurs de la liberté de culte, d’information et de pensée de la population, subissant elle-même un contrôle de plus en plus strict. Le régime Ortega-Murillo est loin de se limiter seulement à restreindre les libertés religieuses de ses citoyens puisqu’il s’attaque aussi à leur liberté d’expression et d’information. Le 10 mai 2023, Reporters Sans Frontières (RSF) alertait sur la fermeture progressive de plus de 3300 ONG au Nicaragua depuis 2018, explicable par la portée internationale de leurs dénonciations des abus et manquements du régime Ortega-Murillo. 

En avril 2018, 355 manifestants trouvaient la mort sous la répression violente de la police d’État, Ortega avait alors qualifié de terroriste tout contestataire à son régime. À cette occasion, étudiants et concitoyens s’étaient organisés et avaient manifesté pour la démission du couple au pouvoir. Usant de toute la force de frappe de son armée, qui surveille depuis 2014 les réseaux de communication, Ortega chasse tous les discours opposés à sa politique, sa gestion économique ou s’écartant de la Théologie de la libération en emprisonnant les dissidents dans la prison d’El Chipote, connue pour ses conditions de détention précaires et les tortures que les Somoza infligeait à leurs opposants, dans le même paradigme. Gilles Bataillon n’hésitait alors pas à établir un parallèle entre la dictature révolue des Somoza et le régime autocratique mené d’une main de fer par « le couple de tyrans totalitaires » (Le Monde). 

Ayant déjà dirigé le pays entre 1979 et 1990 à la chute de la dictature des Somoza, le couple voyait son pouvoir renouvelé lors des élections présidentielles de 2021 et n’avait nullement recours à la Providence. Ortega célébrait alors son quatrième mandat d’affilée depuis 2007. Alors que l’opposition se faisait vive bien avant les manifestations, le couple avait tout simplement procédé à l’arrestation de trente opposants politiques, dont sept pré-candidats juste avant les élections. Nous pouvons prendre l’exemple de sa principale rivale, Cristiana Chamorro, placée en détention en 2020, lui ayant fait perdre les élections de 1990. Un observatoire proche de l’opposition, Urnas abiertas, comptait à cette occasion, un taux d’abstention de 81,5 % en s’appuyant sur les données de 1 450 observateurs non autorisés présents dans 563 bureaux de vote.

Outre cet accaparement évident du pouvoir par le couple, les observatoires internationaux des droits de l’homme tirent la sonnette d’alarme quant à la limitation des moyens d’expression des Nicaraguayens. À la suite des manifestations, Telcor, l’organe de régulation des télécoms du pays avait progressivement retiré leur licence à de nombreux media indépendants tels que 100 % Noticias et El Confidencial en arrêtant et condamnant leurs journalistes pour terrorisme. Lorsque médecins et journalistes avaient dénoncé le manque de gérance du gouvernement dans la crise du Covid 19, ces derniers avaient été déchus de leurs fonctions et emprisonnés. En mai 2023, vingt-sept avocats et magistrats ont également perdu leur droit d’exercice au Nicaragua ainsi que leur nationalité. Parmi eux, l’auteur Sergio Ramírez, récompensé par le Prix Cervantes de 2017 à la suite de la publication de son roman Ya nadie llora por mi, traduit en français Retour à Managua, dénonçant corruption et répression des hautes sphères sociales nicaraguayennes à travers la fiction. L’auteur vit depuis exilé en France et en Espagne. 

Plus alarmant encore, les universités telles que Jean Paul II et de l’Université centraméricaine UCA de Managua, bastions d’organisation des manifestations d’avril 2018, ont été contraintes de fermer leurs portes. Les manifestants fraîchement diplômés ont tout simplement vu leurs années d’études invalidées et effacées des registres. Renommée Université Casimiro Sotelo, l’établissement doit aujourd’hui faire face à la désertion des étudiants fuyant pour le Costa Rica et les États-Unis pour faire leurs études.  

Depuis la fin du Covid 19, l’aéroport Augustino C. Sandino de la capitale prend des allures d’instrument au service des attaques économiques et des répressions de la présidence. La croissance économique du pays reposant essentiellement sur les transferts de fonds (remesas) en provenance des États-Unis et de l’Europe depuis 2021, Daniel Ortega encourage les citoyens à émigrer vers des pays développés pour faire bénéficier son pays de leur croissance. Il revendique même les remesas comme un moyen de lutter contre l’hégémonie américaine. L’aéroport devient par là même le point de passage privilégié des émigrants provenant d’Afrique subsaharienne et pays sous-développés de l’Amérique du Sud. Cependant, les dernières mesures annoncées par le gouvernement de Washington annoncent une restriction progressive de leur accueil sur leur sol à partir de 2024. 

Plus qu’une arme économique, c’est par l’aéroport de Managua que le gouvernement parvient à ostraciser l’ensemble de ses opposants politiques, ecclésiastiques, journalistes et représentants de la loi condamnés et déchus de leur nationalité. Mais les citoyens ont de moins en moins besoin de l’aide du gouvernement pour quitter par eux-mêmes le pays et se réfugier au Costa Rica. Entre 2019 et 2022, près de 600 000 Nicaraguayens, soit 8,7 % de la population, ont quitté le pays (Le Monde, Angeline Montoya). L’Europe reste un berceau pour les réfugiés politiques et apatrides en provenance du Nicaragua. L’Espagne a accordé la nationalité à plus de trois cents prisonniers politiques expulsés en 2023. En espérant que notre continent reste sensible au sort des Nicas, il est essentiel que les fédérations et organisations de défense des droits de l’Homme gardent un œil vigilant sur le Nicaragua les prochaines années.